Contenu du sommaire : (En)quêtes de genre
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 24, 2007 |
Titre du numéro | (En)quêtes de genre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Présentation
- Appropriations empiriques du genre - Lucie Bargel, Céline Bessière, Magali Della Sudda, Sibylle Gollac, Stéphanie Guyon, Alexandra Oeser, Séverine Sofio p. 5-10
1. Méthodes
- Histoire des femmes, histoire du genre. Pratiques d'historiennes table ronde - Christiane Klapisch-Zuber, Laura Lee Downs, Frédérique Villemur, Violaine Sebillotte-Cuchet, Magali Della Sudda, Séverine Sofio p. 11-28
- L'histoire médiévale à l'aune du genre : les débuts d'une enquête - Caroline Jeanne, Diane Pasquier-Chambolle p. 29-41 L'utilisation du genre comme outil en histoire médiévale byzantine et occidentale en est à ses balbutiements dans l'historiographie française. La démarche, envisagée comme étude historique des rapports entre les sexes, est ici appliquée conjointement à l'étude des veuves parisiennes de la fin du Moyen Âge (XIVe – XVe siècles) et des moniales byzantines à l'époque Paléologue (1261-1453).L'examen de la désignation et de la réputation des veuves et des moniales montre que les exigences envers ces femmes sont lourdes. Ce sont ainsi les fondatrices des monastères féminins qui, davantage que leurs homologues masculins, insistent dans les règlements monastiques sur la faiblesse de la nature féminine. De la même façon, le veuvage féminin est fortement stigmatisé. Plus visibles dans les documents judiciaires, fiscaux ou notariés parisiens que les femmes mariées ou les veufs, les veuves sont parallèlement astreintes à une obligation de bonne renommée fermement précisée dans la littérature didactique du temps.L'approche relationnelle et comparatiste entre moniales et moines byzantins d'une part, veuves et veufs parisiens d'autre part, illustre la complexité des rapports de genre. L'inégalité devant la clôture apparaît nettement dans les règlements monastiques : c'est aux moniales qu'est imposée la claustration la plus rigoureuse. Au sein des métiers parisiens, le curseur du genre est variable. Lors de leur veuvage, les femmes acquièrent un nouveau statut, qui les place sur un pied d'égalité avec les maîtres des métiers. Cependant au sein des métiers largement féminisés, la maîtrise des femmes s'obtient sans la condition du veuvage, et des dispositions particulières sont prises pour les veufs. Le rapport au masculin fluctue selon les métiers.L'idéal de femmes viriles, moniales ou veuves, se retrouve dans les typika monastiques et dans les écrits de Christine de Pizan. Il correspond dans le premier cas à un idéal de sainteté nécessairement masculin, et dans le second à une conception du veuvage comme outil pour investir les domaines traditionnellement réservés aux hommes. Cependant, ce processus de masculinisation auquel sont conviées ces femmes doit être nuancé dès lors que l'on prend en compte le critère de l'âge : les moniales et veuves âgées, et ménopausées, échappent à la nécessité de « se faire homme ».In French historiography, the use of gender as a tool of analysis in Western and Byzantine history is still relatively new. This approach, in the sense of a historical study of relations between the sexes, is here applied to a study of both Parisian widows at the end of the Middle Ages (14th – 15th centuries) and Byzantine nuns during the Palaiologos period (1261-1453).If we examine what it means to be a widow or nun, and the reputations that accompany the two statuses, we can see that the demands made on these women were heavy. Indeed, it was the women who set up the first female monasteries themselves who, even more than their male counterparts, insisted on the weakness of female nature in their monastic rulings. Likewise, widowhood was also strongly stigmatised. Widows are more visible in Parisian legal and fiscal documents than either married women or widowers, and they were also bound by an obligation to maintain a “good reputation” that was firmly set down in the didactic literature of the time.The relational and comparative methods used to study Byzantine nuns and monks on the one hand, and Parisian widows and widowers on the other hand, illustrate the complexity of gender relations. Inequality in the cloister appears clearly in monastic regulations: it is nuns on whom the most rigorous confinement is imposed. Within the Parisian trades, the impact of gender varies. When women become widows, they take on a new status, placing them on an equal footing with “maîtres des metiers”. However, within trades with a large female population, women can become “maîtres” without necessarily being widows; special provisions then apply to widows in this case. Relations with men fluctuate from one trade to another.The ideal of virile women, nuns or widows, can be found in the monastic typikas and in the writings of Christine de Pizan. It corresponds in the former case to an ideal of holiness that is by necessity masculine, and in the second to a concept of widowhood as a tool for gaining entry to domains traditionally reserved to men. However, this process of “masculinisation” which women are expected to undergo is qualified slightly when age is taken into account: nuns and elderly widows, who have been through the menopause, avoid the need to have to “become men”.
