Contenu du sommaire : L'Adjectif : Perspectives historique et typologique
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.14, n°1, 1992 |
Titre du numéro | L'Adjectif : Perspectives historique et typologique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
L'Adjectif : Perspectives historique et typologique. Bernard Colombat [Dir.]
Articles
- L'adjectif : perspectives historique et typologique. Présentation - Bernard Colombat p. 5-23
- L'adjectif dans la tradition grammaticale grecque - Jean Lallot p. 25-35 Le traitement de l'adjectif (epitheton) par les grammairiens grecs trahit une double dette à l'égard d'Aristote qui a décrit, dans la Rhétorique, les épithètes comme des mots surajoutés, et a mis en évidence, dans les Catégories, la distinction entre la qualité et la substance. Chez les grammairiens cet héritage est enrichi et réorienté : l'adjectif de qualité s'oppose tendanciellement au nom substantif par sa morphologie (genre mobile, gradation), sa syntaxe (position dépendante), sa fonction sémantique (désignation d'une qualité discriminante) — mais le repérage de ces différents traits ne remet pas en cause le statut de l'adjectif comme espèce du nom.Greek grammarians treat adjectives (epilheta) in a way which reveals that they are doubly indebted to Aristotle, who describes epithela as superfluous words in the Rhetoric and who makes a distinction between quality and substance in the Categories. This Aristotelian legacy is enriched and redirected in the grammarians' works, where qualifying adjectives tend to be distinguished from substantives on account of their morphology (variation of gender and degree), their syntax (dependent position) and their semantic function (denoting a distinctive quality) ; however, the emergence of these features does not call into question the status of the adjective as a species of noun.
- Sur l'adjectif dans la tradition grammaticale tamoule - Jean-Luc Chevillard p. 37-58 Dans ses classifications morphologiques la tradition tamoule ne reconnaît pas d'adjectifs même si elle se préoccupe d'un certain nombre de problèmes que je qualifie d'adjectivaux. Ceux-ci sont rassemblés 1. par une problématique sémantique commune (voir le terme panpu) et 2. par des pratiques paraphrastiques, variables selon les grammairiens, qui relient les différents éléments de ce que j'appelle le paradigme adjectival .The Tamil tradition does not recognise adjectives among its morphological classifications, even if it is concerned with a certain number of problems which I would describe as adjectival. Such problems can be grouped : 1. in relation to a common semantic problem (see the term panpu), and 2. in relation to paraphrastic strategies which vary from grammarian to grammarian, and which link the different elements of what I would term the adjectival paradigm.
- Le statut de l'adjectif dans la tradition grammaticale arabe - Jean-Patrick Guillaume p. 59-74 Bien que la tradition grammaticale arabe n'ait jamais considéré l'adjectif comme une partie du discours autonome, elle n'en a pas moins été amenée à reconnaître un statut particulier aux « noms qui désignent une certaine manière d'être de la substance », et à les distinguer des substantifs proprement dits. Statut ambigu, au demeurant, car le terme de « qualificatif » (s-ifa) employé pour désigner ces « noms adjectifs » renvoie au sens propre à un constituant de la phrase correspondant en gros à l'épithète. Il n'en reste pas moins que de nombreux domaines de l'analyse grammaticale rendent nécessaire une distinction entre le « nom » proprement dit (i.e. le substantif) et le qualificatif. Au travers de ces analyses apparaît une idée centrale, celle que celui-ci constitue une sorte de cas intermédiaire entre le substantif et le verbe ; ce point permet de préciser certains aspects du système des parties du discours tel qu'il a été mis en oeuvre par la tradition arabe, et notamment la façon dont celui-ci peut s'accommoder de l'hétérogénéité de certaines données.Although the Arabie grammarians never considered the adjective as an autonomous part of speech, they recognized the specific status of « nouns which denote a certain manner of being of the substance », as opposed to substantives proper. This status was nevertheless somewhat ambiguous, because the term « qualificative » (sifa), which was commonly used to designate this particular class of « adjectival nouns », refers strictly speaking to a sentence component which roughly corresponds to the epithet. However, many different fields of grammatical analysis calls for a distinction between a « noun » (i.e. the substantive) and a qualificative. A central notion emerges from these analyses, which is that the qualificative is a kind of « middle term » between the noun and the verb ; this enables us to shed light on certain aspects of the system of parts of speech within the Arabic tradition, notably its capacity to accomodate heterogeneous data.
