Contenu du sommaire : Dossier : Les partis islamistes ont-ils vraiment changé ?
Revue | L'année du Maghreb |
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Numéro | no 22, 2020 |
Titre du numéro | Dossier : Les partis islamistes ont-ils vraiment changé ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial : Déconfiner les approches, les esprits et les espaces - Katia Boissevain, Vincent Geisser, Céline Lesourd p. 3-8
Les partis islamistes ont-ils vraiment changé ? La «modération» au crible des sciences sociales
- Introduction : L'intégration politique des islamistesPerspective critique de la thèse de « l'inclusion-modération » - Alia Gana p. 11-22
Les partis islamistes au prisme de la participation : quelle modération ?
- Les députés islamistes algériens (2012-2017) : ce que le passage à l'opposition fait à « la modération » - Belkacem Benzenine p. 25-40 À partir des élections législatives algériennes de 2012, les partis islamistes décident de ne plus faire partie au gouvernement et choisissent le rang de l'opposition. Dans la continuité de la ligne de la modération, les députés islamistes utilisent l'espace parlementaire comme tribune de contestation de l'action gouvernementale. À partir d'un corpus des débats de l'Assemblée nationale algérienne, cet article montre comment les députés islamistes agissent pour défendre leur ligne politique tout en se montrant attachés au principe de la modération.As of the 2012 Algerian legislative elections, the Islamist parties decide to leave the government and choose the rank of the opposition. Maintaining continuity with the line of moderation, Islamist MPs use the parliamentary space as a forum for challenging government action. Based on a corpus of debates in the Algerian National Assembly, this article shows how Islamist MPs operate to defend their political line while showing their commitment to the principle of moderation.
- Trajectoire d'un parti islamiste dans l'Algérie post-guerre civile. Le cas du Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) - Claire Dupuy-Lorvin Les positionnements et choix politiques du Mouvement de la société pour la paix (MSP) depuis la suspension du processus électoral en 1992 sont conditionnés à la fois par la place que l'État algérien alloue aux partis islamistes en général, mais aussi par ses relations avec les autres formations islamistes entre stratégies de distinction et alliances. Si le principe de musharaka (participation) justifie dès l'origine la participation du MSP aux institutions en place, c'est son inclusion dans le jeu politique qui le pousse à adopter une approche davantage modérée allant jusqu'à prôner dès le milieu des années 1990, le concept de wasatiya (centrisme). Après quinze années au sein d'une coalition gouvernementale auprès de partis soutenant la présidence, le MSP rejoint l'opposition parlementaire en 2011. Ce repositionnement, loin d'être un signe de radicalisation du mouvement, peut au contraire être perçu comme un renforcement d'une approche modérée du parti qui continue à suivre les règles du jeu institutionnel tout en demandant une démocratisation du système en place.The positions and political choices of the Society for Peace Movement (MSP), since the suspension of the electoral process in 1992, are conditioned both by the place that the Algerian State allocates to Islamist parties in general, and by its relations with other Islamist formations, which oscillate between strategies of distinction and of alliances. The principle of musharaka (participation) justifies from the outset the participation of the MSP in the institutions in place, but its inclusion in the political game encourages it to adopt a moderate approach, which go as far as -from the middle of the 1990's-advocating the concept of wasatiya (centrism). After fifteen years in a government coalition with parties supporting the presidency, the MSP joined the parliamentary opposition in 2011. This repositioning, far from being a sign of radicalisation of the movement, can on the contrary be perceived as a reinforcement of a moderate approach of the party which continues to follow the rules of the institutional game while demanding a democratisation of the system in place.
