Contenu du sommaire : Les guerres d'antan

Revue Astérion Mir@bel
Numéro no 30, 2024
Titre du numéro Les guerres d'antan
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Mais où sont les guerres d'antan ? - Mathilde Bernard, Laurence Campa, Ninon Grangé accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans la présentation de Les Guerres d'antan, Mathilde Bernard, Laurence Campa et Ninon Grangé retracent les lignes du cadre conceptuel ayant permis l'élaboration de ce dossier, qui voit le jour après plusieurs années d'un séminaire commun entre des chercheurs en histoire, en littérature, en philosophie et en histoire de l'art sur les sources et modèles de la guerre. Ce travail préliminaire a permis d'élaborer le constat de la puissance de l'imaginaire de la guerre d'avant dans la mise en œuvre des guerres en cours, constat qui a débouché sur la préparation d'un colloque en mai 2022. Les participants à cet événement, dont les actes sont publiés ici, sont partis de ce postulat pour se demander quelles étaient les modalités du retour des conflits passés dans le cours des affrontements en train de se faire, s'il était explicite ou non, refoulé au contraire mais affleurant néanmoins, revendiqué, utilisé sciemment et à quelles fins. Différentes disciplines étaient à nouveau à l'honneur pour mettre en évidence et expliquer la façon dont les guerres passées informaient les guerres présentes. Les chercheuses et les chercheurs qui ont contribué à l'écriture de ce dossier ont travaillé sur le temps long, que ce soit dans une approche philosophique dépassant les frontières chronologiques ou dans un travail d'historien ou de littéraire travaillant une contextualisation qui permette les passerelles entre les époques.
      In their introduction to Les Guerres d'antan, Mathilde Bernard, Laurence Campa and Ninon Grangé outline the conceptual framework that led to developing this study, which crowns several years of joint research by researchers in history, literature, philosophy and history of art on the sources and models of war. This preliminary work made it possible to establish just how powerful imagination of the wars of yesteryear is in shaping contemporary wars, an observation that led to preparing a symposium in May 2022. The participants of this event, for which the proceedings published here, took this premise as their starting point to query how past conflicts could return to the fore in, whether this was explicit or not, hushed up, denied, on the other hand yet still asserted, acknowledged, used knowingly and for what purpose. Different disciplines were once again highlighted to emphasize and explain the way in which past wars inform present ones. The researchers who were involved in writing this study worked on a long period of time taking a philosophical approach that goes beyond chronological boundaries, and as historians and literary scholars reflecting on a perspective that builds bridges between eras.
    • Spectres, conjuration et invocation (de la guerre) dans les représentations de la crise. Une réflexion à partir du droit de crise - Marie Goupy accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les représentations de la guerre travaillent le droit de crise. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer non seulement l'origine d'une large partie de ce droit, mais le modèle plus ou moins explicite qu'a constitué la guerre dans nombre d'interprétations du droit de crise, et ce, depuis la Révolution française au moins. Ce rapport à la guerre est néanmoins, dès cette origine même, particulièrement ambivalent. Il l'est encore aujourd'hui, lorsqu'il accompagne l'application des lois sur l'état d'urgence durant la lutte contre le terrorisme, ou durant la crise sanitaire, qui s'est encore vue escortée d'une pesante rhétorique guerrière. Pourtant, jamais le modèle de la guerre n'a semblé aussi éloigné des changements réels qui affectent le droit de crise, en particulier sur un plan temporel, tant ce dernier traduit au contraire une prise en charge administrative de plus en plus continue de l'urgence – souvent visée avec la formule ambiguë d'exception permanente. C'est cette tension entre une transformation de la temporalité du droit de crise et le recours à toute une rhétorique qui fait continuellement référence à un modèle discontinuiste de la guerre, apparemment anachronique, que cet article voudrait aborder, en tentant de penser le rapport au temps qui s'y énonce de façon paradoxale. Plus spécifiquement, il s'agit d'éclairer une représentation curieusement nostalgique à l'égard des « guerres d'antan », en prenant appui sur le concept derridien de spectre.