- Le silence des pratiques. La question des rapports de genre dans les familles d'« indépendants » - Céline Bessière, Sibylle Gollac p. 43-58 Cet article s'appuie sur deux enquêtes de terrain menées auprès de familles d'indépendants, l'une auprès d'exploitations familiales viticoles dans la région de Cognac, l'autre auprès de familles d'artisans (boulangers-pâtissiers et maçons). Dans les deux cas, on peut observer, d'une part, un partage sexué des tâches au sein du collectif de production familiale – collectif de production professionnelle mais aussi domestique, que nous appellerons maisonnée – et, d'autre part, une définition « genrée » des rôles dans la transmission du patrimoine de la lignée (ou groupe de descendance). Pourtant, les personnes enquêtées ne tiennent ni discours normatif, ni discours contestataire sur le rôle des hommes et des femmes. Le partage des tâches, par exemple, est bien décrit mais son aspect genré n'est pas remarqué et encore moins remis en cause. En l'absence d'un discours féministe ou sexiste, la question du genre peut néanmoins faire sens pour les acteurs par le biais de problématiques qui leur sont propres. Ainsi la différenciation des rôles masculins et féminins au sein de la lignée est-elle clairement explicitée, voire contestée par les enquêté(e)s. En revanche, la problématisation du partage genré des tâches (domestiques et professionnelles) n'apparaît qu'indirectement. Pour l'appréhender, il a fallu poser une question qui, elle, fait sens pour les enquêté(e)s : l'accroissement du travail salarié des femmes d'indépendants.This article is based on two field surveys carried out among families of independent workers, one among wine growers in the Cognac region, the other one among families of bakers and masons. In both cases, one observes, on one hand a gendered share of tasks among the —professional and domestic— cooperative of family production — which we will call « household « and, on the other hand, a « gendered « definition of roles in the trasmission of the descendants' patrimony (or groups of descendants). However, the people questionned don't speak either normative or disputing discourses about the role of men and women. The sharing of tasks, for example, is described, but its gendered aspect is ignored and even less questioned. In the absence of a feminist or sexist discourse, the issue of the genre can nevertheless make sense for the actors when problematics that concern them are raised. Then, the differenciation between male and female roles in the lineage is quite explicited, even questioned, by the people surveyed. On the other hand, the problematisation of the gendered sharing of tasks (professional and domestic) only appears indirectly. In order to tackle it, the surveyors had to raise a question that was particularly relevant to the surveyed : the increase of salaried work among independent workers' wives.
- Usages sociologiques et usages sociaux du genre . Le travail des interprétations - Lucie Bargel, Éric Fassin, Stéphane Latté p. 59-77 Une enquête sur la parité, conduite depuis 2001, est ici l'objet d'un retour réflexif pour préciser de quelle manière joue le genre, comment les acteurs en jouent et en sont le jouet. D'abord, la voix en politique relève du genre autant que du sexe. Ce n'est pas la nature qui parle, car la voix participe des rapports de pouvoir. Et, si le genre apparaît tantôt comme contrainte, tantôt comme ressource, c'est aussi en fonction des différentes manières qu'ont les agents de se mettre en scène. Plus, le travail des interprétations sociologiques s'inscrit lui-même dans l'ensemble des pratiques sociales d'interprétation.Fieldwork conducted since 2001 on gender parity in a city council is revisited in this paper. This reflexive approach clarifies how gender comes to play, how actors play with or are played by gender. First, political voices have to do not just with sex, but with gender. It is not nature speaking, as these voices signify power relationships. Second, gender does appear at times as a constraint, and at other times as a resource; but this largely results from differences in the way it is staged. Third, sociological interpretations of gender interact with interpretations by social actors.