- Les salafistes marocains et la reconfiguration politico-religieuse post-2011 : fluctuation entre (dé)politisation, radicalisation et intégration - Salim Hmimnat L'article examine les rapports complexes et fluctuants du régime marocain avec le courant salafiste depuis les années 1970 et jusqu'à l'événement du « printemps arabe ». À chaque moment de cette évolution, le régime a souvent opté pour une approche pragmatique qui vise à se servir de ce courant pour répondre à des exigences et priorités d'ordre politique et sécuritaire. Dix ans après la rupture avec les salafistes, quiétistes et djihadistes, suspectés d'être impliqués dans les attentats de Casablanca en 2003, le régime tente désormais de renouer avec eux dans une perspective de les réinsérer, ou du moins les neutraliser, dans le processus de reconfiguration politico-religieux en cours. Cette réconciliation, qui a pour objectif tactique de désamorcer les tensions sociopolitiques, de dépasser l'incertitude que connait le pays et de contrebalancer la montée au pouvoir des islamistes depuis 2011, risque néanmoins de mettre à l'épreuve certains choix idéologiques et doctrinaux qui avaient jusqu'alors encadré l'islam marocain orthodoxe post-2003.The article examines the complex and fluctuant relationship which exists between the Moroccan regime and salafists from the 1970s until the ‘Arab Spring'. In each moment of this evolution, the regime opts for a pragmatic approach which consists in using this religious trend to meet pressing demands and priorities of a political and security nature. Ten years after breaking up with salafist groups, both quietists and jihadists, suspected to be responsible for the 2003 Casablanca attacks, the regime seeks henceforth to reconcile with salafis with the purpose to integrate them, or at least neutralise them, in the ongoing politico-religious reconfiguration process. Yet, this reconciliation, which aims to defuse the socio-political tensions and uncertainty the country has experienced in the aftermath of 2011 in addition to counterbalance the Islamists rising to power, is likely to challenge or even contradict certain ideological and doctrinal choices that have hitherto framed the religious policy since 2003.
- De la « modération » chez des cadres du Parti de la justice et du développement au Maroc : réhabiliter la religion/l'idéologie dans l'analyse de l'islamisme - Haoues Seniguer, Hassan Zouaoui p. 77-95 Les islamistes marocains du Parti de la justice et du développement (PJD) constituent un objet d'analyse et de mise à l'épreuve de la pertinence du qualificatif « modéré/modération ». Celui-ci est largement mobilisé dans la littérature francophone et surtout anglophone consacrée à l'islamisme partisan légal. Cette terminologie, aux accents normatifs, n'est pas sans poser problème. En effet, celle-ci est utilisée par les acteurs eux-mêmes de façon méliorative. Ainsi, dans l'analyse académique, qui reprend le mot/adjectif en question, s'instaure une confusion : d'un côté, entre la conversion progressive aux modes d'action légalistes d'acteurs donnés de l'islamisme, et de l'autre, la fin présumée de l'idéologie, au sens de renoncement définitif aux croisades morales et religieuses dans la sphère institutionnelle. En effet, une sorte de lien mécanique est postulé entre les deux processus, alors qu'ils apparaissent dans bien des cas distincts. Partant, c'est principalement ce double aspect qu'il s'agit d'interroger, afin de mettre en évidence les limites épistémologiques du terme « modération » et les ambivalences du mouvement islamiste légaliste qui peut y recourir pour s'auto-définir. Nous constatons, en définitive, que le PJD n'a pas renoncé, via certains de ses principaux doctrinaires et leaders, à vouloir imposer ou maintenir, en politique et en société, une conception conservatrice de la religion, voire discriminatoire, sans nécessairement user de moyens illégaux. D'où l'importance d'analyser la place de la théologie morale dans l'action politique des islamistes.The Moroccan Islamists of Justice and Development Party constitute an interesting object for testing the relevance of the term moderate/moderation. This process is sometimes used in French and more often in English literature devoted to legal partisan Islamism. However this terminology is very problematic as it reifies an activist use. Indeed, there is some confusion between two different processes : on the one hand, the legalism of the Islamists who take part in Institutions ; and on the other hand, their renunciation to moral crusades in the political sphere. We would also like to show that the Islamists of JDP didn't really give up on the moral crusades in the official political arena. Hence the importance of taking into account the status of the moral Theology in their weight in political action.