      Emergency powers are shaped by representations of war. For proof of this, we not only need to observe the origins of a large part of this kind of law, but also the more or less explicit model provided by war in many interpretations of emergency legislations, at least since the French Revolution. Nevertheless, from the outset, this relationship has been particularly ambivalent. It remains ambivalent today, when governments apply emergency legislations during the fight against terrorism or during the health crisis, which were both escorted by heavy war rhetoric. And yet, never has the war model seemed so far removed from the real changes affecting the management of crisis, particularly in terms of temporality. On the contrary, this management reflects an increasingly continuous administrative handling of emergencies – often referred to by the ambiguous formula of “permanent state of emergency”. It is this tension between a transformation of the temporality of emergency legislations, and the use of a whole rhetoric that continually refers to an apparently anachronistic, discontinuous model of war that this article seeks to address, by attempting to think through the relationship with time that is paradoxically expressed in it. More specifically, the aim is to shed light on a curiously nostalgic representation of the “wars of yesteryear”, based on the Derridean concept of the spectre.
    • Théoriser la morale à l'époque de Clausewitz : historicité ou transhistoricité ? - Hervé Drévillon accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans l'histoire de la pensée sur la guerre, une démarche transhistorique est apparue en se donnant pour règle de ne pas soumettre la théorie aux circonstances, en tant qu'elles sont notamment conditionnées par des facteurs techniques. Cette ambition s'est nettement exprimée dans la théorie de Clausewitz reposant sur la différence entre la dimension historique de la « guerre réelle » et la dimension transhistorique de la « guerre absolue ». Avant la théorie de Clausewitz, le caractère transhistorique s'était invité dans la pensée de la guerre à l'époque moderne, qui s'était beaucoup développée à propos de l'usage des armes à feu, nouveauté dont de nombreux théoriciens refusaient de tenir compte.Au cours de la Première Guerre mondiale, l'armée française produisit de nouvelles armes, par exemple les chars d'assaut, et recourut au bombardement aérien. Ce fut la capacité à s'adapter aux circonstances historiques de cette guerre qui fut alors considérée comme la cause de la victoire, ainsi que le souligna par la suite l'historien Marc Bloch en définissant l'histoire comme une « science du changement ». Après la Seconde Guerre mondiale, les fortes transformations des guerres alimentèrent une tendance à se référer à la théorie transhistorique de Clausewitz pour pouvoir continuer à penser la guerre dans ces conditions. L'adoption d'une démarche transhistorique fut donc elle-même un phénomène historique.
      In the history of war thinking, a transhistorical approach has emerged, with the value of not subjecting the theory to circumstances, particularly those fuelled by technical factors. This ambition was closely linked to Clausewitz's theory, which was based on the difference between the historical character of “real war” and the transhistorical character of “absolute war”. Prior to Clausewitz's theory, the transhistorical character had crept into the thinking on warfare in the modern era, which had developed a great deal around the use of firearms, a character to which some theorists did not want to submit. During the First World War, the French army produced new weapons, such as tanks and aerial bombardment. It was therefore the ability to adapt to the historical circumstances of this war that was later considered to be the cause of victory, as the historian Marc Bloch later emphasised when he defined history as a “science of change”. After the Second World War, the major changes in warfare fuelled a tendency to refer to Clausewitz's transhistorical theory in order to continue to think about war despite its major changes. The transhistorical approach was therefore a historical phenomenon.
    • Normativités pirates : à partir d'une singularité commune à Bodin, Grotius et Hobbes - Thomas Berns accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le pirate est une figure à la fois marginale de la guerre – puisqu'exclue de celle-ci – et centrale – puisque régulièrement convoquée pour la définir. À partir de quelques évocations de cette figure par Bodin, Grotius et Hobbes, qui toutes prennent appui sur Thucydide, nous voulons faire apparaître une normativité propre et immanente à l'espace de la violence guerrière.
      The pirate is a figure that is both marginal to war – since he is excluded from it – and central – since he is regularly called upon to define it. From a few evocations of this figure by Bodin, Grotius and Hobbes, all of which are based on Thucydides, we want to bring to light a normativity that is specific and immanent to the space of warlike violence.
