Contenu du sommaire : Le Siècle du voyage
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 21, 2006 |
Titre du numéro | Le Siècle du voyage |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation : Pour une histoire culturelle du voyage au XIXe siècle - Sylvain Venayre p. 5-21 À partir d'une définition du voyage comme déplacement dans l'espace caractérisé par la rencontre de l'autre, on se propose d'examiner ici les conditions de possibilité d'une histoire culturelle du voyage au XIXe siècle. Cela passe, d'abord, par l'examen de l'historiographie susceptible d'en être le support. Cela implique, ensuite, d'inventorier l'ensemble des sources à même d'autoriser une approche culturelle du voyage, qui peut être celle de multiples formes d'histoire – histoire des sciences, histoire des techniques, histoire de l'art, etc. – mais aussi celle de la géographie culturelle ou des études littéraires. Cela impose, enfin, un usage raisonné de la notion de « culture du voyage », dont cet article entend mettre en évidence la valeur heuristique.Based on a definition of travelling as a movement into space characterised by the meeting of other people, this article proposes to study the conditions of a possible cultural history of travelling in the 19th century. It starts with the analysis of the possible medium of historiography. It then implies the inventory of all the sources allowing a cultural approach of travelling, which can be the many forms of history – history of science, history of techniques, history of fine arts, etc. – but also history of cultural geography or of literary studies. Lastly, it requires a reasoned use of the notion of « culture of travelling », the heuristic value of which this article proposes to illustrate.
Études : 1. Écrire et vivre
- Voyage écrit, voyage vécu ? : La crédibilité du voyageur, du Journal encyclopédique au Magasin encyclopédique - Yasmine Marcil p. 23-43 Le projet d'un périodique à caractère encyclopédique renaît en 1795, peu de temps après la disparition du Journal encyclopédique fondé par Pierre Rousseau en 1756. Dans le prospectus annonçant la parution de leur périodique, Millin, Noël et Warens affirment explicitement la filiation du Magasin encyclopédique avec plusieurs journaux d'Ancien Régime, dont celui de Rousseau. S'inscrivant dans une logique de prospection cumulative des savoirs, le Journal encyclopédique et le Magasin encyclopédique considèrent les récits de voyage comme des outils du savoir, comme des ouvrages instructifs dont l'objet est la diffusion de découvertes et de nouvelles données sur le monde. Tous deux accordent de ce fait une grande attention à ce genre, mais comment valident-ils ces nouvelles connaissances ?The project of an encyclopaedic periodical reappears in 1795, not long after the end of the Journal encyclopédique, founded by Pierre Rousseau in 1756. In the leaflet advertising the publishing of their new journal, Millin, Noël and Warens explicitly assert the filiation of the Magasin encyclopédique with several papers of the Old Régime, including Rousseau's. The Journal encyclopédique and the Magasin encyclopédique register in a logic of cumulative prospecting of knowledge, and consider travel books as tools of knowledge, as informative works aiming at publicizing discoveries and new data about the world. Both therefore give great attention to that genre, but how do they validate these new grounds of knowledge ?
- Ceci n'est pas un livre : Le récit de voyage et le refus de la littérature - Philippe Antoine p. 45-58 Le récit de voyage, même lorsqu'il est l'œuvre de professionnels de l'écriture, semble refuser les « mensonges » de la littérature et les « vains ornements » du style. L'auteur entend donner l'illusion d'une coïncidence aussi parfaite que possible entre les mots et la vie. A l'en croire, la relation ne serait pas un livre, l'écriture tendrait au naturel et s'effacerait derrière son objet. On ne saurait cependant se laisser abuser par de telles déclarations d'intention : le camouflage de l'intention d'art est à l'évidence un effet de l'art. Cet article essaie de recenser quelques-unes des ruses auxquelles le relateur a recours pour donner l'impression qu'il ne « fait » pas de la littérature.The travel report genre, even when written by professional writers, seems to refuse the “lies” of literature as well as the “vain adornments” of style. The writer intends to give the illusion of as perfect as possible a coincidence between words and life. According to him, the relation is not a book, the writing is natural and gives way to its object. One must not, however be fooled by such declarations of intentions : the concealing of the intention of art is obviously an effect of art. This article tries to inventory a few of the tricks used by the narrator to give the impression that he's not “doing” literature.