- La « modération » entre injonction et réappropriation : reconfiguration du mouvement islamiste tunisien en France (1981-2011) - Mathilde Zederman p. 97-110 En prenant de la distance avec les définitions substantielles de la modération des islamistes, et en replaçant la catégorie de la modération au sein d'une configuration sociopolitique et nationale particulière – celle de l'exil des islamistes tunisiens d'Ennahdha en France (1981-2011) –, l'objectif de cet article est d'éclairer le fait que les désignations et identifications d'acteurs comme « modérés » sont contextuelles, évolutives et soumises à réappropriation ou à contestation. L'article démontre que si l'étiquette de modéré a permis à l'organisation islamiste de survivre en contexte migratoire, elle n'en soulève pas moins des clivages au sein de la mouvance. En effet, la revendication de modération opère alors comme tactique de distinction et produit des effets de légitimation pour un mouvement en quête de normalisation. Celle-ci se traduit par une oscillation entre stratégies d'accommodement et stratégies de rupture vis-à-vis du régime autoritaire tunisien et vis-à-vis des autres forces de l'opposition, menant à des dissensions internes décisives pour l'évolution du mouvement.Far from substantial definitions of Islamist moderation, and by locating this category within a specific socio-political and national configuration – that of the Islamist Tunisian exile of Ennahdha in France (1981-2011) – this article aims to show that the designation and identification of actors as moderate are contextual, evolving and can be re-appropriated or contested. The article demonstrates that the moderation label has allowed the Islamist organisation to survive in a migratory context, but also reveals its internal divisions. Claims of moderation serve some strategies of distinction, and produce effects of legitimation for a movement in quest for normalisation. This search for normalisation results in a delicate balance between compromise and rupture towards the Tunisian authoritarian regime and towards other oppositional forces, fuelling decisive disagreements within the movement.
- Les députés islamistes algériens (2012-2017) : ce que le passage à l'opposition fait à « la modération » - Belkacem Benzenine p. 25-40
Les islamistes à l'épreuve de la spécialisation : la renégociation conflictuelle des frontières entre le politique et le religieux
- Ennahdha et l'essor des associations islamiques en Tunisie : revendiquer l'islam politique au-delà de la dimension partisane ? - Ester Sigillò p. 113-129 Après la chute du régime de Ben Ali en 2011, l'ouverture d'opportunités sociopolitiques a permis l'émergence de nouvelles formes d'engagement islamique en parallèle à la légalisation du parti Ennahdha. Cet article aborde le positionnement des nouvelles associations à référence religieuse vis-à-vis de l'évolution de l'agenda islamiste du parti islamiste, de 2011 aux élections de 2019. L'analyse se focalise en particulier sur l'inscription de ces associations dans les dynamiques de transformation idéologique du parti, dont le point culminant est la décision, lors du Xe Congrès du parti en 2016, de séparer les activités partisanes de celles à dimension religieuse. Basé sur un terrain de longue durée dans quatre gouvernorats du pays, cet article souhaite contribuer à la littérature sur les transformations de l'islam politique à travers l'entrée du milieu associatif à référent religieux, tout en mettant en lumière la spécificité du contexte tunisien. Ainsi, il s'agit de cerner la pluralisation des formes de mobilisation, au-delà de la sphère partisane, en interrogeant de manière critique les travaux fondés sur une analyse linéaire et monodimensionnelle de la transformation du mouvement islamiste tunisien. En effet, notre étude met au jour des dynamiques relationnelles complexes qui existent entre le parti et des activistes engagés hors du parti, qui relèvent de formes hétérogènes du militantisme islamique.After the fall of Ben Ali's regime in 2011, the opening of socio-political opportunities allowed the emergence of new forms of Islamic engagement in parallel with the legalization of the Ennahdha party. This article addresses the positioning of new religious associations vis-à-vis the evolution of the party's Islamist agenda, from 2011 until the elections of 2019. The analysis focuses in particular on how religious associations have reacted to the party's ideological transformation, which culminated with the decision, taken at the party's tenth Congress in 2016, to separate politics from religious activities. Based on immersive fieldwork in four regions of the country, this article wishes to contribute to the literature on the transformations of political Islam through the entry point of the study of religious associations, by highlighting the specificity of the Tunisian context. Thus, this article points out the pluralisation of the mobilisation practices beyond the partisan sphere, by critically questioning the academic works based on a linear and one-dimensional analysis of the transformation of the Tunisian Islamist movement. Indeed, this study reveals that complex relational dynamics exist between the party and those activists engaged outside the partisan sphere, which ultimately shape heterogeneous forms of Islamic militancy.