2. Socialisation
- Supporterisme et masculinité : l'exemple des Ultra à Auxerre - Stéphanie Guyon p. 79-95 Cet article s'appuie sur une enquête de terrain menée de 2001 à 2006 auprès des membres de deux clubs de supporters ultra d'Auxerre. L'enquête ethnographique a permis d'observer la construction masculine du rôle de supporters ultra à Auxerre. D'une part, les pratiques de supporterisme ultra sont assignées au masculin : elles s'ancrent dans un corps construit et désigné comme masculin et les Ultra manifestent leur opposition aux supporters des club de football adverses à travers des activités viriles. D'autre part, la sociabilité des supporters, en particulier pendant les déplacements en car, est genrée. L'appartenance au groupe de jeunes supporters ultra structure en effet une vie sociale dense dans laquelle ces jeunes hommes affirment leur identité masculine, en particulier en manipulant un répertoire sexiste et homophobe de chants et de blagues.La masculinité du rôle de supporter fonde des rapports de pouvoir au sein du collectif auquel il appartient. On a ainsi pu y observer un partage sexué des tâches, excluant classiquement les filles, pourtant présentes dans le groupe, d'un certain nombre de pratiques valorisantes. Mais outre cette division sexuée du travail, cette enquête révèle l'existence d'un capital de masculinité qui ordonne la division du travail et la réussite entre hommes. Les garçons les moins virils sont également dominés et cantonnés aux tâches les moins gratifiantes.This article is based on a field work conducted from 2001 to 2006 among members of two Ultra groups from Auxerre. The ethnographic study allowed to observe the male construction of the Ultras' role in Auxerre. On the one hand, their supporterism activities are manly assigned: they take root in a body built and designed as manly, and Ultras show their opposition to supporters from rival football clubs through virile activities. On the other hand, the supporters' sociability -particularly during bus travelling- is gendered. Indeed, belonging to the group of young Ultras gives structure to a dense social life, in which these young men claim their manly identity, playing with a repertoire of sexist and homophobe chants and jokes.The masculinity of the supporter's role is the ground for power relationships within the supporters' group. Thus, a sexual sharing of labour could be observed, typically excluding girls, yet present in the group of a number of status-enhancing practices. In addition to the sexual division of labour, this study reveals a fund of masculinity ordering labour sharing and success between men. Boys and those less masculine are also dominated and confined to the less rewarding tasks.
- La construction du rapport à la beauté chez les filles pendant l'enfance : quand les pratiques entrent en contradiction avec les représentations du travail d'embellissement du corps - Martine Court p. 97-110 Cet article s'intéresse à la façon dont les filles constituent leur rapport à l'embellissement du corps durant l'enfance, et aux décalages qui peuvent apparaître dans ce domaine de pratiques entre représentations et conduites effectives. Au cours d'une enquête réalisée auprès d'enfants de CM2, j'ai en effet été amenée à observer qu'en matière d'embellissement du corps, un certain nombre de filles intériorisent des manières d'agir qui ne sont pas conformes à leurs manières de penser. Certaines expriment ainsi un mépris pour la mode, les bijoux, le maquillage ou la coiffure, mais elles accordent néanmoins des soins réguliers à leur beauté. D'autres perçoivent à l'inverse le travail d'embellissement du corps de façon très positive, mais leurs pratiques vestimentaires ou cosmétiques restent pourtant relativement peu coquettes. Cet article se propose de mettre en évidence ces décalages entre représentations et pratiques et de faire apparaître les conditions de socialisation qui les ont rendus possibles, à travers les portraits de deux des enquêtées rencontrées au cours de notre recherche. Il s'agit d'abord de s'attacher à décrire comment les enquêtées se représentent le travail d'embellissement et comment elles se conduisent dans ce domaine de pratiques, puis de montrer comment différents agents de socialisation – les pairs, les médias et les parents – ont contribué à façonner ces pratiques et ces représentations.This article deals with how girls build their relationship with body beautifying processes during childhood and how discrepancies can appear between representations and actual behaviours in that field of practices. A survey amongst ten and eleven years old primary school children showed that, when it comes to body beautifying processes, a number of girls have internalized ways of behaving which do not agree with their ways of thinking. Some of them thus express a certain contempt for fashion, jewellery, make-up and hair styling and yet actively and consistently pay attention to their own beauty. On the other hand, others perceive body beautifying practices in a very positive light, but their own dressing and cosmetic practices remain very basic. This article aims to emphasize such discrepancy cases between representations and practices and to identify the socialization conditions that made possible those discrepancies. It does so through portraits of two of our female surveyees. In each portrait we first try to describe what the surveyees think of beautifying processes and how they behave in that field of practices. We then show that various socialization agents – peers, medias and parents – contribute to shaping those practices and representations.
