Contenu du sommaire : De la « ville revanchiste » à la « ville solidaire »
Revue | Espace Populations Sociétés |
---|---|
Numéro | no 2-3, 2021 |
Titre du numéro | De la « ville revanchiste » à la « ville solidaire » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- De la « ville revanchiste » à la « ville solidaire ». Introduction au dossier - Lucie Bony, Marie Chabrol, Sylvie Letniowska-Swiat
Des politiques publiques contradictoires ?
- La ville solidaire, au service de la ville revanchiste ? Vers une « invisibilisation bienveillante » du sans-abrisme à Portland (Oregon) - Antonin Margier Face à l'accroissement du sans-abrisme aux États-Unis, une multitude de dispositifs se sont mis en place pour y faire face, de la multiplication des plans de lutte et des espaces de soin au développement de mesures anti-sans abris et de la criminalisation de la précarité. Cet article vise à comprendre la façon dont s'articulent ces registres d'intervention punitifs et socio-sanitaires et la signification de cette combinaison au regard de la reconfiguration des modalités de gestion du sans-abrisme. À travers une enquête de terrain menée à Portland (Oregon) aux États-Unis, cet article montre que le travail social et les espaces de soin (spaces of care) sont mobilisés par les pouvoirs publics comme un levier des opérations de « nettoyage » des camps, révélant des porosités entre le soin et le punitif, et traduisant une « invisibilisation bienveillante » du sans-abrisme et des effets de la crise du logement dans les espaces publics.Faced with the increase in homelessness in the United States, a multitude of measures have been put in place to deal with it, ranging from the multiplication of homelessness plans and spaces of care to the development of anti-homeless measures and the criminalization of precariousness. This article aims to understand how these registers of punitive and care interventions are combined and the significance of the rise in outreach practice in both policing and policies. Based on a fieldwork carried out in Portland (Oregon) in the United States, this article outlines how this rise in homelessness outreach practices is closely related to encampment cleanups and the invisibilization of homeless people through “compassionate eviction” from public space.
- Entre gestion sociale et gestion sécuritaire du sans-abrisme : l'exemple d'une recherche ethnographique à Nancy - Thibaut Besozzi À partir d'une recherche ethnographique post-doctorale, menée entre 2017 et 2019 dans l'agglomération de Nancy, cette contribution montre comment la « question SDF » fait conjointement l'objet d'un traitement social et d'un traitement sécuritaire dans le contexte de l'action politique locale. En adoptant le point de vue d'une sociologie de la sociologie appliquée – attentive aux usages institutionnels de la recherche –, il ressort que loin de s'opposer, ces deux logiques de résolution d'un problème à la fois social (voire humanitaire) et sécuritaire – ou éco-sanitaire – semblent s'articuler du point de vue des acteurs en charge de cette problématique. Si bien qu'il apparaît que la « ville dissuasive » et la « ville solidaire » ne doivent pas être abordées comme des réalités empiriques définissant telle ou telle ville, mais plutôt comme des logiques d'action publique qui, quoiqu'elles semblent contradictoires, peuvent en fait coexister l'une et l'autre. Il semble même que le cadre socio-politique de l'action sociale contemporaine favorise cette dualité de la réponse publique à la question sociale.Based on a post-doctoral ethnographic research conducted between 2017 and 2019 in Nancy, this contribution shows how the "homeless issue" should be jointly treated with social and safety perspectives in the context of local political action. By adopting a sociology of institutional uses of sociology point of view, it seems that far from being opposed, these two logics of solving a problem that is both social (or even humanitarian) and security - or eco-sanitary - are in fact complementary for the actors in charge of this issue. Therefore, it seems that the "dissuasive city" and the "city of solidarity" should not be approached as empirical realities that define this or that city, but rather as logics of public action which, far from being opposed and contradictory, constitute complementary approaches. It would even appear that the socio-political framework of contemporary social action favor this duality of political action regarding the social issue.
