Contenu du sommaire : American Potpourri.

The Enormous Room, œuvre spécifique de la Génération Perdue, mérite mieux que la brillante obscurité où elle demeure. A la fois document autobiographique authentique et exercice de style, elle échappe à toute définition. De structure classique, elle procède néanmoins d'une écriture libre et révolutionnaire. Tant par la matière que par la manière, également aventureuses, elle conserve son pouvoir de choc et son intérêt pour le lecteur contemporain.

Romancier, dramaturge, essayiste, homme politique, scénariste, Gore Vidal est un personnage à multiples facettes. Il est pourtant une constante dans son œuvre : son désir de mêler le visuel et l'écrit. Soulignant l'impact du cinéma sur sa génération, l'auteur préconise une symbiose de l'art cinématographique et de l'œuvre littéraire, en affectant au scénario un coefficient de subjectivité et de surréalité qui lui fait habituellement défaut et inversement en faisant exploser la structure traditionnelle du roman pour jouer de tous les ressorts propres au cinéma, lui empruntant sa technique et sa psychologie, son récit elliptique, son style allusif et son rythme trépidant. Tout en se voulant profondément subversif dans sa technique littéraire, Gore Vidal reste néanmoins attaché aux valeurs littéraires traditionnelles de l'écriture.

Une grande partie de la fiction récente cherche manifestement à son lecteur. Cet article montre comment ce but est atteint dans LETTERS de John Barth, par le jeu de l'intertextualité externe et interne. Les notions associées de cadre et de manipulation sont placées au cœur d'une fiction qui déconstruit les conventions littéraires, tout en intégrant sa propre critique et en rendant impossible toute lecture totalisante.

Une nouvelle simple en apparence : l'histoire d'une jeune femme trompée, d'une femme objet dont le rôle, l'existence même sont d'être l'imaginaire des hommes qui la manipulent. Une histoire mystérieuse, en fait, celle du jardin secret d'une femme qui va récupérer le langage pour l'utiliser comme une arme redoutable et au-delà de la beauté permettre aux lecteurs complices d'approcher sa vérité intérieure. L'écrivain joue à cache-cache avec les lecteurs et se dissimule derrière son écriture, c'est donc une visite au-delà des apparences que propose l'auteur de cette analyse à travers une étude des sens cachés de cette nouvelle.

Une interview de Rolando Hinojosa. Dans cette interview, la première publiée dans une revue française, Rolando Hinojosa, peut-être l'écrivain « chicano » le plus lu actuellement, présente son œuvre bilingue et expose ses vues sur la place qui doit revenir à la littérature mexicano-américaine aux Etats-Unis.

Marianne Moore : le matériau brut de la poésie. La poésie de Marianne Moore a toujours été admirée pour ses prouesses techniques. Ses vers syllabiques, ses phrases elliptiques et la précision de ses images imposent le respect. Malheureusement, ce respect a parfois conduit à l'impasse dans laquelle on a remisé son œuvre. Les poèmes deviennent sa juvénile tentative d'échapper à tout ce que le vingtième siècle peut représenter. En fait, c'est tout le contraire qui est vrai. Sa syntaxe soignée et les citations fragmentaires qu'elle inclut dans de si nombreux poèmes, et qu'elle affiche de façon inexplicable, deviennent pour elle le moyen de refuser d'écrire le genre de poème que la nouvelle critique a choisi comme pierre de touche de la poésie du vingtième siècle. Moore pousse son lecteur jusqu'aux limites du raisonnable et, ce faisant, met en question la stabilité, et même l'efficacité, du langage. Sa poésie de ce fait anticipe les préoccupations stylistiques et thématiques de la littérature post-moderne.