- Le genre romanesque du récit de voyage scientifique au XIXe siècle - Anne-Gaëlle Weber p. 59-77 Le propos de cet article est d'étudier la manière dont le récit de voyage scientifique est, au XIXe siècle, devenu l'archétype poétique de tous les autres genres du voyage. Le succès du genre ne s'est pas démenti au xixe siècle et a entraîné une dérive de ce genre vers la fiction romanesque ainsi qu'un effort très explicite, de la part des savants naturalistes, d'en définir et d'en renouveler les règles. Les romanciers du voyage européens et américains ont saisi de leur côté l'occasion de cette dérive fictionnelle pour dégager la forme du voyage de sa valeur heuristique et en faire le modèle d'un roman descriptif qui soit l'héritier direct de l'histoire romanesque dont il renouvelle, par l'imaginaire du voyage savant, les clichés.The object of this article is to study how the romanesque genre of the scientific travel account in the 19th century became the poetic archetype of all other genres of travel. Its success lasted throughout the 19th century and eventually shifted toward romanesque fiction, with a very explicit effort from naturalist scientists to define and renew its rules. European an American travel novelists took the opportunity of this fictional shift to get rid of the heuristic value of the travel form and to create a model of a descriptive novel, that would be the direct heir of the romanesque story and renew its clichés through the imaginary of the scientific journey.
- Voyage et circulation des images : du Tahiti de Loti et Gauguin à celui des voyagistes - Jean-François Staszak p. 79-99 Dans une perspective culturelle analysant les articulations entre représentations, pratiques et réalités géographiques, l'article examine la façon dont le voyage s'associe à l'image : images qui conduisent à partir, images que l'on ramène. Le cas exemplaire de Tahiti, qui occupe une place importante dans l'imaginaire géographique occidental, permet de montrer comment les voyageurs (Gauguin, Loti) ont produit et consommé des images, et comment celles-ci ont formé un écran entre le visiteur et la réalité tahitienne. Après Gauguin, la prégnance des images tirées de ses peintures est telle qu'elle rend Tahiti indissociable de son œuvre. Le voyageur voit désormais les paysages tahitiens comme des tableaux de Gauguin, alors que les opérateurs touristiques tentent de rendre Tahiti plus conforme aux images et aux attentes des Occidentaux, c'est-à-dire plus ressemblant aux tableaux du maître.In a cultural perspective analysing the articulations between practical representations and geographic realities, this article studies the association between voyage and image : images that invite to leave, images that are brought back. The exemplary case of Tahiti – an important place in the occidental geographic imaginary – shows how the travellers (Gaugin, Loti) have produced and consume images, and how these images have formed a screen between the visitor and the Tahitian reality. After Gaugin, the impregnation of the images taken from his paintings is such that Tahiti becomes undissociable from his work. From then on, the traveller stats to see Tahitian landscapes as paintings by Gaugin, while tour operators endeavour to present Tahiti according to Westerners' expectations, that is to say like Gaugin's paintings.