- De quoi la tolérance est-elle le nom ? Questionner le modèle émirien de « ville inclusive » - Hadrien Dubucs Les grandes villes des Émirats arabes unis (Dubaï et Abu Dhabi) constituent un cas d'étude intéressant pour analyser les rapports à l'altérité en ville et la tension entre inclusion et exclusion urbaine des minorités. D'un côté, les étrangers, majoritairement des travailleurs peu qualifiés et qui comptent pour 90% de la population, se heurtent à un modèle non intégratif d'un point de vue civique et politique. D'un autre côté, le pays s'est attaché depuis une vingtaine d'années à construire une image de « tolérance » qui affiche une non-discrimination vis-à-vis des communautés ethniques, religieuses et nationales. L'article analyse comment le concept très plastique et abstrait de tolérance se traduit en termes de politiques urbaines, en particulier dans son articulation avec le concept de « ville inclusive », censé être plus précis et opérationnel. L'analyse conceptuelle est complétée par une étude empirique, issue de trois années d'enquêtes et d'observations, portant sur le cas particulier des travailleurs sud-asiatiques peu qualifiés dans les espaces publics d'Abu Dhabi. L'analyse de leur présence, de leurs pratiques et de leurs interactions avec d'autres usagers permet de discuter de manière critique l'image d'une ville tolérante, en mettant au jour des formes d'exclusion et d'invisibilisation qui reposent notamment sur les temporalités, les spécialisations microspatiales, ou encore des formes implicites de régulations. Au final, l'analyse des traductions urbaines de la notion de tolérance tend à montrer que celle-ci est à la fois fragile, du point de vue de la pérennité des espaces où elle est effectivement mise en œuvre, et minimale, du point de vue de son acception conceptuelle.Abu Dhabi and Dubaï, the two largest cities in the United Arab Emirates, epitomize the otherness as an urban issue, and the tension between inclusion and exclusion of minorities. On one hand, foreigners – mostly low skilled workers- account for nearly 90 percent of the population and are officially prevented from accessing citizenship or political participation. On the other hand, the country has been striving to present itself as « tolerant » over the last decades, in terms of non-discrimination against ethnic, religious or national communities. The article explores how the vague and abstract concept of tolerance is translated into urban policy, more particularly in terms of compliance with the « inclusive city » model, which is supposed to be more precise and operational. In addition to a conceptual analysis, the article discusses the empirical outcomes of a three years fieldwork, focusing more particularly on the case of South-Asian low skilled workers within Abu Dhabi's public spaces. Based on the analysis of how they access and use these spaces and interact with other users, the paper discusses the image of a tolerant city, and highlights how these categories of habitants tend to be excluded and relegated by specific temporalities, social norms and regulations of uses on a micro-scale. The urban translation of the concept of tolerance can eventually be analyzed as fragile, by occuring informally and temporarily, and incomplete, being far from encapsulating the whole meaning of the notion.
- De l'informalité à l'incertitude dans une ville dissuasive - le cas de Jakarta (Indonésie) - Judicaëlle Dietrich L'article vise à interroger la place de l'informalité dans la construction sociale et politique d'espaces de la pauvreté, en mettant en évidence les modalités d'expression de tension entre accueil et rejet dans la métropole de Jakarta. Ce faisant, l'objectif est de montrer comment le processus de catégorisation de la pauvreté peut être producteur d'altérité en ville, notamment en s'appuyant sur le critère de l'informalité. L'argument défendu est que l'informalité peut agir comme stigmate [Goffman, 1963] donc comme vecteur d'altérisation pour les groupes et populations concernées, actant l'appréhension de la pauvreté comme rapport social, et interrogeant l'objectif effectif de l'assistance. Par l'analyse des articulations entre action politique, représentations et probabilité de délogement, l'article pointe les (faibles) perspectives d'ancrage des populations considérées comme pauvres dans la métropole, et démontre la dimension politique de l'incertitude subie et vécue par les personnes concernées.The article questions informality in the social and political construction of spaces of poverty, by highlighting the ways in which the tension between acceptance and rejection is expressed in the metropolis of Jakarta. Doing so, it shows how the process of categorizing poverty can be a producer of Otherness in the city, particularly by relying on the criterion of informality. I argue that informality can act as a stigma [Goffman, 1963], and therefore as a vector of alteration for the groups and populations concerned, thus making poverty a social relation, and questioning the actual assistance's target. By analyzing the links between political action, representations and the probability of displacement, the paper points out the (lowly) prospects of anchoring for the populations considered as poor in the metropolis, and demonstrates the political dimension of the uncertainty suffered and experienced by the people concerned.