- Intégration politique des partis islamistes et processus de « spécialisation » : perspective comparée Tunisie-Maroc - Anca Munteanu p. 131-148 Au Maroc, comme en Tunisie, l'intégration politique des deux principaux partis islamistes a donné lieu à un projet de « spécialisation » visant à introduire une distinction entre les activités partisanes et les activités associatives et de prédication. S'appuyant sur une mise en perspective des trajectoires du parti Ennahdha et du PJD marocain, cet article propose de mettre en évidence les différences dans les processus de « spécialisation » initiés par les deux partis. Cette transformation est analysée ici comme renvoyant à une séparation entre les militants politiques et les prédicateurs. Il s'agit de souligner les relations complexes entre le PJD et le MUR, ainsi qu'entre les militants d'Ennahdha et le milieu associatif à l'aune de la « spécialisation ». Il s'agit également de cerner le phénomène de circulation des membres des différentes organisations entre le domaine politique et la sphère de l'action sociale et religieuse. L'analyse fait ressortir que dans les deux cas étudiés la « spécialisation » ne conduit pas à une séparation effective entre l'action partisane et l'activité sociale et de prédication et n'élimine pas la porosité des frontières entre le politique et le religieux.In Morocco, as in Tunisia, the political integration of the two main Islamist parties has given rise to a project of «specialisation» aimed at introducing a distinction between partisan activities and associative and preaching activities. Starting from the trajectories of the Ennahdha party and the Moroccan PJD, this article proposes to highlight the differences in the «specialization» processes initiated by the two parties. This transformation is analysed here as referring to a separation between political activists and preachers. It underlines the complex relations between the PJD and the MUR, as well as between the militants of Ennahdha and the associative field in the light of the «specialisation». It also identifies the phenomenon of movement of members of different organisations between the political domain and the sphere of social and religious action. The analysis shows that in the two studied cases the «specialisation» does not lead to an effective separation between partisan action and social and preaching activity and does not eliminate the porosity of the limits between politics and religion.
- Ennahdha et les salafistes : la construction relationnelle de la « modération » - Théo Blanc p. 149-167 Parti islamiste de gouvernement, Ennahdha semble s'inscrire parfaitement dans le schéma prédit par la théorie de la modération selon lequel l'inclusion politique produit des acteurs « modérés ». Cet article invite à dépasser la lecture institutionnaliste de la théorie de l'inclusion-modération et la lecture asymétrique de la théorie de la coopération-modération en montrant comment la modération d'Ennahdha s'est négociée dans un double rapport de force entre acteurs séculiers et acteurs islamiques « radicaux » (salafistes). Le propos s'inscrit en continuité avec la théorie de « la modération par l'exclusion » (Cavatorta et Merone, 2013) en montrant que (1) la modération d'Ennahdha a largement précédé l'inclusion, (2) que la dynamique de coopération-modération avec Nidaa Tounès s'est appuyée sur un processus d'exclusion des « radicaux », et également que (3) la théorie de la modération n'est pas applicable à la plateforme sociale des partis. L'argument central est que la modération d'Ennahdha, définie comme l'acceptation d'un système civil et démocratique, n'a consisté ni en un simple ajustement stratégique découlant de l'inclusion, ni en un processus inclusif exerçant une force centripète sur le champ islamique et transformant les « radicaux » en « modérés » comme le postulait la théorie, mais plutôt en un processus centrifuge de mise à distance des éléments « radicaux ».A governing Islamist party, Ennahdha seems to perfectly fit the model predicted by the moderation theory according to which political inclusion generates ‘moderate' actors. This article proposes to go beyond the institutionalist lens of the inclusion-moderation theory and the asymmetrical approach of the cooperation-moderation theory by pointing out how Ennahdha's moderation was articulated in a double pressure between secular actors and radical Islamic actors (Salafis). The argument, in line with the “moderation through exclusion” theory (Cavatorta and Merone, 2013), shows that (1) Ennahdha's moderation largely preceded inclusion, (2) the cooperation-moderation dynamic with Nidaa Tounès was based on the exclusion of the ‘radicals' and (3) the moderation theory does not apply to the party's social platform. Accordingly, Ennahdha's moderation defined as the acceptation of a civil democratic system consisted neither in a mere strategic adjustment following inclusion nor in an inclusive process exerting a centripetal force on the Islamic field turning ‘radicals' into ‘moderate', but rather in a centrifugal process pushing ‘radicals' away.