- Les « vagabonds du télégraphe » : représentations et poétiques du grand reportage avant 1914 - Marie-Ève Thérenty p. 101-115 Cet article se propose d'étudier la naissance d'une nouvelle forme de récit de voyage : le reportage, autour de quelques grandes figures de reporters comme Pierre Giffard, Gaston Leroux, les frères Tharaud, Jules Huret, Ludovic Baudeau. Nouveau récit de voyage journalistique, le reportage se développe avec le développement des moyens de communication, notamment le télégraphe, et l'influence du modèle d'information anglo-saxon fondé sur le primat de l'actualité. Toute actualité devient bonne à exploiter mais le reportage de guerre constitue véritablement le stéréotype du genre. Le reportage mène un double récit : d'un côté, il raconte les faits d'actualité ; de l'autre, il dramatise et héroïse l'épopée des reporters – d'où la nécessité d'une écriture à la première personne au moment même où le récit se prétend objectif. Cette ambiguïté peut se poser autrement : le reporter souffre de sa posture impossible d'observateur-voyeur et tente en affichant un corps souffrant et exposé de changer de statut. La mythologie qui entoure encore aujourd'hui le reporter montre que cette opération symbolique et très tôt négociée a parfaitement réussi.This article proposes a study of the emergence of a new form of travel stories. The reporting, by a few famous reporters, such as Pierre Giffard, Gaston Leroux, the Tharaud brothers, Jules Huret, Ludovic Baudeau. A new journalistic style of travel reporting develops, along with the emergence of new means of communication – notably the telegraph – and the Influence of the Anglo-Saxon model of information, based on the prime of fresh news. Every piece of news becomes worthwhile, but war-reporting is the ultimate stereotype of the genre. The report carries a double story : on one hand it sticks to the facts, on the other hand it dramatizes and heroizes the reporters – hence the necessity of writing in the first person at the very time when the accounting claims to be objective. This ambiguity can be put differently : the reporter suffers from his impossible position of observer-traveller and tries, by showing an exposed and suffering body, to change his status. The mythology that still surrounds the reporter proves that this symbolic and early-negotiated operation has perfectly succeeded.
- Voyage écrit, voyage vécu ? : La crédibilité du voyageur, du Journal encyclopédique au Magasin encyclopédique - Yasmine Marcil p. 23-43
Études : 2. L'espace et le temps
- Le récit de voyage en montagne au tournant des Lumières : Hétérogénéité des sources - Alain Guyot p. 117-133 Le tournant des Lumières représente un « moment » d'une richesse particulière pour envisager la complexité générique du récit de voyage et mieux en cerner les enjeux historiques, géographiques et littéraires, qui marqueront toute l'histoire du genre au xixe siècle. En ce « moment » bien spécifique, sciences et littérature n'ont pas terminé de se constituer des espaces qui leur soient propres et qui soient susceptibles de se penser en termes de rupture. Bien des savants (de Haller à Humboldt en passant par Ramond de Carbonnières) et des écrivains (comme Bernardin de Saint-Pierre) pensent encore qu'il est possible d'inventer une forme littéraire, sinon poétique, susceptible de transmettre un message de nature didactique ou philosophique, voire scientifique. Pour donner une idée des enjeux complexes qui animent le récit de voyage en cette période, on a choisi, sur une masse considérable, trois voyages au mont Blanc publiés à la fin du xviiie siècle et particulièrement significatifs : ceux de Bordier, de Bourrit et de Saussure. La confrontation de leurs préfaces et de quelques extraits traitant de sujets voisins permettra de comprendre la diversité des approches proposées et la nécessité d'une étude attentive des conditions et des postures d'énonciation pour retirer tout l'enseignement anthropologique et culturel que nous transmettent les récits de voyage au xixe siècle.The turn of the “Lights” represents a particularly rich moment to grasp the generic complexity of the travel story and to better outline its historical, geographical and literary issues which will imprint the whole history of the genre in the 19th century. At that very specific “moment”, science and literature have not finished constituting their own spaces likely to lead to a breaking off. A number of scientists (from Haller to Humboldt and Ramond de Carbonnières) and writers (such as Bernardin de Saint-Pierre) still think it possible to invent a literary – if not poetic – form, that could carry a message of a didactic, or philosophical – even scientific – nature. To give an idea of the complex issues of the travel story in these days, we selected – among a considerable amount – three particularly significant trips to the Mont Blanc, published at the end of the 18th century : the stories of Bordier, Bourrit and Saussure. The comparison between their prefaces and a few abstracts treating similar subjects, will help us to understand the diversity of the proposed approaches, and the necessity of an attentive study of the conditions and manners of enunciation in order to extract all the anthropological and cultural knowledge transmitted by the travel stories in the 19th century.