- Genre et enseignement de l'histoire. Étude de cas dans un Gymnasium de la ville de Hambourg - Alexandra Oeser p. 111-128 À partir d'une étude de cas dans un Gymnasium de Hambourg, cet article traite de la mise en pratique contemporaine dans le cadre scolaire allemand d'une théorie didactique dite de la « pédagogie du bouleversement affectif », relative à la période du nazisme. Des données d'observation ethnographique et des entretiens semi-directifs ont été exploités. Une appropriation genrée par les élèves d'un cadre d'entendement pédagogique basé sur l'émotion aboutit à une projection des filles vers les victimes et une fascination par les bourreaux des garçons. Les pratiques de notation des professeurs punissent ces appropriations masculines gênantes et orientent les garçons vers de nouveaux objets, les victimes. Malgré une valorisation temporaire de l'affectivité à travers la pédagogie du bouleversement affectif, cette contribution montre l'existence d'un cadre stable de stéréotypes sexués relatifs aux capacités d'apprentissage de l'histoire, attribuant « l'émotionalité » aux filles et « la rationalité » aux garçons. En revanche, des marges de manœuvre sont à la disposition des acteurs masculins d'un milieu social favorisé : dévalorisés par le processus de notation, ils acquièrent les qualités valorisées temporairement et dites « féminines » qui permettent de combler l'avantage perdu.
This article analyses the use of a didactic theory called “pedagogy of empathy” within history lessons on nazism in a high-school of the city of Hamburg. Ethnographic observation and semi-directive interviews have been exploited. The appropriation of the pedagogic framework differs between girls and boys, the former tending towards a fascination for the victims of nazism, the latter towards a fascination for the actors. Professors will grade the boys less favourably, thus contributing to a reorientation of their interests towards the victims. This article shows the consistency of gendered stereotypes concerning the “learning capacities” of adolescents: “emotionality” is attributed to girls and despised, “rationality” to boys and valorised. A temporary valorisation of affects within the teaching of nazism does not change the general attributions. It does leave some space of opportunity for masculine agents of upper classes though. Devalorised through bad grades, they acquire the capacities considered as “female” which will allow them to catch up with the girls. - Représentations « genrées » et sexuation des pratiques circassiennes en milieu scolaire - Marie-Carmen Garcia p. 129-143 En Éducation physique sportive (EPS), les arts du cirque sont pensés par les enseignants comme étant à même de favoriser la mixité dans les apprentissages artistiques. Les pratiques circassiennes permettraient d'associer la performance et la virtuosité, qui seraient plutôt du goût des garçons, à l'expressivité et la quête esthétique qui seraient plutôt du goût des filles. Au sein de l'ensemble des exercices physiques à visée artistique, cette image de « mixité » que revêt le cirque, séduit nombre professeurs. Ceux-ci souhaitent trouver, en effet, une alternative à la danse, principale activité expressive en EPS, dont la connotation féminine constitue un obstacle à l'engagement des garçons dans les apprentissages. Ainsi la « mixité » du cirque s'érige-t-elle en contrepoint de la « féminité » de la danse.Il s'agit alors d'analyser la manière dont « féminin » et « masculin » sont élaborés et organisés dans des contextes d'apprentissages circassiens spécifiques. Partant d'une conception du genre selon laquelle celui-ci peut varier en fonction des contextes institutionnels et les groupes sociaux auxquels on a affaire, les analyses s'attachent à détecter des variations significatives des représentations du féminin et du masculin et des modalités de sexuation des pratiques en fonction des objectifs éducatifs que se donnent les enseignants d'EPS qui enseignent les arts de la piste. De manière centrale, l'article montre que dans les cours qui visent la création d'un spectacle, les codifications « genrées » des arts de la scène, particulièrement visibles dans la convocation de l'expressivité théâtrale, conduisent à un mode d'élaboration du genre sensiblement différent de celui observé dans les