- La ville solidaire, au service de la ville revanchiste ? Vers une « invisibilisation bienveillante » du sans-abrisme à Portland (Oregon) - Antonin Margier
Des politiques inclusives aux effets ambivalents
- Entre vulnérabilités résidentielles et hospitalités locales : trajectoires et expériences d'exilé·es dans trois villes petites et moyennes - Camille Gardesse, Christine Lelévrier Depuis 2015, les villes petites et moyennes sont devenues des lieux d'installation des personnes en demande d'asile et réfugiées dans le cadre d'une politique nationale de dispersion dont l'objectif est d'éviter leur concentration dans les métropoles. L'article interroge les effets de ces déplacements contraints sur les vulnérabilités résidentielles des exilé-e-s. Il apporte des éclairages à cette question à travers l'analyse des expériences et trajectoires résidentielles à partir de vingt-neuf entretiens avec des exilé-e-s dans trois villes petites et moyennes françaises. Il montre comment, plus que les lieux d'arrivée, les politiques nationales d'accueil et de dispersion vers des villes imposées, où les bénéficiaires ne disposent pas de relations sociales, marquent négativement les expériences. Elles tendent à renforcer l'isolement et l'anxiété de ces personnes, déjà fragilisées par le parcours migratoire et l'incertitude des procédures administratives. L'article met par ailleurs en exergue des effets mitigés des lieux d'accueil sur l'expérience des exilé·es, un effet positif du fait des opportunités offertes par les marchés du logement plus détendus, mais un effet plus négatif lié aux difficultés de mobilité et d'accessibilité aux services. L'investissement d'habitant-e-s – qui pallient certaines de ces difficultés en prenant en charge les exilé-e-s plus vulnérables – rend plus hospitaliers ces espaces sociaux locaux, même si des processus de racialisation peuvent aussi rendre l'expérience plus difficile. Caractérisées par des formes d'interconnaissance lâche (Bozon, 1984), ces villes deviennent plus familières avec le temps, en particulier pour les familles socialisées à ce type d'espaces au cours de leurs trajectoires résidentielles.Since 2015, small and medium-sized towns have become places where asylum seekers and refugees settle as a consequence of a national policy of dispersion which aims to prevent their concentration in metropolises. This paper investigates the effects of this forced displacement on the residential vulnerabilities of exiles. It sheds some light on this issue by analyzing residential experiences and trajectories of twenty-nine exiles interviewed in three small and medium-sized French towns. It shows how national dispersion policies, while displacing those migrants in imposed cities where they do not have social networks, have more negative impacts on their experiences than the arrival places themselves. These policies tend to strengthen the isolation and anxiety of people who are already weakened by their migration and the uncertainty of the administrative procedures. The paper also highlights mitigate effects of small and medium-sized cities as arrival places, some positive impact due to residential opportunities provided by less tensed housing markets contrasted with more negative one due to the lack of services and transportation. The investment of local residents -who alleviate some of the difficulties by taking care of the most vulnerable-makes these social spaces more hospitable even if racialization processes can make them less hospitable. Characterized by loose forms of interaction, these cities become more familiar over time, particularly for families socialized to these types of spaces during their residential trajectories.
- « Ouvrez les frontières ! Ouvrez les villes ! » : L'effet paradoxal des politiques d'hébergement sur la vulnérabilité des femmes migrantes à Athènes - Alice Latouche Cet article entreprend d'analyser, par une étude genrée, l'impact paradoxal du programme d'hébergement pour les migrants « vulnérables » (ESTIA) sur les femmes en exil, dans la ville d'Athènes. Il s'agira d'abord de s'intéresser au processus de sélection des « vulnérables », en montrant qu'il s'appuie sur des représentations genrées de la vulnérabilité : par conséquent, pour pouvoir intégrer le programme d'hébergement, les femmes sont contraintes de performer la vulnérabilité conformément aux attentes implicites des travailleurs sociaux. Pour comprendre toute l'ambivalence de ce programme, pensé à la fois comme une aide humanitaire et une politique d'intégration, nous analyserons ensuite ce qu'il advient aux femmes reconnues vulnérables, une fois qu'elles sont sorties du programme. Devant la difficulté de trouver un emploi légal et de louer un appartement, la plupart se retrouve à la rue. L'étude de leur parcours dans la ville met alors en perspective le paradoxe de politiques publiques d'hébergement pour les « vulnérables », qui, fonctionnant par sélection, exclusion, et à court terme, renforcent les rapports de domination multiples que subissent les femmes et leur exposition à la violence.This article aims to analyze, with a gender lens, the paradoxical impact of the accommodation program ESTIA, for “vulnerable migrants” on women in exile, in the city of Athens. We shall examine the assessment procedure to reveal the gendered stereotypes of vulnerability : to enter the accommodation program, women must perform vulnerability according to the implicit expectations of social workers. To understand the ambivalence of this program, presented as a humanitarian aid and a policy for integration and accommodation, we shall then analyse what happens to the women recognized as vulnerable, at the end of the program. As it is quite difficult to find a legal employment and to rent a flat, most of them are forced to live in the streets. The study of their journey into town puts in perspective the paradox of public policies for the accommodation of “vulnerable migrants” which, by functioning through selection, exclusion and by providing only short-term solutions, reinforce the multiple relations of power that women are subjected, and their exposure to violence.