- De l'enquête politique comme voyage : Les agents itinérants des ministères de la Police et de l'Intérieur sous la Restauration et la monarchie de Juillet - Pierre Karila-Cohen p. 135-146 Cet article tente de montrer que l'enquête politique itinérante telle qu'elle se forme sous la Restauration et la monarchie de Juillet constitue une forme de voyage, vécue comme telle par les contemporains et les intéressés eux-mêmes, c'est-à-dire les délégués de police et autres commissaires extraordinaires fréquemment envoyés dans les départements pour observer « l'état des esprits ». A travers l'étude des pérégrinations de plusieurs de ces enquêteurs, et notamment du délégué de police Pierre Pierre, parti observer cinq mois durant l'esprit public en Bretagne, ce sont d'abord les conditions matérielles, physiques et morales de ces voyages politiques qui sont étudiées. Les rencontres des enquêteurs avec les grands et les petits notables des lieux visités, rencontres profondément faussées par la volonté de chacune des parties d'instrumentaliser l'autre, sont envisagées dans une deuxième partie. Ces missions, qui connaissent une belle et fidèle transposition littéraire dans Lucien Leuwen, apparaissent de ce fait comme le reflet d'un dialogue complexe et pas toujours sincère entre pouvoir et société alors que s'inventent de nouvelles formes de gouvernementalisme théoriquement fondées sur l'ouverture réciproque de l'un et de l'autre.This article aims at demonstrating that the roving political investigation formed under the Restoration and the Monarchy of July is a journey of sorts, experienced as such by the contemporaries and the subjects themselves, that is to say the police delegates and other extraordinary commissioners frequently sent to counties to observe the “state of the minds”. Through the study of the peregrinations of several of these investigators, and notably of the police agent Pierre Pierre, sent for five months to observe the public spirit in Brittany ; the material, physical and moral conditions of these political trips are studied first. Then, in a second part, the encounters of the investigators with big and small leading citizens of the visited places – encounters deeply warped by the intentions of each party to intrumentalize the other – are depicted. These missions, which have been beautifully and faithfully transposed in the novel Lucien Leuwen, therefore appear as the reflection on a complex – and not always sincere – dialogue between the central power and society, while new forms of governing, theoretically based on reciprocical open-mindedness, are being invented.
- Les approches techniques et architecturales du voyage - Stéphanie Sauget p. 147-156 La gare, lieu de garage, est-elle dans le voyage ? Est-elle déjà un voyage ? Pour répondre à ces deux questions, tentons un rapprochement entre sources techniques et architecturales et récits de voyages. Il est en effet étonnant de découvrir à quel point les architectes « lisent » et pensent la gare dans un dispositif qui invite et prépare au voyage, dispositif tellement redondant qu'il en finit peut-être par rater sa cible, à l'instar de Des Esseintes qui préfère rentrer chez lui après avoir connu l'épuisement de la gare du Nord.Is the train station – a garage place – part of the journey ? Is it already a journey ? To answer both these questions, let's try a comparison between technical and architectural sources and travel stories. It is indeed surprising to discover how much architects “read” and imagine the station as a system that invites and prepare to the journey. A system so redundant that it may end up missing its target, following the example of Des Esseintes who decided to go back after being exhausted by the North station.