- Quelques aspects de la diversité des discussions médiévales sur l'adjectif - Irène Rosier p. 75-100 L'opposition entre substantif et adjectif se stabilise au Moyen Age. Les deux sources principales de la réflexion médiévale expliquent la variété des domaines dans lesquels elle intervient. Il s'agit de l'opposition entre les deux constituants du nom, substance et qualité, tels que définis par Priscien, et de la théorie de la paronymie développée par Boèce, commentant les Catégories Aristote. L'opposition substantif/adjectif occupe une place centrale dans la résolution de problèmes sémantiques, référentiels, fonctionnels et syntaxiques, mais également théologiques. C'est dans ces divers contextes que l'on peut apprécier la portée opératoire de notions telles que celle de connotation, de dépendance, de signification oblique, ou encore de restriction référentielle.The opposition between substantive and adjective stabilizes in the Middle Ages. The two main sources of medieval thinking explain the variety of areas in which it occurs : the opposition between the two constituants of the noun, substance and quality, as defined by Priscian, and the theory of paronyms developped by Boethius, in his commentary on Aristotle's Categories. The opposition between substantive and adjective plays a central role in solving various problems, concerning semantics, reference, function, syntax but also theology. From these various contexts, one can appreciate the operational efficacity of such notions as connotation, dependency, oblique signification or referential restriction.
- L'adjectif dans la tradition latine : vers l'autonomisation d'une classe - Bernard Colombat p. 101-122 Cet article étudie dans la tradition grammaticale latine — essentiellement sur la base de textes antiques et humanistes — l'émergence de la catégorie adjectivale, puis son indépendance de plus en plus grande à l'intérieur de la classe nominale. Rappelant l'importance de la tradition rhétorique, il analyse les définitions données de l'adjectif, situe le couple substantif vs adjectif par rapport à d'autres oppositions : nom fixe vs nom mobile, nom propre vs nom commun, nom abstrait vs nom concret. Il aborde la question du rapport de l'adjectif avec la gradation et le genre et évoque son traitement syntaxique dans la grammaire humaniste.Using texts from Antiquity and the Renaissance, the article examines first the emergence of the adjectival category in Latin grammatical tradition, and then the increasing independence of the category within the nominal class. The author evokes the importance of the rhetorical tradition, analyses definitions of the adjective, and places the substantive vs adjective opposition in relation to other oppositions : fixed vs mobile noun, proper vs common noun, abstract vs concrete noun. He tackles the question of the relation between adjective and gradation, and adjective and gender, and deals with the syntactic treatment the adjective received in humanist grammars.
- Omne nomen adjectivum habet suum substantivum : L'adjectif et la constitution de l'énoncé dans la grammaire sanctienne - Claire Lecointre p. 123-140 L'objet de cet article est de montrer comment Sanctius justifie sa conception de l'adjectif, dont le caractère principal est de toujours déterminer un substantif. Fondée sur la notion aristotélicienne de 'relation', cette conception va de pair avec une analyse qui envisage la prédication non comme l'attribution d'un predicament à un sujet, mais comme l'affirmation d'une existence. Les auteurs de la GGR, qui héritent de la doctrine sanctienne par l'intermédiaire de la NML, l'abandonnent en grande partie, dès lors qu'ils tiennent le verbe pour l'expression de l'affirmation.This article aims to show how Sanctius justifies his conception of the adjective, whose main characteristic is that it always determines a substantive. This conception is derived from the Aristotelian notion of 'relation' and sees predication not as the attribution of a predicament to a subject but as the affirmation of some form of existence. The authors of the GGR received this doctrine from the NML but largely rejected it after they decided affirmation to be expressed by the verb.