- Espaces in/habitables. Pratiques, affects et récits de femmes entre un projet d'habitat solidaire pour femmes sans-abri et la ville (Bruxelles, 2017-2019) - Elisabetta Cinzia Rosa La réflexion développée dans ce texte se fonde sur une recherche que j'ai conduite à Bruxelles, au sujet du rapport à l'espace des femmes sans-abri, afin de comprendre comment les différentes dimensions des espaces qu'elles pratiquent participent de la construction et de la déconstruction des rapports de pouvoir à l'œuvre. Pour argumenter mon propos, j'analyse le rapport pratique et affectif à l'espace de trois femmes que j'ai rencontrées dans le cadre d'un projet d'habitat solidaire pour femmes sans-abri. En s'appuyant sur les enquêtes ethnographiques que j'ai menées entre 2017 et 2019 dans la maison où ce projet se matérialise, cet article vise d'une part, à rendre compte d'une réalité qui reste souvent cachée et, par conséquent, peu connue. D'autre part, mon objectif est d'interroger le caractère genré de catégories, telles la vulnérabilité et la solidarité, lesquelles, dans leur inefficacité à guider la formulation de propositions acceptables (par les femmes elles-mêmes), ne font que reproduire, voire aggraver les inégalités et les processus de marginalisation et d'invisibilisation existants.This article is based on the research I conducted about homeless women in Brussels, aimed at understanding how the various spatial dimensions of the city participate in the construction and deconstruction of power relations. Drawing on the ethnographic fieldwork I did between 2017 and 2019 with women living in a ‘solidary housing program for homeless women', I analyse both the pragmatic and affective relationships to space of three women, between the ‘solidary' housing and the city. In doing so, my aim is on the one hand, to give an account of a reality that is often un(der)recongnised and little explored. On the other hand, my purpose is to question the gendered nature of categories such as vulnerability and solidarity which have proven being ineffective in formulating housing proposals that are acceptable for the women themselves. In doing so, they end up reproducing and enhancing gendered inequalities and marginalisation processes.
- L'insertion délicate des dispositifs d'accompagnement des usagers de drogue précaires dans le tissu urbain bordelais - Cecilia Comelli L'usage de drogue est considéré comme un « problème social » que les États tentent de réguler par des politiques plus ou moins permissives. La France est dans un modèle plutôt prohibitionniste qui dispose d'un versant répressif et d'un versant sanitaire et social. Ce second versant propose d'accompagner les usagers de drogues par le biais de structures médico-sociales (CSAPA et CAARUD) qui se déploient sur le territoire. Nous étudions ici l'insertion de ces dispositifs dans le tissu urbain bordelais qui connaît une politique de rénovation depuis une vingtaine d'années. Cette évolution est en partie responsable des tensions qu'il peut y avoir entre la ville solidaire des usagers précaires et l'hostilité à leur égard qui se manifeste en réaction à l'implantation des centres d'accueil et d'accompagnement.Drug use is considered a "social problem" that governments try to regulate through more or less permissive drug policies. France has a rather prohibitionist model, with a repressive side and a health and social side. This second side proposes to support drug users through medico-social structures (CSAPA and CAARUD) which are spread throughout the country. Here we study the integration of these centres into the urban environment of Bordeaux, which has been undergoing a renovation policy for the last twenty years. This change is partly responsible for the tensions that can arise between the city's solidarity with precarious users and the hostility towards them that arises in reaction to the establishment of reception and support centres.