George Oppen n'est pas un piètre rhéteur. Sa maîtrise du langage transcende les artifices d'expression et récuse la psychologie du moi en tant que moteur de la création poétique. Bien qu'il ne soit pas un porte-parole du populisme littéraire, Oppen souhaite découvrir certains aspects sans prétention de la vie américaine et mexicaine. C'est pour embrasser le « premier monde » du « Burnt Norton » d'Eliot qu'il l'entreprend. L'approche de l'univers qu'offre George Oppen est une manière de mysticisme où il arrive que nous apercevions des traces de la divinité. Pourtant, ni le symbolisme ni l'habileté littéraire ne s'imposent, en raison de la méfiance du poète à l'égard de l'imagination. L'idéalisme religieux, pour tentant qu'il soit, n'est presque jamais fidèle à ses promesses et ne tarde pas à menacer la simplicité du monde et la suspension de la volonté que le poète accueille comme un moyen de célébrer notre parenté avec la nature.

Replacé dans le contexte de l'histoire du développement théâtral aux Etats-Unis, le Théâtre de David Mamet est abordé ici sous l'angle de son écriture. En utilisant l'idiome de la marginalité et de la vie de tous jours de façon poétique, Mamet produit une nouvelle forme d'écriture américaine qui est à la fois véhicule et thème. Il échappe à la psychologie behavioriste et en utilisant les ressources du théâtre au théâtre, de l'écriture dans l'écriture, il donne à la langue drue, cadencée et travaillée qui utilise un vocabulaire souvent grossier, une dimension créative au texte qui au-delà de sa simplicité de surface renvoie à l'art d'écrire et de parler qui engage locuteur, scripteur et destinataire dans un espace socio-économique et culturel précis : l'Amérique capitaliste des années 1970 et 1980. Une chronique des pièces jouées de Mamet est donnée en appendice.

En dépit de succès flamboyants et durables qui sont devenus des classiques, le théâtre musical américain est systématiquement ignoré par la critique académique. Une brève évaluation historique montre qu'il demeure la projection manifeste voire l'accomplissement du rêve de l'Amérique, avec ses climats et son évolution. Sommaire à l'origine, il est devenu une transposition hybride et élaborée des choix tragiques de l'époque, jusqu'à être maintenant considéré par la profession comme la grande forme de l'art indigène américain.

La crise économique de 1883 à 1885 barre l'horizon des travailleurs : chômage, réductions de salaires, protestations ouvrières et grèves l'avant de la scène. Pour expliquer la crise, on perçoit dans le National Labor Tribune deux types d'attitudes : la recherche d'un bouc émissaire (les émigrants) et la critique de la politique monétaire suivie depuis la fin de la guerre. Loin de chercher la révolution, le mouvement ouvrier qui s'exprime ici semble vouloir éduquer ses membres à jouer pleinement le jeu de la démocratie américaine.

L'opposition qui se développa au cours des années 1880 entre les deux organisations ouvrières, les Knights of Labor et l'American Federation of Labor (AFL) est une histoire bien connue. Cependant ce conflit, qui se termina par la suprématie de l'AFL, fut loin d'être permanent et unanimement partagé. Cet article analyse au contraire les relations de coexistence et de complémentarité entre les deux organisations dont la solidarité explique le grand mouvement des années 1886-87. Par ailleurs, l'article met en lumière l'importance de l'organisation par métier au sein des Knights, élément structurel qui éclaire l'une des sources du conflit entre les deux organisations par le fait que les Knights, comme l'AFL, regroupaient en réalité une majorité d'ouvriers qualifiés. La force du trade-unioniste fut alors à la fois la source du dynamisme exceptionnel de l'Ordre des Knights of Labor et la cause de son déclin.

Etudiant la période 1886-1900, les historiens du mouvement ouvrier ont généralement mis en relief la rivalité entre Knights of Labor et American Federation of Labor, en décrivant l'ascension de l'AFL comme une sorte de contrepoint à la rapide «désintégration» des Knights. On propose ici 1) une réinterprétation du déclin des Knights (qui eut lieu par paliers et n'empêcha pas l'organisation de jouer un rôle jusqu'à la fin du siècle) et 2) des aperçus sur certains aspects négligés de l'histoire interne et de l'influence des Knights dans les années 1886-1890.

Les démagogues sudistes ont dominé la vie politique du Sud pendant près d'un demi-siècle après l'échec du populisme pendant les années 1890. Cet article tente de dégager les raisons d'un phénomène politique tout à fait spécifique au Sud et étudie tout spécialement le cas de Huey Long.