- Les Frères musulmans égyptiens face à la pluralisation de l'offre militante islamiste - Clément Steuer p. 169-184 La trajectoire des Frères musulmans égyptiens confrontés à la pluralisation de l'offre militante islamiste permet d'examiner les effets de l'intégration sur l'un des aspects de la modération : la séparation de la politique et du religieux. Cette intégration a produit des effets contradictoires sur les Frères musulmans : d'une part, elle a renforcé l'idée d'une séparation accrue des activités religieuses et politiques, ne serait-ce que pour se conformer à la loi ; de l'autre, la compétition électorale les a incités à mobiliser les ressources religieuses dans le champ politique. Cette étude de cas plaide en faveur d'une déconstruction tant des notions de modération que d'intégration, pour s'intéresser à des facteurs contextuels plus précis et à des hypothèses de portée explicative plus modeste.The trajectory of the Egyptian Muslim Brothers confronted with the pluralisation of the Islamist offer makes it possible to examine the effects of integration on this of the many aspects of moderation, understood as the separation of politics and religion. This integration has produced contradictory effects on the Muslim Brotherhood. On the one hand, it has reinforced the idea of an increased separation of religious and political activities, be it only to comply with the law. On the other hand, electoral competition has encouraged the mobilisation of religious resources in the political field. This case study argues in favor of the deconstruction of both concepts of moderation and integration in order to focus on stricter contextual factors and simpler explanatory hypotheses.
- L'intégration politique des islamistes tunisiens via les syndicats - Anna Grasso p. 185-201 En Tunisie, après la révolution du 14 janvier 2011, le parti Ennahdha s'est imposé comme acteur majeur de la politique tunisienne. L'objectif de cette publication est d'examiner l'évolution des relations de ce parti avec le champ syndical tunisien avant et après la révolution. Ainsi, nous avons étudié le rapport du parti islamiste avec deux centrales syndicales et les syndicats d'imâms qui y sont affiliés. Ces deux centrales sont : l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) – principale centrale syndicale du pays créée en 1946 – et l'Organisation Tunisienne du Travail (OTT) – centrale syndicale créée en 2013, proche de l'idéologie islamiste. Cette analyse permet de constater les difficultés et les raisons de l'échec d'Ennahdha à avoir une véritable influence dans le champ syndical tunisien.In Tunisia, following the January 14th 2011 «revolution», the Ennahdha party has established itself as a major player in Tunisian politics. The scope of this publication is to examine the evolution of this party's relations with the Tunisian trade union field before and after the revolution. In order to do so, we studied the relationship between the Islamist party and two trade unions, as well as the imam unions which are associated to them. These two trade unions are: the Tunisian General Labour Union (UGTT) - the main trade union of the country, created in 1946 - and the Tunisian Labour Organisation (OTT) – a trade union created in 2013, close to the Islamist ideology. This analysis reveals the difficulties and the causes for Ennahdha's failure to have a real influence in the Tunisian trade union field.