enseignements chevillés à la culture sportive.In APE (Artistic Physical Education), the circus arts are thought by teachers to favour coeducation in artistic training. Circassian practises would permit the combination of achievement and virtuosity, which would rather appeal to boys, with expressiveness and aesthetic quest, which would rather appeal to girls. Within all the physical exercises having an artistic objective, many teachers are attracted to this image of “coeducation” underlying the circus. Indeed, they wish they could find an alternative to dancing, the major expressive activity in APE the feminine connotation of which hinders the boys' involvement in training. Thus, the “coeducation” of the circus goes against the “femininity” of dancing. We have to analyse the way “he feminine” and “the masculine” are developed and organized within specific Circassian training contexts. Therefore, considering that gender may vary in accordance with the institutional contexts and social groups we have to deal with, analyses attempt to detect significant variations of the representation of the feminine and the masculine and sexualization modes of practises according to the APE teachers' educational objectives. In a significant way, the article shows that in the classes aiming at producing a show, the “gendered” codifications of the performing arts, which are particularly conspicuous in the convening of theatrical expressiveness, lead to a mode of gender development significantly different from the one used in the teaching related to athletic education.
- La division genrée de l'expérience amoureuse. Enquête dans des cités d'habitat social - Isabelle Clair p. 145-160 À l'issue d'une enquête menée pendant plus de deux ans auprès d'une soixantaine de filles et de garçons (15-20 ans) vivant dans quatre cités d'habitat social de la banlieue parisienne, cet article vise à montrer comment l'entrée dans la vie amoureuse tend à reconduire les associations naturalisées sentiments=féminité et sexualité=masculinité, en même temps qu'elle parvient à les troubler en partie.This article is based on ethnographic interviews that were carried out with teenagers (aged 15 to 20) residents in four housing projects located in the suburbs of Paris. It deals with the impact of dating experience on injunctions which rule the social definitions of “feminity” (necessarily sentimental) and “masculinity” (necessarily sexual).
- Supporterisme et masculinité : l'exemple des Ultra à Auxerre - Stéphanie Guyon p. 79-95
3. Arts
- Le genre de « la distinction » : la construction réciproque du genre, de la classe et de la légitimité littéraire dans les pratiques collectives de lecture - Viviane Albenga p. 161-176 À partir de l'observation participante de deux cercles de lecture à Lyon, cet article vise à mettre en évidence la pluralité des usages heuristiques du genre pour analyser les appropriations de ces pratiques collectives de lecture par leurs participants, ainsi que les autoreprésentations qui en découlent en termes de légitimité littéraire. La confrontation du genre comme habitus et du genre comme catégorie de pouvoir (selon la terminologie de Joan Wallach Scott) met au jour l'enjeu de distinction sociale à l'œuvre dans ces cercles de lecture, et par-là même, le rôle du genre dans les rapports sociaux de classe. Cet enjeu s'accompagne cependant d'usages sociaux de la lecture décalés par rapport à l'idéal de légitimité littéraire, usages qui se révèlent susceptibles de recomposer les habitus de genre.By focusing on observations of two reader clubs in contemporary France, in Lyon, this article aims at showing how gender can be used in different useful ways to enlighten appropriations of these public reading practices by their members, and the way they represent to themselves their own literary legitimacy. So, considering gender both as a habitus and as a power category (as defined by Joan Wallach Scott) enables to emphasize an important stake of social distinction in these reader clubs; and more generally, the way gender takes part in class relationships. However, this stake of social distinction does not prevent members of reader clubs from detaching themselves of the ideal of literary legitimacy in some of their reading practices. These practices can be likely to reform gender habitus.