    • La guerre de Troie, matrice de la guerre de croisade - Florence Tanniou accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Tout au long du Moyen Âge, la légende troyenne a servi de référent pour dire la guerre. Mais c'est dans le cadre de la guerre de croisades, en particulier de la quatrième croisade (1204) et de ses suites, qu'elle devient un archétype pleinement signifiant. D'une part, la guerre de Troie est mobilisée dans le récit des conflits contemporains et d'autre part le récit troyen se démultiplie et s'actualise, cherchant à dire et à réfléchir les conflits du présent. Par une superposition géographique accentuée entre Troie et Constantinople, la guerre présente s'exhibe dans sa coïncidence avec les lieux mêmes du conflit passé, engendrant une réflexion sur les causes de la guerre qui tient d'une vision cyclique du temps et appelle une lecture stratigraphique. Ces jeux de résonances entre Troie et la croisade, textuels et iconographiques, mettent en forme les interrogations et les incertitudes sur la guerre, et font du mythe une matrice aussi bien poétique qu'historique et politique.
      Throughout the Middle Ages, the Trojan legend was used as a benchmark for writing about war. But, it was in the backdrop of the Crusades, in particular the Fourth Crusade (1204) and its aftermath, that it becomes a fully significant archetype. On the one hand, the Trojan War featured in the narrative of contemporary conflicts and, on the other hand, the Trojan narrative was expanded on and updated, so as to express and reflect on ongoing conflicts. Through a distinct geographical overlap between Troy and Constantinople, the ongoing war is portrayed in the way it coincides with the very locations of the past conflict, generating a reflection on the causes of the war that offers a cyclical vision of time and calls for stratigraphical comprehension. These textual and iconographic resonances between Troy and the Crusade shape questions and uncertainties about war and make the myth a matrix that is poetic , historical and political.
    • Les guerres de Religion au miroir des conflits antiques : François de Lorraine, duc de Guise, dans Les Essais de Montaigne - Alicia Viaud accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      François de Lorraine, important chef militaire catholique de la première guerre de Religion, est évoqué dans deux chapitres des Essais qui relatent son comportement en marge du siège de Rouen (I, 23) et lors de la bataille de Dreux (I, 45). Montaigne compare la conduite du duc de Guise à celle d'Auguste puis à celle de Philopœmen et d'Agésilas, dans deux parallèles reposant sur des emprunts à Sénèque et à Plutarque. L'analyse des chapitres I, 23 et I, 45 permet de saisir le jugement que Montaigne porte sur cette figure controversée et la manière dont son évaluation s'élabore au miroir des conflits antiques. L'évocation de la bataille de Dreux, si elle justifie la temporisation de François de Lorraine, qui ne s'est pas engagé alors que le connétable de Montmorency était en difficulté, laisse entrevoir la possible imperfection morale d'un choix efficace. L'anecdote du siège de Rouen célèbre au contraire la vertu d'une clémence sans effet, qui n'a pas permis au duc de Guise d'échapper à un assassinat mais a manifesté sa valeur morale et la force de sa foi. Si Montaigne salue donc les qualités du chef catholique, les parallèles n'occultent pour autant pas les lacunes d'un portrait n'offrant pas les détails attendus dans le cadre d'une « vie », forme narrative vantée dans Les Essais, et rendent au contraire palpables les silences et les incertitudes.
      Francis de Lorraine, an important Catholic military leader of the first war of Religion, is mentioned in two chapters of the Essays which relate his behaviour outside the siege of Rouen (I, 23) and during the battle of Dreux (I, 45). Montaigne compares the conduct of the Duke of Guise with that of Augustus, then with that of Philopœmen and Agesilaus, in two parallels based on borrowings from Seneca and Plutarch. The analysis of chapters I, 23 and I, 45 allows us to grasp Montaigne's judgement of this controversial figure and the way in which his assessment is elaborated in the mirror of ancient conflicts. The evocation of the battle of Dreux, if it justifies the temporisation of Francis de Lorraine, who did not engage while the Constable of Montmorency was in trouble, suggests the possible moral imperfection of an effective choice. The anecdote of the siege of Rouen, on the other hand, celebrates the virtue of an ineffective clemency, which did not allow the Duke of Guise to escape assassination but demonstrated his moral value and the strength of his faith. Although Montaigne therefore praises the qualities of the Catholic leader, the parallels do not obscure the gaps of a portrait that does not offer the details expected in a ‘life', a narrative form praised in the Essays, and instead make the silences and uncertainties evident.