- Les grammaires du français à l'âge classique : « adjectif » et l'adjectif - Simone Delesalle p. 141-158 Cet article montre le tâtonnement par lequel est passée, aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'institution de l'adjectif en partie du discours à part entière. Des éléments qui apparaissaient auparavant sous le chef du nom et du pronom se réunissent, dans des processus qui varient selon les auteurs et sont liés à des paramètres d'ordres différents, tels le sensualisme, en ce qui concerne le « qualificatif », la prise en compte de la spécificité du français (cf. le développement d'un paradigme de déterminants, y compris l'article), enfin le raffinement de l'analyse linguistique, avec l'élaboration du syntagme nominal et de ses composants de détermination et caractérisation.This article shows how during the XVIIth and XVIIIth centuries, the « adjectif » evolved into a part of speech in its own right. Elements that had previously been grouped either as nouns or as pronouns are now united by processes that vary according to author, and are linked to various parameters, such as sensualism, for the «qualificatif», the recognition of the specificity of the French language (cf. the development of a paradigm of « déterminants » including the article) and the refinement of linguistic analysis, with the elaboration of the noun phrase and its components of determination and characterisation.
- La catégorie de l'adjectif et les déterminants : l'apport de Beauzée - Sylvain Auroux p. 159-179 N. Beauzée (1717-1789), l'un des plus puissants grammairiens du XVIIIe siècle, a conduit une nouvelle analyse de l'adjectif qui en fait une catégorie autonome, séparée du nom substantif, parallèle au verbe et englobant, à la fois, nos adjectifs qualificatifs et nos déterminants. Cette innovation correspond à une définition de l'extension en termes de classe, à la première formulation correcte de ce que nous appelons la « loi de Port-Royal » sur la variation inverse de la compréhension et de l'extension, et à l'analyse de la façon dont les « adjectifs » opèrent sur le substantif. A partir d'une expression énigmatique du grammairien (latitude d'étendue), on évoque la possibilité de sources médiévales et l'on interprète les concepts présentés à l'aide des représentations géométriques de la latitudo formarum. Après en avoir étudié les conséquences, on s'intéresse au devenir de ces conceptions chez les successeurs. Le modèle permet également de mettre clairement en perspective le concept guillaumien d1 extensile.N. Beauzée (1717-1789) was one of the most influential grammarians of the XVIIIth century and he set out a new approach to analysing adjectives which makes them into an autonomous category, separate from substantives, on a par with verbs, and including both qualifying adjectives and determiners. Such innovation produced a definition of extension in terms of class, the first direct formulation of what is termed 'the law of Port-Royal' relating to the inverse variation of comprehension and extension, and an analysis of the way in which 'adjectives' act on substantives. Using an enigmatic expression employed by Beauzée (« latitude d'étendue ») we consider the possibility of medieval sources and explain the concepts by means of geometric representations of « latitudo formarum ». After having examined the consequences of this, we turn our attention to their effect on Beauzée's successors. The model also allows us to place Guillaume's concept of « extensile » in perspective.
- L'épithète entre rhétorique, logique et grammaire aux XVIIe et XVIIIe siècles - Françoise Berlan p. 181-198 La description de l'adjectif, aux XVIIe et XVIIIe siècles en France, correspond à trois traditions, celle de la rhétorique, où s'est maintenu le terme d'épilhète traduit du grec epilheion, celle de la grammaire générale et de ses analyses logico-sémantiques utilisant le terme d'adjectif, celle enfin du bon usage recourant aussi à l'emploi exclusif d'adjectif. Mais elles sont en relation les unes avec les autres, en dépit de leur spécificité et aboutissent, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, par les écrits successifs de Dumarsais, Roubaud et Marmontel, à la mise en regard des deux termes et de leur contenu. Alors que Marmontel insiste sur la nécessité d'adapter les épithètes aux contraintes situationnelles, les remarques de Roubaud sur la place de l'épithète peuvent être considérées comme une première approche de la présupposition.Three traditions contnbute to the way the adjective is described in the XVlIth and XVIIlth centuries : the Rhetorical tradition where the term 'epithet' (< the Greek epilheloh) is still used, the traditon of general grammar and logico- semantic analysis which employs the term 'adjective', and, lastly, that of 'correct use' which also has recourse to the exclusive use of 'adjective'. But, in spite of their specificity, these traditions link up, and, in the second half of the XVIIlth century, attention is brought to bear on the two terms and their content in the respective writings of Dumarsais, Roubaud and Marmontel. While Marmontel emphasises the necessity of adapting epithets to the constraints of situation, Roubaud 's remarks on the place of the epithet can be considered as the first tentative formulation of presupposition.