- Des discours aux pratiques, comment approcher la réalité des rapports de sexe ? : Genre et professions artistiques au XIXe siècle - Séverine Sofio p. 177-193 Pour les sociologues, travailler sur une période historique nécessite une attention particulière au hiatus entre discours et pratiques, les premiers tendant généralement sinon à occulter, du moins à biaiser la compréhension que l'on peut avoir des secondes. L'étude des rapports sociaux de sexe et de la situation des femmes dans un champ donné présente ainsi un certain nombre de pièges, dans ce domaine, qu'il convient d'éviter en accordant toute son importance à la polysémie du concept de genre qui recouvre à la fois les différences socialement construites entre les sexes et la manière dont ces différences imprègnent les représentations. Il s'agit ainsi de revenir tant sur ces difficultés que sur un certain nombre d'idées reçues, à travers l'exemple de l'analyse des trajectoires de plasticiennes dans le champ de l'art de la première moitié du XIXe siècle.To work on a historical period requires, for sociologists, a particular attention to the hiatus between discourses and practises, the first ones tending to dodge, if not occult, the understanding of the second ones. The study of social relationships between sexes and the situation of women in a given field therefore presents a number of traps, which must be avoided by giving its full importance to the polysemy of the concept of genre which covers both the socially constructed differences between sexes and the way these differences impregnate representations. The point is to look back on these difficulties as well as on a number of preconceived ideas, through the example of an analysis of the trajectories of female plastics artists in the art field of the first half of the XIXth century.
- Mal du siècle et mal du « sexe » dans la première moitié du XIXe siècle. Les identités sexuées romantiques aux prises avec le réel - Deborah Gutermann p. 195-210 Le discours romantique qui émerge à l'aube du XIXe siècle propose une critique des mœurs et de la morale bourgeoises qui conduit à la construction d'une masculinité et d'une féminité types qui fonctionnent comme des « contre-modèles ». Au schéma patriarcal, qui scelle la domination masculine, s'opposerait un modèle équivoque au sein duquel la virilité est réinventée tandis que les attributs de la féminité sont largement questionnés. Mais si les rapports de sexes sont repensés et idéalisés dans un mouvement général de valorisation du sentiment, renversent-ils pour autant les rapports de domination ancrés dans l'imaginaire social?The Romantic discourse that emerged at the dawn of the XIXth century was critical of the bourgeois uses and morals and led to an ideal type of masculinity and femininity which operated as counterpoints. Hence an equivocal model within which virility was reinvented and femininity's attributes largely questioned opposed the patriarchal model which sealed masculine domination. However, if gender relations were re-envisaged and idealized in a general move that enhanced the value of feelings, can it be said that they reversed the domination relations anchored in society's imagination?
- Le genre de « la distinction » : la construction réciproque du genre, de la classe et de la légitimité littéraire dans les pratiques collectives de lecture - Viviane Albenga p. 161-176
4. Politique
- Discours conservateurs, pratiques novatrices - Magali Della Sudda p. 211-231 En s'intéressant à la principale ligue féminine française du début du siècle dernier, la Ligue patriotique des Françaises (LPDF), il s'agit de mettre au jour l'apparente contradiction entre, d'une part, des discours conservateurs sur le plan politique et, d'autre part, les pratiques parfois novatrices de certaines Catholiques. La LPDF, qui comptait plus d'un million et demi en 1933, a représenté pour de nombreuses Catholiques un lieu de politisation qui explique, pour partie, le comportement électoral des femmes lors des premières consultations. Sous la contrainte de la loi de 1901, et au nom de la défense de la religion et du conservatisme, les militantes ont contribué à la modernisation du système politique en s'appropriant certaines techniques de la démocratie partisane de masse et en reconvertissant des savoir-faire acquis à travers leur expérience religieuse. Apparaît ainsi au début du XXe siècle la femme politique moderne, conservatrice certes, mais capable de financer les candidats, de formuler des propositions politiques, voire de promouvoir certaines réformes sociales.This article studies the major French feminine league, at the beginning of the 20th century : the Ligue patriotique des Françaises (LPDF). The point is to highlight the apparent contradiction between, on the one hand, conservative political statements, and, on the other hand, the sometimes innovative practices of certain Catholic women. The LPDF, which was a million and a half strong in 1933, has represented a place of politization for many Catholic women, which partly explains the electoral behaviour of women when they first could vote. Under the constraint of the 1901 Law, and in the name of the defence of religion and conservatism, the militants have contributed to the modernization of the political system by appropriating certain techniques of mass followers democracy and by converting the know-how they had acquired through their experience in religious matters. Thus appeared, at the beginning of the 20th century, the modern political woman, conservative of course, yet able to finance candidates, to express political propositions, even to promote certain social reforms.