    • Revisiter les violences passées pour expliquer celles d'un conflit vécu : imaginaire médiéval, souvenirs des guerres révolutionnaires et impériales dans les écritures de soi des civils en 1870-1871 - Sandra Chapelle accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La défaite française de 1871 face à la Prusse et ses alliés est vécue et ressentie comme un profond traumatisme par les contemporains. Parmi eux, ceux qui s'identifient comme des témoins non-combattants prennent massivement la plume à partir de 1870. Ces civils (hommes et femmes) – appartenant majoritairement aux classes moyennes supérieures et à la bourgeoisie – couchent alors sur le papier les événements inédits auxquels ils assistent ; sous forme de journaux lorsqu'ils écrivent pour eux-mêmes, sous forme de lettres lorsqu'ils s'adressent à leurs proches et que leur écriture appelle une réponse. Tous habitent dans des territoires envahis ou occupés par les armées allemandes. D'autres font le choix d'écrire rétrospectivement, peu après le départ des troupes allemandes du territoire français ou même des décennies plus tard, jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale. Cette centaine de textes écrits entre 1870 et 1914 témoigne à la fois de la multiplicité des sentiments des civils face à une situation qu'ils ne comprennent pas, et des mécanismes qu'ils mettent en place afin de donner un sens à la défaite. Le premier d'entre eux est le recours au passé. En 1870-1871, les non-combattants font massivement appel aux mémoires impériale et révolutionnaire, avant de mobiliser l'imaginaire médiéval qui renvoie à la période qu'ils considèrent comme la plus sombre de l'Histoire. Ces représentations, revisitées et réinvesties, attestent de leur désarroi face à un présent qui n'est plus à la hauteur du passé glorieux de la France. La défaite entraîne l'effondrement du modèle de la nation victorieuse et fait naître un puissant sentiment d'infériorité. Ce dernier n'est dépassé qu'au prix de la construction d'une image très négative des Allemands (et tout particulièrement des Prussiens) ; une image qui devient un des fondements de la nouvelle identité nationale française qui se reconstruit en miroir inversé du nouvel Empire allemand à partir de 1871 (voir F. Roth, La guerre de 1870, Paris, Fayard, 1990, p. 607-638).
      The French defeat of 1871 against Prussia and its allies was experienced and felt as a deep trauma by contemporaries. The personal accounts (diaries and letters) of those who lived through the war but who did not fight, testify both to the multiplicity of their feelings in the face of a situation they did not understand, and to the mechanisms that they put in place in order to give meaning to defeat. The first of these is the use of the past. In 1870-1871, civilians appealed massively to imperial and revolutionary memories, before invoking medieval imagination, which refers to the period they consider to be the darkest in history. These revisited and reinvested depictions attest to their distress when faced with a present that was no longer on a par with France's glorious past. The defeat led to the collapse of the model of the victorious nation and gave rise to a powerful feeling of French inferiority. The latter was only overcome by creating a very negative image of the Germans (and especially of the Prussians); an image that would become one of the mainstays of the new French national identity construed as an inverted mirror of the new German Empire from 1871 onwards (see F. Roth, La guerre de 1870, Paris, Fayard, 1990, pp. 607-638).
    • Thil Ulenspiegel et Philippe II d'Espagne en Grande Guerre - Marine Branland accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Du XVIe au XIXe puis au XXe siècle, Thil Ulenspiegel a traversé le temps et l'histoire. Il est devenu une figure légendaire de la révolte des Pays-Bas incarnant la liberté contre l'oppresseur Philippe II d'Espagne dans la version de Charles De Coster publiée en 1867 et la légende trouve une actualité inédite lors de la Première Guerre mondiale. Deux graveurs belges (Paul-Auguste Masui et Walter Vaes) se saisissent de cette histoire pour délivrer un message sur le conflit en cours. Réfléchissant à ces télescopages temporels et culturels, cet article cherche à comprendre les enjeux d'un tel recours entre 1914 et 1918, et même au-delà : Romain Rolland consacre une préface à cette légende en 1926 ; Maurice Langaskens et Frans Masereel illustrent eux aussi la légende durant l'entre-deux-guerres.