- La Favela partida : Politiques interventionnistes et gentrification dans la favela de Rocinha - Gaëlle Simon Depuis une trentaine d'années, la favela de Rocinha, quartier autoconstruit de Rio de Janeiro, fait l'objet de politiques publiques interventionnistes, d'abord de politiques d'urbanisation puis, à partir de 2011, de politiques sécuritaires avec la pacification. Ces différentes politiques ont progressivement transformé le quartier, sa population, sa structure et ses modes de fonctionnement. Les nouvelles populations installées au sein du quartier y ont importé leurs modes de vie, créant ainsi un phénomène de gentrification et transformant les processus de domination, notamment raciaux et sociaux, au sein de la favela. Nous parlons alors dans cet article d'une favela partida (favela divisée) réadaptation du concept de cidade partida afin d'illustrer le changement des rapports de domination à l'intérieur de la favela et la répartition inégale de la population sur le territoire entraînée par les politiques interventionnistes de l'État.For the past thirty years, the Rocinha favela, a self-built district of Rio de Janeiro, has been the subject of interventionist public policies, first of all urbanization policies and since 2011 of security policies with the pacification. These policies have gradually transformed the district, its population, its structure and its operating methods. The new populations settled within the district imported their lifestyles there, thus creating a phenomenon of gentrification and transforming the processes of domination, especially racial and social domination, within the favela. In this article, we are talking about a favela partida (divided favela) re-adaptation of the concept of cidade partida in order to illustrate the change of the domination processes inside the favela and the unequal distribution of the population on the territory caused by the interventionist policies of the State.
- Entre vulnérabilités résidentielles et hospitalités locales : trajectoires et expériences d'exilé·es dans trois villes petites et moyennes - Camille Gardesse, Christine Lelévrier
Quand la puissance publique délègue les pratiques de solidarité
- L'hébergement citoyen des exilé·es, une zone grise, informalité et territoires solidaires, le cas de la vallée de la Drôme et de la métropole lyonnaise - Élise Roche L'hébergement solidaire de personnes exilé·es s'est fortement développé ces dernières années, sous forme d'accueil chez l'habitant, de logements mis à disposition, ou de squats. Dans le contexte d'une politique d'accueil très restrictive de la part de l'État, ces pratiques d'hébergement informel se situent généralement en marge du Dispositif national d'Accueil destiné à héberger les exilé·es au cours de leur demande d'asile. La notion de « zone grise » (Yftachel) permet utilement de saisir l'ambiguïté qui saisit ces pratiques : informelles, elles sont néanmoins façonnées en creux, contre leur gré, par les procédures administratives. Cet article montre les enjeux de cette « zone grise » de l'hébergement citoyen, dans la vallée de la Drôme et la métropole lyonnaise : d'une part, il aborde comment le Dispositif national d'Accueil contribue à créer des territoires dissuasifs pour l'accueil des exilé·es ; il analyse ensuite comment l'hébergement dit « citoyen » repose sur des pratiques informelles, mais en interaction avec les cadres émanant des politiques migratoires. Enfin, l'article montre comment ces pratiques d'hébergement solidaire sont aussi créatrices, en ce qu'elles contribuent à questionner en profondeur des pratiques et représentations collectives, qui dépassent le strict cadre des modalités de cet hébergement.The mobilisation for asylum seeker's accommodation has developed strongly in recent years, in the form of shared flats, housing lending, or squats. In the context of a very restrictive asylum policy on the part of the State, these informal accommodation practices are generally situated on the bangs of the “DNA” (National Reception System) designed to accommodate asylum seekers during their asylum application. The notion of "grey zone" (Yftachel) is a useful way to understand the ambiguity of these practices: informal, they are nonetheless shaped by the administrative procedures – even though they don't want to. This article shows what is at stake in this "grey zone" of citizen accommodation, in Drôme valley and Lyon metropolis : on the one hand, it discusses how the National Reception System contributes to the creation of dissuasive spaces for the asylum seeker's ; on the other hand, it analyses how so-called "citizen" accommodation is based on informal practices, but in interaction with the frameworks emanating from migration policies. Finally, the article shows how these practices of solidarity accommodation are also creative, in that they contribute to questioning in depth collective practices and representations, which go beyond the strict framework of the modalities of this accommodation.