- Quand le genre entre en crise (politique)... Les effets biographiques du militantisme en Mai-68 - Julie Pagis p. 233-249 Cet article traite de l'influence du genre sur les conséquences biographiques de la participation aux « événements de Mai-68 » à partir d'une enquête menée auprès de deux cents familles dans lesquelles l'un des parents, au moins, a participé à ces événements en France. La question classique de la constitution de générations est ainsi revisitée sous l'angle du genre.Afin d'analyser l'influence du genre sur le rôle de politisation de l'événement Mai-68, la première partie expose le processus de socialisation politique primaire des enquêtés et montre que le genre façonne le type de compétences acquises pendant la socialisation primaire et mobilisables dans la sphère politique.Au-delà du nombre d'entrées en politique avec Mai-68 (plus important pour les femmes), le genre joue également sur les formes de politisation : une grande majorité des enquêtées investissent les mouvements féministes (contre une minorité des hommes), s'attaquant alors aux rapports sociaux de sexe. Elles participent à l'invention d'un nouvel « habitus féminin », tandis que l'« habitus masculin » apparaît moins affecté de ces événements, d'où des effets de Mai-68 vécus – objectivement et subjectivement – différemment selon le sexe.La deuxième partie pose la question de l'existence de générations genrées. Les femmes du corpus attribuent à Mai-68 un effet plus important que les hommes sur leurs idées politiques actuelles, l'éducation donnée à leurs enfants ou leur vision du couple et sont plus nombreuses à se revendiquer d'une « génération 1968 ». Il s'agit alors de s'interroger sur l'influence du genre sur le processus de reconstruction biographique : la dévalorisation du militantisme d'extrême gauche dès le milieu des années Soixante-dix rend bien plus difficile, pour la majorité des hommes de notre corpus, le travail de mise en cohérence de leurs engagements passés avec leurs devenirs actuels : il n'y a pas d'équivalent du mouvement des femmes et de ses retombées pour se donner une « nouvelle identité » dans le prolongement de Mai-68, autour de laquelle mettre en cohérence sa trajectoire biographique.Mais l'avantage relatif des femmes sur les hommes dans la revendication d'un passé « soixante-huitard » est par la suite nuancé : leur émancipation a un prix, celui du rejet de la part de certains hommes, ou de membres de leur famille, car elles ne correspondent souvent plus aux normes de genre, aux représentations du féminin, intériorisées par ces derniers. De plus, la reconversion des savoir-faire politiques acquis avec le militantisme avantage les hommes qui ont pu facilement utiliser leurs compétences d'organisation, de leadership, d'encadrement dans la sphère professionnelle tandis que le capital militant féminin, moins légitime, n'aura pas trouvé la même équivalence sociale sur le marché du travail (et sera plutôt reconverti dans la sphère privée et/ou la sphère du care). Le processus genré de reconversion du capital militant dans la sphère professionnelle va donc plutôt dans le sens d'un reclassement des hommes et d'un déclassement des femmes.In this article we discuss how gender has influenced the biographical consequences of participation in the “events of May-68”, based on a survey of two-hundred families in which at least one of the parents took part in these events in France. Therefore, this work revisits the classic issue of generation-shaping from a gender perspective.In order to analyse the influence of gender on the politicizing role of the May-68 events, we initially look back at the process which drove the primary political socialization of our interviewees and we show that gender shapes the type of competences acquired in the course of this primary socialization and which can be summoned in the political sphere. Beyond the sheer number of entries into politics coinciding with participation in May-68 (higher in the case of women), gender also affects the form of politicization itself: A significant majority of my female interviewees (as opposed to a minority of the male ones) became involved in the feminist movements and challenged the social relationship between the sexes. They contributed to the creation of a new feminine habitus, while the masculine habitus emerged less affected from these events, hence the different perception – both objective and subjective – of the consequences of May-68 by each of the sexes.The second part questions the existence of gendered generations. In contrast to their male counterparts, the women in our sample credit May-68 with a more influential effect on their current political ideas, the education they chose for their children and their vision of life as a couple, and they are also more numerous to assert their belonging to a “1968 generation”. We then show how gender influences the biographical reconstruction process. The devaluation of far-left militancy as soon as the mid-Seventies makes it far more difficult for the men in our panel to work out some form of coherence between their past involvements and their present circumstances: In the aftermath of May-68, they find themselves unable to benefit from any equivalent of the feminist movement and its consequences that could grant them a ‘new identity' around which to coherently structure their biographical trajectories.However, the relative advantage of women over men in asserting a “May 68” past has to be moderated: Women's emancipation, as we show, comes at a price, namely their rejection by some men and members of their family because they no longer fit into the interiorised gender norms and representations of femininity. Furthermore, men find it easier to convert the political skills they acquired as militants into organizational, leadership and management competences within the professional sphere, whereas women struggle to find the same social recognition in the job market for their corresponding – albeit less legitimate – militant asset (these tend to be redeployed in the private and/or the caring sphere). Therefore, the gendered process behind the redeployment of this militant asset in the professional sphere operates preferably in a way that promotes men and demotes women.