A propos de The Official Boy Scout Handbook. Le mouvement des boy-scouts aux Etats-Unis donne à ses valeurs la forme du vécu ; c'est en ceci qu'il peut être considéré comme porteur d'une idéologie « grassroots ». L'idée d'une Amérique pastorale retrouvée fonde sa popularité ; ses pratiques rituelles portent l'affirmation que notre existence est maîtrisable. Le style et la mise en forme de The Official Boy Scout Handbook, aussi bien que le contenu, créent une vision cohérente du monde qui reçoit sa plus pure expression dans les illustrations de Norman Rockwell. L'évolution des techniques de représentation de Rockwell reflète le souci constant du mouvement scout de se situer au-delà des controverses en tant que donnée fondamentale de la scène américaine.

Depuis avant même l'indépendance, les groupes d'intérêts américains sollicitent leurs élus pour en obtenir des lois favorables à leurs projets, ce qu'on appelle le lobbying parce que censé se dérouler dans les couloirs des assemblées parlementaires, les négociateurs posant en représentants des électeurs de base présents ou futurs. Depuis 1907, on promulgua des lois pour prévenir les manœuvres malhonnêtes, mais les intérêts réussirent à passer entre les mailles des filets. Des scandales amenèrent à interdire, en 1971, les dons, passée une limite, aux candidats présidentiels. Pour contrer l'influence financière des grandes sociétés, les syndicats avaient créé des commissions d'action politique, un moment interdites. Mais des amendements en 1976 et 1979 légitimèrent les PACs, même s'ils sont tenus sous contrôle jusqu'à un certain niveau. Les élections sont devenues si coûteuses que seul le monde des affaires peut rassembler facilement les énormes sommes, nécessaires mais inégalées par des syndicats faibles financièrement malgré le nombre de leurs adhérents. Les PACs professionnels ou idéologiques se dressent, effrayants, parce que très puissants en raison des moyens de propagande modernes qu'ils peuvent acquérir. Néanmoins ils ne sont déjà plus toujours capables d'agir à leur guise. A la longue peut-être sembleront-ils n'avoir été qu'un simple phénomène de la vie politique américaine.

Rien ne semblait devoir rapprocher deux personnalités au tempérament différent. Il est pourtant incontestable que de Gaulle et Nixon sympathisèrent et que le climat des relations franco-américaines s'améliora remarquablement entre janvier et avril 1969 durant la courte période où les deux présidents se trouvèrent ensemble au pouvoir. Le séjour de Richard Nixon à Paris du 28 février au 2 mars 1969 constitua le temps fort de ce rapprochement. Les deux hommes se manifestèrent respect et estime. Surtout un rapprochement ou même une harmonie de vues fut constatée sur un certain nombre de points : la construction européenne, l'OTAN, les relations avec l'U.R.S.S., la Chine et dans une certaine mesure sur la solution à trouver au problème du Vietnam. Certes, tout n'était pas réglé entre la France et les Etats-Unis mais l'entente entre de Gaulle et Nixon ouvrit une période de trois ans de rapports détendus entre les deux pays, jusqu'en avril 1973 où le climat des relations franco-américaines se détériora à nouveau.

Les Etats-Unis étant considérés comme la citadelle du système capitaliste, on serait porté à croire que l'antiaméricanisme français se nourrit d'arguments économiques substantiels. En fait, ce n'est pas le cas, car l'économie privilégie l'étude des intérêts et non celle des valeurs. A gauche, les véritables économistes des années 60 se laissent parfois aller à des pointes d'antiaméricanisme, mais ce ne sont que des facéties dépourvues de sérieux, vite abandonnées, dès qu'ils passent à des analyses de nature scientifique. A droite, la politique économique du général de Gaulle, en dépit de ses attaques contre le dollar, n'est pas en fait antiaméricaine ; elle cherche simplement à protéger les intérêts de la France. Les bases culturelles de l'antiaméricanisme sont beaucoup plus solides que ses fondements économiques.