- Des solidarités in extenso pour un asile in extremis. Dégradation des conditions matérielles d'accueil à Marseille - Béatrice Mésini, Margot Bonis En France, le devoir « de protection des personnes menacées dans leur pays » repose sur un examen impartial de la demande d'asile, un droit au maintien sur le territoire ainsi, qu'à des conditions d'accueil dignes pendant la durée de l'examen. Or, les témoignages recueillis par l'Observatoire Asile de Marseille montrent qu'il existe des « défaillances systémiques » dans le traitement administratif et logistique, qui contreviennent « à la dignité humaine » et « à l'intégrité » des personnes. Nous analyserons les 60 récits collectés auprès des demandeurs d'asile et des accompagnants en 2017-2018 pour saisir les modalités de l'errance et du délaissement des personnes. En contrepoint, nous actualiserons les solidarités initiées par divers acteurs (salariés, militants, bénévoles et citoyens), qui s'exercent in extenso en maillant la ville d'informations vitales concernant l'accès aux besoins fondamentaux. Pour finir, nous choisirons cinq jugements émanant de la Cour administrative d'appel de Marseille et du Conseil d'État, qui confirment ou infirment le rejet des conditions matérielles d'accueil, tout en hiérarchisant et proportionnant les droits et les devoirs des hôtes.In France, the duty ‘to protect persons threatened in their country' is based on an impartial examination of the asylum application, the right to remain on the territory and to dignified reception conditions for the duration of the examination. However, the testimonies collected by the Marseille Asylum Observatory show that there are "systemic failures" in the administrative and logistical processing, which violate the "human dignity" and "integrity" of persons. We will analyse the 60 stories collected from asylum seekers and accompanying persons in 2017-2018 in order to grasp the modalities of wandering and abandonment of people. As a counterpoint, we will update the solidarity initiated by various actors (employees, activists, volunteers, and citizens), which is exercised in extenso by linking the city with vital information concerning access to basic needs. Finally, we will choose five judgements from the administrative Court of appeal of Marseille and the Council of State, which confirm or invalidate the rejection of material reception conditions, while prioritising and proportioning the rights and duties of guests.
- L'hébergement citoyen des exilé·es, une zone grise, informalité et territoires solidaires, le cas de la vallée de la Drôme et de la métropole lyonnaise - Élise Roche
La solidarité comme résistance face à la ville qui se ferme
- « Occuper » dans un quartier gentrifié : expériences et mobilisations des habitants expulsés de Woodstock au Cap - Margaux De Barros À travers une recherche empirique et qualitative, j'explore la façon dont l'occupation d'un ancien hôpital par les habitants expulsés de Woodstock (Le Cap), reconfigure leurs expériences et pratiques du quartier. Je répondrai aux questions suivantes : En quoi cette occupation constitue un lieu de résilience au centre d'un quartier gentrifié ? Quelles sont les stratégies déployées par les habitants pour y vivre le plus sereinement possible, préservant leur routine tout en répondant aux injonctions et exigences du mouvement social qui les loge ? J'observerai que l'occupation constitue un lieu de reformation des solidarités locales et permet aux habitants de revaloriser leur rôle social. Toutefois, il convient de souligner l'ambivalence de ce lieu d'hébergement, en rappelant que les contraintes et normes sociales imposées aux habitants peuvent constituer pour certains d'entre eux, une forme d'enfermement supplémentaire dans l'espace urbain.Through empirical and qualitative research, I explore how the occupation of the old hospital of Woodstock (Cape Town) by evicted residents transforms their experiences and practices within the neighbourhood. I hereby answer the following questions: in what sense does this occupation represent a space of resilience at the center of a gentrified neighbourhood? What are the strategies deployed by the inhabitants to live there as serenely as possible, preserving their personal routine while responding at the same time to the demands of the social movement that hosts them? I observe that the occupation fosters the reshaping of local solidarities and allows the inhabitants to revisit their social role. However, I also emphasize the ambivalence of this lodging place by highlighting that the constraints and social norms imposed on the inhabitants can be considered as an additional form of confinement in the urban space.
