Contenu du sommaire : Les enseignants et la reconnaissance professionnelle

Si la question de la reconnaissance nourrit des luttes et revendications pour le respect et une égale visibilité, contre le mépris et l'injustice, il s'agit ici de construire le sentiment de reconnaissance comme catégorie d'analyse pertinente pour rendre compte de l'expérience enseignante alors qu'il est parfois réduit à une catégorie spontanée d'expression sociale, approchée par la revendication, le malaise ou la souffrance. Ce dossier, sous divers angles théoriques, à différentes échelles (de l'expérience subjective des acteurs aux politiques publiques en passant par les établissements scolaires), étayé d'enquêtes, offre un regard analytique sur la reconnaissance dans l'expérience vécue des enseignants. Il cherche à ne pas opposer sentiment de reconnaissance et reconnaissance du travail et du métier en étudiant la manière dont ils s'articulent et veut être attentif aux attentes de reconnaissance des enseignants qui s'expriment moins à l'échelle de la société, de l'institution ou du groupe professionnel et de plus en plus localement et individuellement. Attaché à l'expressivité des enseignants en matière de reconnaissance et aux formes d'appropriation d'une condition vécue, le dossier ambitionne de saisir leur expérience à partir des façons dont ils donnent sens à leur travail et à leur engagement, contribuant ainsi à la production de normes et de visées professionnelles, ce qui distingue l'exercice du métier d'une fonction d'exécution.

En écho aux études internationales (OECD), la littérature anglo-américaine souligne combien la promotion et la reconnaissance de la profession enseignante sont indispensables à l'amélioration des systèmes éducatifs. Cette conscience de l'importance décisive de la reconnaissance des enseignants a cependant des résultats très contrastés, voire délétères, sur les solidarités professionnelles selon les modalités managériales mises en œuvre. La présente analyse vise, à partir d'une sélection raisonnée de la foisonnante littérature de recherche anglo-américaine, à explorer des variations d'usage de la notion de reconnaissance, ses composantes et ses ressorts, pour en souligner les effets sur les politiques de promotion de l'expertise enseignante, le sentiment de reconnaissance, le bien-être éprouvé, la relation de confiance entre la société et la profession, l'ambivalence de la rhétorique de leur développement professionnel, ses impacts sur eux et leurs collectifs professionnels. Elle cherche à mieux saisir dans quelle mesure les politiques contemporaines vers les enseignants peuvent être corrélées, dans d'autres environnements et situations sociopolitiques, à un sentiment de reconnaissance, d'épanouissement et d'efficacité professionnels chez les enseignants eux-mêmes et avec quels effets sur la profession. L'étude croisée des formes de saisie de ces politiques par la recherche permet ainsi d'actualiser les connaissances, de nourrir et faire entendre l'ambition critique du travail de recherche.

La question de la reconnaissance a pris une place majeure dans le registre des discours et attentes des enseignants. L'enquête réalisée par questionnaire (n = 2203) et entretiens (n = 80) auprès de professeurs du secondaire le confirme. La recherche qui donne matière à cet article s'intéresse précisément à identifier les sources et dimensions structurantes du sentiment de reconnaissance et la manière dont elles se combinent dans l'expérience subjective des enseignants. Une première étape de la démarche a permis de distinguer la reconnaissance pour autrui (médias, politiques, parents…) et la reconnaissance pour soi. Celle-ci articule, d'un côté, l'enjeu des pratiques et relations pédagogiques dans la classe à partir desquelles s'éprouve le sentiment d'accomplissement professionnel et, de l'autre, le poids de la considération accordée ou pas par l'institution. Une typologie du sentiment de reconnaissance pour soi a été élaborée puis enrichie par l'analyse du rapport au métier, permettant ainsi de différencier plusieurs mondes enseignants.

Confortant les constats antérieurs d'un sentiment massif de déficit de reconnaissance chez les enseignants du second degré français (Talis 2013, 2017), cette contribution s'attache à définir et comprendre ce qui construit ce sentiment, là où les déterminants qui éclairent traditionnellement l'expérience des enseignants se révèlent insuffisants (type d'établissement, ancienneté professionnelle…). L'analyse croisée de données qualitatives et quantitatives montre que la dégradation ressentie pousse les enseignants à chercher des sources de reconnaissance dans le cadre de configurations (Elias 1991) davantage contextualisées à l'échelle locale. Plus ou moins fructueuse, cette lutte pour la reconnaissance (Honneth 2013) nécessite de la part des enseignants la mobilisation de ressources professionnelles et personnelles, qui les expose davantage et peut conduire à une souffrance professionnelle.