- L'extension de la classe adjectivale en grammaire française - Jacques Julien p. 199-209 La grammaire scolaire en France au XIXe siècle, privilégiant le critère de l'accord, inclut dans la notion d'adjectif un certain nombre de mots qui étaient traditionnellement classés parmi les pronoms, et sont à présent considérés comme des déterminants. Cet article tente de donner une vue d'ensemble, des débuts de la grammaire française à la terminologie de 1975, des variations en extension, et dans la terminologie employée, de la catégorie appelée adjectif.Nineteenth-century French grammars, which emphasize syntactical agreement, included a set of words traditionally classed as pronouns and now generally considered as determiners in the notion of adjective. This article attempts to give an overview of the extensional and terminological variations of the category known as adjective from the beginnings of French grammar up to the terminology in use in 1975. '
- L'adjectif dans la tradition grammaticale russe - Sylvie Archaimbault p. 211-221 Dans les grammaires russes, la catégorie de l'adjectif a du mal à s'autonomiser. Celui-ci reste pris dans le couple substantif/adjectif, autant par respect des traditions grammaticales classiques que par sa forme ou son statut dans la langue. En effet, la présence d'une flexion autonome de l'adjectif long aurait pu hâter son autonomie, tandis que l'existence en russe d'une forme spécifique d'adjectif prédicat a pu justifier des rapprochements ponctuels avec la catégorie du verbe. Enfin, il apparaît que jusqu'à la Grammaire de Lomonosov (1755), les grammaires renferment les définitions morphologiques et syntaxique de l'adjectif, la définition sémantique étant réservée aux dictionnaires.Russian grammars have traditionally been reluctant to grant proper autonomy to adjectives. They have remained locked in the framework of the adjective/substantive relationship. This is essentially due to respect for classical grammatical tradition and, to a lesser degree, to the form and status of the adjective in the language. In fact, the presence of an autonomous flexion of the long adjective might have promoted its autonomy, while the existence in Russian of a predicative adjective justified attempts to establish links with the verbal category. Finally, it appears that up until Lomonosov's Grammar (1755), grammatical treatises offered only morphological and syntactical definitions of adjectives, any form of semantic definition being restricted to dictionaries.
- Le problème de la définition d'une classe d'adjectifs ; verbes-adjectifs ; langues sans adjectifs - Alain Lemaréchal p. 223-243 Toutes les langues ne possèdent pas d'adjectifs, mais il semble que toutes présentent 1) des structures relevant de la fonction épithétique, du fait de la capacité des langues à condenser l'information, 2) des moyens d'exprimer plus ou moins différentiellement les qualités statiques. Cette situation amène à poser 1) le problème — d'ordre descriptif — des critères à adopter pour définir une classe d'adjectifs, 2) celui — d'ordre théorique et interprétatif — de l'existence de constantes syntaxiques (rapports entre adjectif, fonction épithétique, fonction predicative, entre adjectif et verbe vs nom, traits d'enchâssement et d'accord), sémantico-logiques (expression des qualités vs des substances primaires vs secondaires, des propriétés vs autres prédicats, stativité, gradabilité, statut des termes abstraits), etc., au delà de la diversité des types de langues.Not all languages have adjectives as a separate part of speech, but all present 1) epithetical structures, given the ability of languages to condense information, 2) ways of expressing stative properties. This situation leads us to ask 1) on a descriptive level what criteria are to be used to define an adjectival class, 2) on a theoretical and interpretative level, what kind of syntactic constants exist (relations between adjectives and the epithetical function, the predicative function, between adjectives and verbs vs nouns, embedding or agreement features), what sort of semantico-logical constants (expression of properties vs substances, stativity, gradability , status of abstract terms), and so on, beyond the various types of languages.