- Resisting to spatial exclusion and fighting for economic inclusion: African immigrant traders in the public commercial spaces of the City of Cape Town, South Africa - Gabriel Tati En Afrique du Sud, les grandes villes sont racontées autour de l'esprit d'entreprise qui met l'accent sur la compétitivité, l'innovation et le partenariat entre le gouvernement local et les entreprises privées dans le marketing de la ville à l'intérieur et au-delà des frontières nationales. Une grande partie de la population vivant dans ces villes est composée d'immigrants, originaires d'autres pays africains, qui sont fréquemment victimes d'attaques xénophobes violentes de la part de citoyens locaux. Les immigrés africains opèrent principalement dans le secteur informel et restent largement en marge du principal courant économique et du tissu social de la ville. Cet article interroge dans quelle mesure les interventions mises en œuvre dans la ville du Cap en Afrique du Sud par les autorités, dans le cadre de la ré-imagerie de la ville comme ville mondiale, contribuent soit à l'inclusion spatiale, soit à l'exclusion des immigrés africains et celle de leurs activités de petit commerce dans la conception du développement urbain. L'argument central de l'article est que dans la poursuite de la stratégie entrepreneuriale prônée par la ville du Cap, il y a de fortes indications que certaines de ces interventions sont contraignantes et répressives, exacerbant l'exclusion économique et sociale des immigrés africains. En outre, ces interventions ont eu tendance à accroître l'hostilité sociale envers les immigrants. Contre les mesures répressives d'application de la loi pour réguler l'espace urbain, il y a eu cependant un glissement public quelque peu progressif vers des efforts plus accommodants qui ont profité aux propriétaires d'entreprises immigrés africains. L'article est éclairé par la perspective théorique sur la gouvernance urbaine entrepreneuriale et des données provenant de sources empiriques. Les résultats rapportés montrent que, dans la ville de Cape Town, l'occupation de tout espace à des fins commerciales est restreinte par un ensemble de règlements. En réponse à la variété des interventions, les chefs d'entreprise ont manifesté des réactions différentes, allant de la conformité aux actes subversifs, en passant par la résistance, ou des arrangements négociés qui ont parfois été utilisés pour influencer la direction d'autres interventions.Around South Africa, the major cities are being narrated around entrepreneurialism, which emphasises competitiveness, innovation and partnership between local government and private corporates in the marketing of the city within and beyond the national borders. A large fraction of the population living in those cities is made up of immigrants from other African countries, who are frequently subjected to economic-driven xenophobic violent attacks by local citizens. African immigrants mostly operate in the informal sector and largely remain on the fringes of the city mainstream economy and social fabric. This article interrogates the extent to which the interventions implemented in the City of Cape Town in South Africa by the authorities, within the framework of reimagining the city as a world city, contribute either to the spatial inclusion or the exclusion of African immigrants' petty trade activities in the design of urban development. The central argument to the article is that, in the pursuit of the entrepreneurial strategy advocated by the City of Cape Town, there are strong indications that some of these interventions are constraining and repressive, exacerbating the economic and social exclusion of African immigrants. Besides, these interventions have tended to increase the social hostility toward immigrants. Against the repressive law enforcement measures for regulating the urban space, there has been, however, a somewhat progressive public shift toward more accommodating efforts that have benefitted African immigrant business owners. The article is informed by the theoretical perspective on entrepreneurial urban governance and data from empirical sources are used in support of the arguments. The results reported show that in the city of Cape Town, the occupancy of any space for trading purpose is restrained by a bundle of by-laws. In responses to the variety of interventions, business owners have displayed different reactions ranging from compliance to subversive acts including resistance or negotiated arrangements have been at time used to influence the direction of other interventions.
- Gentrification et résistances ordinaires des quartiers populaires. Élaboration théorique et illustration empirique sur un terrain bruxellois - Mathieu Van Criekingen Parcourir des quartiers traversés par des processus de gentrification ne donne habituellement pas à voir des espaces entièrement voués à l'habitat, aux pratiques de consommation ou aux modes de sociabilité des classes intermédiaires ou supérieures. Ceci, même dans des contextes métropolitains où les pressions au changement urbain sont particulièrement appuyées. Comment comprendre la persistance d'appropriations populaires de ces espaces ? Cet article avance l'idée que ces permanences peuvent révéler diverses formes de « résistances ordinaires » des quartiers populaires au changement urbain, ne prenant pas appui sur des mobilisations collectives inscrites dans des luttes urbaines. L'article vise d'abord à étayer cette proposition sur le plan théorique, en mobilisant de concert des notions issues de la sociologie des classes populaires contemporaines et des acquis des gentrification studies. Un terrain bruxellois est ensuite mobilisé pour donner une consistance empirique à l'idée de résistance ordinaire des quartiers populaires.Usually, exploring neighbourhoods affected by gentrification processes does not reveal spaces entirely devoted to middle- or upper-class housing, consumption practices or modes of sociability, even in metropolitan contexts wherein urban change pressures are particularly strong. How can we then understand the persistence of working-class appropriations of these neighbourhoods? This article puts forward the idea that such persistence can reveal various forms of “ordinary resistance” of working-class spaces to urban change, that is, forms of local resistance not based on collective mobilizations or urban struggles. This article first elaborates on this proposal on a theoretical level, bringing together notions developed in the field of contemporary working-class sociology and gentrification studies. It then turns to a Brussels cases study to empirically illustrate this idea of ordinary resistance of working-class neighbourhoods.