      From the 16th to 19th and again in the 20th century, Till Eulenspiegel weaved his way through time and history. He became a legendary character of the Dutch Revolt embodying the freedom against the persecutions of Philip II of Spain in Charles De Coster's version (1867) and the tale was given new significance during the First World War. Two Belgian artists (Paul-Auguste Masui-Castricque and Walter Vaes) referred to the legend in their engravings to deliver a message on the ongoing war. By thinking about time and cultural parallelisms, this paper seeks to understand the stakes of evoking the Legend during the war and also after as do Romain Rolland – writing the preface to a German translation of the Legend in 1926 – and two other Belgian artists illustrating Charles De Coster's text during the 1920s: Maurice Langaskens and Frans Masereel.
    • Une impossible guerre d'avant : l'écriture et la mémoire dans La Comédie de Charleroi de Pierre Drieu la Rochelle - Akihiro Kubo accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Après son premier recueil de poèmes, Interrogation (1917), Pierre Drieu la Rochelle est revenu sur l'écriture de la guerre de 1914-1918 avec La Comédie de Charleroi (1934). Dans ce recueil de nouvelles autobiographiques publié à la veille de sa conversion au fascisme, Drieu s'interroge sur la portée morale et politique de cette « guerre d'avant ». Cela ne veut pas dire pour autant que l'écrivain traite ce sujet avec le recul du temps, bien au contraire. Drieu le fait à partir de ses émotions. Pour cela, il semble que l'écrivain tente de revivre la guerre par son écriture. Dans cette perspective, nous examinons le style et la structure narrative de « La Comédie de Charleroi ». Dans cette nouvelle éponyme du recueil, qui a pour sujet la remémoration de la guerre, Drieu remet en cause une chronologie réaliste en pratiquant le mélange des genres pour s'approcher du récit poétique. C'est cette prose poétique et fictionnelle qui a permis à Drieu de réfléchir sur sa « guerre d'avant » tout en restant fidèle au lyrisme originaire qui fait entendre le « cri ». De cette expérience littéraire, il dégagera des conséquences idéologiques, comme en témoigne Socialisme fasciste (1934).
      After publishing his first collection of poems entitled Interrogation (1917), Pierre Drieu La Rochelle returned to writing on the First World War in La Comédie de Charleroi (1934). The writer examined the moral and political significance of the “last war” in a retrospective manner in this collection of autobiographical short stories that he published just before his conversion to Fascism. However, Drieu did not treat his experience of the war as a distant memory. On the contrary, his texts are characterised by emotivity, as if he was attempting to relive the very moment of his war. From this point of view, we examine the style and narrative structure of “La Comédie de Charleroi”. In this short story which opens the book, Drieu created a poetic narrative by mixing narrative prose and lyricism, and thus undermined realistic chronology. By means of this poetic narrative, he wrote his memory of the “last war” and, at the same time, expressed his “cry” which was the leitmotiv of his first collection of poems. This literary experience seems to have had an ideological consequence, as shown in Socialisme fasciste (1934).
    • Perdre l'expérience de guerre. Autour d'une obsession moderne - Déborah Vanaudenhove Brosteaux accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Face aux technologies de la guerre à distance, un diagnostic est souvent posé : la guerre moderne entraînerait une déréalisation, voire une perte de l'expérience de guerre. L'article part du malaise que ce diagnostic suscite, dans la mesure où il révèle certains attachements guerriers que la modernité a cultivés. Des tranchées aux drones, le geste qui consiste à déplorer la perte de l'expérience de guerre scande en effet l'histoire des guerres modernes. L'article propose de mettre au jour les attentes actives, elles-mêmes éminemment modernes, qui hantent ce geste : l'attente d'une expérience amplifiée par la guerre, liée à la quête d'une vie intensifiée. Sur les pas de Walter Benjamin, il cherche à déchiffrer la manière dont ces attentes sont liées à l'émergence de nouvelles sensations, passions et hantises qui touchent à l'expérience de la modernité.
      Given remote warfare technology, a diagnosis is often made: modern warfare would lead to a derealization and even a loss of war experience. This paper takes the unease that this diagnosis triggers as its starting point, insofar as it reveals certain attachments to war that have been nurtured throughout modern times. From trenches to drones, the act of lamenting the loss of war experience marks the history of modern warfare. This paper looks at the eminently-modern, active expectations, that haunt this act: the anticipation of an experience heightened by war, linked to the quest for life that is more intense. By following in Walter Benjamin's footsteps, it seeks to decipher the way in which these expectations are linked to the emergence of new feelings, passions and obsessions that touch on the experience of modernity.