- Du cadre d'action collective au programme partisan : ancrages patronaux des islamismes en Turquie et en Tunisie - Dilek Yankaya p. 203-222 Cet article explore la manière dont les représentations économiques de partis islamistes sont fabriquées par le prisme des rapports à l'économie des réseaux militants. L'analyse porte sur Ennahdha en Tunisie et le Parti de la justice et du développement en Turquie, dont les programmes sont constatés de n'apporter aucun modèle de développement alternatif et de faire du rapport à l'islam un élément de rhétorique. Au lieu d'évaluer l'échec ou la réussite de ces mouvements par l'influence d'une orthodoxie religieuse, le texte s'intéresse au travail de cadrage effectué par les milieux partisans en interaction avec leurs propriétés sociales et à des temporalités et échelles d'action spécifiques. Après avoir montré comment les différences d'implantation socioéconomique des mouvements islamistes turc et tunisien révèlent les divergences des modalités de la politisation de l'économie, l'article signale qu'une fois mobilisé, les milieux patronaux occupent une place prépondérante dans le mouvement à titre de praticiens de la matérialisation de son cadre et en raison de leur multipositionnalité.This article explores how economic representations of Islamist parties are constructed through the prism of the relations of militant networks to the economy. The analysis focuses on Ennahdha in Tunisia and the Justice and Development Party in Turkey, whose programs are seen to bring no model of alternative development and to make the Islamic reference an element of rhetoric. Instead of evaluating the failure or success of these movements by the influence of a religious orthodoxy, the text focuses on the framing work carried out by partisan groups in interaction with their social properties and according to specific temporalities and scales of action. After having shown how the differences in socio-economic implantation of the Turkish and Tunisian Islamist movements reveal the divergences in the modalities of the politicisation of the economy, the article indicates that once mobilised, the partisan businessmen occupy a front seat place in the movement as actors of the materialisation of its framework, made possible by their multipositionality.
- Ennahdha et l'essor des associations islamiques en Tunisie : revendiquer l'islam politique au-delà de la dimension partisane ? - Ester Sigillò p. 113-129
Conclusion du dossier
- Idéologie et religion dans les partis islamistes contemporains - Myriam Aït-Aoudia p. 223-230
Varia
- Réflexions sur la déchéance de nationalité en contexte terroriste – (pluri)appartenance et (sous)citoyenneté en France et au Maghreb - Delphine Perrin p. 233-250 Depuis plus de vingt ans, les actes terroristes se sont développés et diffusés, touchant de nombreuses parties du monde, dans un contexte post-guerre froide, marqué par une violence disséminée et déterritorialisée (Badie, 2016). La plupart des attentats affectant l'espace euro-méditerranéen, ainsi que l'Afrique et le Moyen-Orient, se revendique d'une guerre de civilisations, d'un islamisme djihadiste associé à divers groupes tels qu'Al-Qaïda et depuis plus récemment l'autoproclamé « État islamique » (aussi connu sous le nom de Daesh). Ils sont généralement commis par des nationaux qui frappent leur propre pays. Si leurs profils sont variés, certains d'entre eux sont dotés d'une seconde nationalité et, en Europe, ils ont souvent des origines familiales étrangères. Tandis que le terrorisme qui avait affecté l'Europe pendant la guerre froide (la Fraction armée rouge en République fédérale d'Allemagne, les Brigades rouges en Italie, Action directe en France) avait été abordé sous un angle endogène, sans mettre en jeu la question de la nationalité en dépit d'un ancrage politique déjà transnational, la mise en cause de l'appartenance nationale constitue un biais primordial par lequel une majorité d'États européens s'attaque au « nouveau terrorisme » qui les affecte. Les pays maghrébins, eux aussi frappés et concernés, abordent relativement peu le terrorisme sous cet angle. La variable « islamiste » est-elle susceptible d'expliquer l'évolution du cadre et de l'utilisation de la déchéance de nationalité, et les variations d'approche entre les États du pourtour méditerranéen ?For more than twenty years, terrorist acts have multiplied and spread, affecting many parts of the world, in a post-Cold War context marked by disseminated and deterritorialized violence (Badie, 2016). Most of the attacks affecting the Euro-Mediterranean space, as well as Africa and the Middle East, are claimed to be conducted in the name of a war between civilizations, by jihadist Islamists associated with various groups such as Al Qaeda, and more recently by the self-proclaimed «Islamic State» (also known as Daesh). They are generally committed by European nationals who strike their own country. Even though their profile vary, some are bi-nationals and, in Europe, they often have foreign family origins. The form of terrorism which had affected Europe during the Cold War (the Red Army Fraction in the Federal Republic of Germany, the Red Brigades in Italy, or Direct Action in France) had been handled from an endogenous angle, without bringing the issue of nationality into question despite a similar transnational political situation. In the case of this “new terrorism”, most European states envisage the problem through the central question of national affiliation. In contrast, the Maghreb countries, who are also confronted with the problem of terrorism, do not generally approach it from this angle. Is the variable «Islamist» likely to explain the evolution of the legal framework and the use of forfeiture of nationality, as well as the various approaches between the States around the Mediterranean?