- Mobilités contraintes, pratiques différenciées. Tactiques de déplacement et d'installation des Syriens à Irbid (Jordanie) - Héloïse Peaucelle Cet article propose d'étudier les effets d'une mesure coercitive appliquée aux Syriens qui proscrit la possession et la conduite de véhicules motorisés en Jordanie, pays où les déplacements sont dominés par la voiture personnelle.En se basant sur une ethnographie menée dans la ville d'Irbid, l'article s'intéresse aux tactiques et arbitrages établis par les Syriens pour se déplacer et accroître leur capital de mobilité en ville. Les contraintes politiques de mobilité pèsent avant tout sur les populations les plus fragiles. Cette réflexion questionne ainsi une dimension plus générale sur l'accès à la ville et interroge les effets des mesures discriminatoires appliquées aux réfugiés. Celles-ci concourent à l'exclusion sociale, et restreignent l'appropriation des espaces citadins.À l'aune de ces pratiques de mobilité, la gare routière de Cheikh Khalil se présente comme un cas d'étude singulier où se croisent différents flux de mobilité et plusieurs générations de la migration syrienne. L'identité du quartier est marquée par l'ancrage d'une communauté de migrants transfrontaliers en mouvement, dont les actions de solidarité s'adaptent au gré des évolutions contextuelles.This paper investigates the effects of a coercive measure applied to Syrians that prohibits the ownership and the driving of motor vehicles in Jordan, a country where travel is dominated by the private car.Based on an ethnography conducted in the city of Irbid, the paper focuses on the tactics and trade-offs established by Syrians to move around and increase their mobility capital in the city. The political constraints of mobility weigh above all on the most fragile populations. This reflection thus questions a more general dimension on access to the city and questions the effects of discriminatory measures applied to refugees. These contribute to social exclusion and restrict the appropriation of urban spaces.In the light of these mobility practices, the Cheikh Khalil bus station presents itself as a singular case study where different mobility flows and several generations of Syrian migration intersect. The identity of the neighbourhood is marked by the anchoring of a cross-border migrant community on the move, whose solidarity actions adapt to contextual changes.
- « Occuper » dans un quartier gentrifié : expériences et mobilisations des habitants expulsés de Woodstock au Cap - Margaux De Barros
Varia
- Campagnes, migrations internationales et nouvel ordre social ethnicisé. La zone viticole Utiel-Requena (Espagne) - Francisco Torres Pérez, Elena Gadea Montesinos Utiel-Requena est une zone viticole traditionnelle de la province de Valence (Espagne), qui a connu une importante restructuration productive, l'arrivée de travailleurs immigrants et leur enracinement familial. Cet article aborde cette installation et les changements qu'elle a générés dans ces municipalités. Notre analyse des différentes sphères de la vie locale, telles que le travail, les espaces et services publics, la coexistence et les représentations symboliques, montre la constitution d'un ordre social ethnicisé qui consolide la position subalterne des immigrants et de leurs descendants.Utiel-Requena is a traditional wine-growing area in the province of Valencia (Spain), which has undergone a major restructuring of production, the arrival of immigrant workers and their family rooting. This article addresses this settlement and the changes it has generated in these municipalities. Our analysis of different spheres of local life, such as work, public spaces and services, coexistence and symbolic representations, shows the constitution of an ethnicized social order that consolidates the subordinate position of immigrants and their descendants.
- Campagnes, migrations internationales et nouvel ordre social ethnicisé. La zone viticole Utiel-Requena (Espagne) - Francisco Torres Pérez, Elena Gadea Montesinos
Recension
- Thierry Paquot. Mesure et démesure des villes - Elsa Martin, Jean-Marc Stébé