Cet article s'intéresse aux effets d'une politique de responsabilisation –appelée au Québec Gestion Axée sur les Résultats (GAR)– sur le travail et la reconnaissance du travail des enseignants. S'appuyant sur les travaux néo-institutionnalistes sur la légitimité des politiques publiques et les théories de la reconnaissance, l'article, fondé sur l'analyse d'entretiens menés auprès d'une trentaine d'enseignants et d'agents de direction de six établissements scolaires québécois, analyse la manière dont les enseignants donnent sens à la GAR. Il questionne dans quelle mesure cette dernière affecte les conditions de reconnaissance professionnelle des enseignants et leur vécu à cet égard. L'hypothèse soutenue est que le sentiment de non-reconnaissance des enseignants prend des formes renouvelées sous l'influence du discours de la nouvelle gestion publique.

Plusieurs apports scientifiques invitent à repenser l'apprentissage : l'épigénétique a remis en question la classique opposition entre l'inné et l'acquis, les neurosciences ont ouvert la boîte noire de la cognition, l'éthologie a disloqué le mur élevé entre humains et non-humains, la psychologie de l'enfant a mieux cerné l'articulation du sensorimoteur et du symbolique. L'intégration de ces nouveaux développements emprunte dans ce texte une perspective évolutive, en distinguant apprentissages génomique, sensorimoteur et symbolique. Chaque idéaltype d'apprentissage se caractérise par ses dynamismes propres, les transitions de l'un à l'autre demeurant encore relativement obscures. Cette intégration évolutive sollicite des concepts suffisamment amples pour englober le vivant dans son ensemble et suffisamment différenciables pour réfléchir les dynamiques particulières. L'article propose d'étendre et de différencier les concepts d'information, d'algorithme et d'artefact. Tous les vivants fabriquent et apprennent, et c'est en se plaçant sous l'égide de cette épiphanie “technique” que l'article appelle de ses vœux une analyse de la société numérique et de ses modalités d'apprentissage.

Face aux mutations rapides de la société dès la fin du XXe siècle, les écoles semblent compter de plus en plus sur les organisations de leur environnement pour remplir leurs missions qui se diversifient. Ainsi le partenariat scolaire a-t-il pris de l'ampleur au cours des dernières décennies, au point de devenir une norme pour les enseignants et les organisations non scolaires. Cet article resitue la croissance de ces collaborations dans le cadre des évolutions sociétales et du processus global d'expansion de l'éducation. Il analyse également, à partir d'une enquête qualitative menée auprès des acteurs scolaires et non scolaires actifs dans le champ des « éducations à », comment ces phénomènes sociétaux se concrétisent sur le terrain scolaire. À travers l'analyse des processus d'intégration des acteurs externes, nous proposons d'interpréter les partenariats comme un type particulier d'événements, appelés “épisodes”, venant interrompre le déroulement habituel des activités scolaires.

L'ambition inclusive interroge la forme scolaire en supposant un changement de la culture scolaire : modification des formes de codification de l'espace et aménagement physique de la classe, organisation du temps, des rythmes et des codes de la pédagogie frontale selon les profils des élèves. Ces interrogations sont consubstantielles d'une redéfinition du fait collectif qui a singularisé les rapports sociaux et battu en brèche leur configuration historique. Cette redéfinition repose sur un paradigme productif assujettissant le bien-être économique et social à l'autonomie cognitive des individus. Elle place la production d'usage au cœur du travail scolaire : l'innovation par l'usage est matérialisée par l'aptitude des acteurs de l'école à transformer en ressources les opportunités de leur environnement pour élaborer des réponses propres à des situations particulières et s'adapter à la diversité des profils scolaires. L'enseignant inclusif accompagne les élèves dans la maîtrise de leurs apprentissages grâce à une personnalisation des pratiques, des démarches collaboratives et un souci de développement professionnel. L'apprenant, maître de ses apprentissages, peut s'autoréguler et s'engager dans les processus à l'œuvre.La centralité de cette production d'usage fait de l'accessibilité des environnements scolaires la condition de la concrétisation de l'autonomie cognitive reconnue aux élèves. Cette singularisation cognitive des individus se double d'une singularisation politique où ils voient des opportunités pour être les auteurs de leur devenir. Cette redéfinition du fait collectif s'organise aussi autour d'une singularisation juridique qui consacre un droit d'accès à l'offre de service public, ici de services éducatifs. Cela suppose le développement contextuel de pouvoirs d'agir équivalents entre des sujets porteurs de droits grâce auxquels ils peuvent surmonter leurs différences individuelles de capacité et lutter contre les ruptures de droits parfois engendrées par des conditions d'apprentissage inadéquates.