    • « Et la vie a passé comme ont fait les Açores ». Aragon, la guerre, le temps - Pierre-François Moreau accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Aragon a vécu directement deux guerres, avec lesquelles il entretient un rapport différent : l'essentiel de ce qu'il exprime sur la Première Guerre mondiale est écrit quarante ans plus tard, dans Le Roman inachevé, alors que la Seconde Guerre aboutit aussitôt aux poèmes du Crève-Cœur et des Yeux d'Elsa, puis à ceux de la Résistance. Un rapport différent au temps, donc. Mais justement, par les bouleversements qu'elle apporte tant dans l'expérience historique que dans celle de la vie quotidienne, par les illusions qu'elle fait perdre comme par les déchirements qu'elle suscite, la guerre confronte immédiatement le poète à une diffraction de la temporalité : le temps de l'ennui et de l'inaction forcée, celui de l'installation dans la mort, celui de la répétition, celui de la vie qui s'enfuit. Celui, aussi, parfois, de l'espérance.
      Aragon lived through two wars directly, and his relationship with them was different: most of what he wrote about the First World War was written forty years later, in Le Roman inachevé, whereas the Second World War led immediately to the poems of Crève-Cœur and Les Yeux d'Elsa, and then to those of the Resistance. A different relationship to time, then. But precisely because of the upheavals it brought to both historical and everyday experience, the illusions it shattered and the heartbreak it caused, the war immediately confronted the poet with a diffraction of temporality: the time of boredom and forced inaction, time of death, setting in time of repetition, time of life slipping away. Occasionally, also, time of hope.
  • Varia

    • Maine de Biran : métaphysique et psychologie - Anne Devarieux accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Que pouvons-nous savoir en métaphysique ? Défendre la métaphysique contre ses ennemis et ses ennemis contre eux-mêmes (les Idéologues) aura supposé pour Maine de Biran une lutte sur un double front, capable d'éviter tout à la fois les écueils d'une métaphysique abstraite qui ne veut admettre que des principes a priori et refuse le titre de science des principes à celle qui se fonderait sur l'expérience, et d'une métaphysique d'inspiration condillacienne, Idéologie comprise, qui n'admet qu'une sorte d'expérience, l'expérience extérieure. Biran édifie une métaphysique de l'expérience intérieure qui repose sur la découverte d'un ordre de faits plus internes qui constituent le fond de l'être pensant et agissant. Le principe générateur de nos facultés, c'est-à-dire de nos opérations, est un fait duel, une relation primitive interne dont les termes sont distincts sans être séparés – la force dite hyper-organique et la résistance du corps propre –, qui s'identifie avec notre existence même. Biran met ainsi fin aux discours ontologiques sur les essences séparées de l'âme et du corps et promeut un nouvel empirisme. Ni logique ou grammaire générale, ni physiologie, la métaphysique positive est la science des faits primitifs du sens intime, une science expérimentale intérieure à peine née, à savoir la psychologie, à la fois analytique et synthétique, rationnelle et expérimentale.
      What can we expect from metaphysics? Defending metaphysics against its enemies and its enemies against themselves (Ideologists), according to Maine de Biran, requires a twofold struggle, capable of avoiding both the dangers of abstract metaphysics that only acknowledges a priori principles and refuses the title of science of principles to that which would be based on experience, and Condillac-inspired metaphysics, including Ideology, which acknowledges only one kind of experience, external experience. Biran builds a metaphysics of internal experience founded on the discovery of an order of internal facts, which constitutes the basis of the thinking and acting being. The generating principle of our faculties, i.e. of our actions, is a dual fact, a primitive internal relationship whose terms are distinct without being separate, namely the so-called “hyper-organic” force and the resistance of our own body, identified with our very existence. Biran thus puts an end to ontological discourses when it comes to separating essences of soul and body, and promotes new empiricism.Positive metaphysics is neither logic nor general grammar, nor physiology, but the science of the primitive facts of the inner sense, a barely-born inner experimental science, namely psychology, that is analytical and synthetic, rational and experimental.