- Comment devenir un(e) professionnel(le) de la politique ? : L'apprentissage des rôles au Conseil régional d'île-de-France - Delphine Dulong, Frédérique Matonti p. 251-267 À partir d'une enquête de terrain de plusieurs années, Delphine Dulong et Frédérique Matonti, analysent la professionnalisation – ou au contraire les processus d'auto-éviction – des nouveaux et des nouvelles élu(e)s au Conseil régional d'Île-de-France. Les femmes, comme l'imaginaient les promoteurs de la parité, feraient-elles de la politique autrement ? L'observation des séances plénières ou des commissions de travail font valoir qu'à ressources sociales, scolaires, et politiques équivalentes, le genre n'a pas d'effet propre... à une exception près. En effet, la prise de parole en public continue à être un exercice « masculin » – ils s'y prêtent beaucoup plus souvent et avec beaucoup plus de plaisir que les femmes et ils en ont taillé au fil du temps les obligations. Mais cette petite différence a de grandes conséquences : la visibilité des femmes, et par conséquent leurs opportunités de monter dans la hiérarchie partisane, reposent en partie sur la prise de parole publique.Based on a field survey over a span of several years, Delphine Dulong and Frédérique Matonti analyse the professionnalisation – or, on the contrary, the processes of self-eviction –of newly elected members at the Regional Council of Île-de-France. Would women, as the advocates of parity had imagined, make politics differently? The observation of plenary meetings and work committees show that, with equal social, educational and political ressources, gender has no proper effect... with one exception. To speak in public is still definitely a « male » exercise – men do it quite more often and with much more pleasure than women, and have tailored its obligations through time. But this small difference has big consequences the visibility of women, and, consequently, their opportunities to raise in the hierarchy, partly rest on the ability to speak in public.
- La fabrication d'un mouvement social sexué : pratiques et discours de lutte - Xavier Dunezat p. 269-283 À partir d'une enquête ethnographique dans deux luttes de chômeurs et chômeuses en Bretagne en 1997-1998, cet article analyse les modes de perception de la domination masculine repérée dans les mobilisations observées. Celles-ci apparaissent comme des processus qui contribuent à fabriquer la sexuation du social mais aussi un rapport à cette sexuation, en fonction de la dimension collective de la lutte. L'article revient aussi sur la constitution, dans un mouvement social non féministe, d'un « sujet social femmes » (Danièle Kergoat).Starting from an ethnographic investigation in two fights of unemployed persons in Brittany in 1997-1998, this article analyzes the modes of perception of the male domination located in the mobilizations observed. Those appear as processes which contribute to manufacture not only the sexuation of social order but also a relation to this sexuation, according to collective dimension of the fight. The article also reconsiders the constitution, in a nonfeminist social movement, of a “social subject women” (Danièle Kergoat).
- Pour ne pas en finir avec le « genre »... Table ronde - Judith Butler, Éric Fassin, Joan Wallach Scott p. 285-306
- Discours conservateurs, pratiques novatrices - Magali Della Sudda p. 211-231
Lectures
- Lectures - p. 307-320
Hors cadre
- L'émergence de la culture moderne de l'image dans l'Algérie musulmane contemporaine (Alger, 1880-1980) - Omar Carlier p. 321-352
- Les jeux sur les ondes de la Libération aux années Soixante-dix : grandeur et décadence d'un genre radiophonique - Marie-Paule Schmitt p. 353-369