- Logiques autoritaires et transformation démocratique en Tunisie: le cas du président de l'Assemblée des Représentants du Peuple (2014-2019) - Mohamed Limam p. 251-261 Le personnel de l'ancien régime s'est retrouvé avec un rôle important dans le processus de transformation démocratique lancée depuis 2011 en Tunisie. À l'instar de Beji Caied Essebsi, élu président de la République en 2014, son compagnon de route, Mohamed Ennaceur, a lui aussi été élu président de l'Assemblée des représentants du peuple. Or, l'expérience politique comparée montre que, la consolidation démocratique dépend, entre autres, de la disposition des acteurs majeurs représentants l'ancien régime à respecter les règles du jeu démocratique. En partant de ce constat, nous posons que le personnel politique issu du régime autoritaire, lorsqu'il conserve une position clé dans les rouages de l'État, a tendance à s'approprier des nouveaux outils institutionnels pour les utiliser à son profit. Nous formulons l'hypothèse que Mohamed Ennaceur a introduit, avec le président Béji Caïd Essebsi, des pratiques en violation manifeste de la Constitution et des règles organisant le fonctionnement des institutions, tel que défini par la Constitution de 2014. En effet, sa gestion des conflits prouve que sur les dossiers épineux, Mohamed Ennaceur n'a pas su se défaire de son habitus autoritaire.The staff of the former regime endorsed an important role in the process of democratic transformation launched since 2011 in Tunisia. Mohamed Ennaceur , who is colleague and partner to Beji Caied Essebsi (elected President of the Republic in 2014), was elected President of the Assembly of Representatives of the People. Comparative political experience shows that democratic consolidation depends, among other things, on the disposition of the major players representing the former regime to respect the rules of the democratic game. On the basis of this observation, we assume that politicians present in the authoritarian regime, through retaining a key position in the machinery of the State, tend to seize new institutional tools and use them for their benefit. We formulate the hypothesis that Mohamed Ennaceur introduced practices, with President Béji Caïd Essebsi, which were in clear violation of the Constitution and the rules which manage the functioning of the institutions, as defined by the 2014 Constitution. Indeed, the way he managed various conflicts is a sign that on difficult issues, Mohamed Ennaceur was not rid of his authoritarian habitus.
- Les usages de l'alcool à Meknès (Maroc) : entre interdits, censure et autocensure - Philippe Chaudat p. 263-274 Au Maroc, l'alcool est interdit aux musulmans, et pourtant de nombreux commerces (bars, épiceries…) proposent cette marchandise à des consommateurs qui sont des musulmans. Pour pouvoir vendre de l'alcool, les commerçants organisent, selon des modalités qui leur sont propres, leur espace et leurs pratiques pour les rendre invisibles tandis que les clients, de leur côté, masquent leurs achats et leurs usages. Ainsi, les mécanismes d'autocensure que génère l'alcool consistent, non pas à s'en abstenir, mais à masquer la visibilité de sa circulation et de sa consommation. Dès lors, l'appréhension sociale de la transgression porte moins sur le non-respect de l'interdit que sur le non-respect de cette autocensure.In Morocco, alcohol is forbidden to Muslims, and yet many shops (bars, grocery stores...) offer these goods to consumers who are Muslims. In order to be able to sell alcohol, shopkeepers organize, on the one hand, according to their own arrangements, their space and practices to make them invisible, while customers, on the other hand, hide their purchases and uses. Thus, the self-censorship mechanisms generated by alcohol do not so much consist in abstaining from its consumption, but in hiding the visibility of its circulation and consumption. Consequently, the social apprehension of transgression is less about not respecting the ban than about not respecting this self-censorship.
- Réflexions sur la déchéance de nationalité en contexte terroriste – (pluri)appartenance et (sous)citoyenneté en France et au Maghreb - Delphine Perrin p. 233-250