- De nouveaux territoires pour la Science : Les Voyages aériens de Camille Flammarion - Fabien Locher p. 157-173 Dans les années 1860 et 1870, Camille Flammarion réalise une série de douze ascensions aérostatiques à visée scientifique. Ces « voyages aériens », dont les récits sont publiés dans la presse, contribuent à la construction de la figure du journaliste scientifique. Nous analysons ici les technologies matérielles et narratives mises en œuvre dans ce contexte pour le distinguer à la fois de l'aéronaute forain, figure de l'aventurisme et de l'intéressement, et du savant « officiel », critiqué pour sa passivité et son théoricisme. Nous montrons que les modalités des voyages aériens, du point de vue des manœuvres, de l'organisation des tâches scientifiques, des relations entre les passagers, des pratiques de saisie du monde sensible se trouvent alors mi-organisées, mi-mises en scène dans le but de fixer un usage moralement et scientifiquement légitime des ballons, tout en affirmant l'autonomie et la créativité de la figure du journaliste scientifique, « œil du public » au cœur des phénomènes de la Nature.In the 1860's and 1870's, Camille Flammarion achieved a series of twelve aerostatic ascensions with a scientific intention. These “air trips” reports are published in the press and contribute to the construction of the character of the scientific journalist. This article analyses the material and narrative techniques used in that context to distinguish him from both the itinerant flyer, synonymous with adventurism and greed, and the “official” scientist, criticized for his passivity and theoricism. The author show hat the modes of air travelling, concerning manœuvres, organisation of the scientific tasks, relationship between passengers, practices of apprehending the sensitive world, are then half organized, half staged, in order to fix a morally and scientifically legitimate usage of balloons, while assessing the autonomy and the creativity of the scientific journalist, “eye of the public” at the core of the phenomena of Nature.
- L'excursion, des forestiers aux géographes : entre intérêt pédagogique et rite initiatique - Jean-Yves Puyo p. 175-189 Les forestiers français, dont les cadres participent en nombre aux travaux des sociétés locales de géographie au début de la Troisième République, y apportent leur longue pratique du terrain. Depuis la fondation d'un enseignement supérieur dans les années 1820, l'évolution de la science forestière repose en effet en grande partie sur l'observation des faits naturels. La formation des futurs forestiers comporte ainsi un grand nombre de journées d'études sur le terrain, conçues tant comme une composante essentielle de leur enseignement que comme un rite initiatique. La jeune école française de géographie constituée autour des enseignements de Paul Vidal de la Blache, cherchant d'une part à se définir scientifiquement, de l'autre à se distinguer de la géographie de cabinet de l'époque précédente, adopte alors des pratiques pédagogiques venues d'autres disciplines, parmi lesquelles le commentaire de cartes, mais aussi l'excursion de terrain. Cet article est plus particulièrement consacré au passage disciplinaire entre le domaine forestier et la géographie française, en premier lieu, car il s'agit d'un cercle d'affinités peu connu mais néanmoins bien réel ; en second lieu, parce que l'excursion de terrain, chez les forestiers, renferme tous les codes qui feront ensuite son succès dans l'enseignement géographique universitaire, à savoir un rite de passage tout autant qu'un outil pédagogique fondamental destiné à appréhender un milieu.French executive foresters participated in numbers to the works of local clubs of geography at the beginning of the third Republic, and brought their long practice of the land. Since the founding of a university teaching in the 1820's, the evolution of forest science was mostly based on the observation of natural facts. The training of future foresters therefore required many days of studying in the field, which were conceived as an essential part of their training as well as an initiatory rite. The young French school of geography based on Paul Vidal de la Blache's teachings, aiming at defining itself scientifically on one hand, and distinguishing itself from the office geography of the previous era on the other hand, adopted pedagogical practices from other disciplines, among which map commenting and excursions on the field. This article is particularly dedicated to the disciplinary passage between the subjects of forest and French geography, first because it is about a not much known but nonetheless real circle of affinities ; secondly because the field excursion of foresters contains all the codes which will later on make the success of geography teaching at university, namely a rite of passage as much as a fundamental pedagogical tool for apprehending the environment.
- Le récit de voyage en montagne au tournant des Lumières : Hétérogénéité des sources - Alain Guyot p. 117-133
Études : 3. Soi et les autres
- La poésie dans la construction d'une histoire culturelle du voyage : Autour du Pèlerinage de Childe Harold de Lord Byron - Hervé Mazurel p. 191-211 Les historiens entretiennent avec les sources littéraires des relations pour le moins ambiguës. Parmi elles, la poésie est assurément celle qui s'attira la plus grande méfiance de leur part et sans doute est-elle en effet d'un usage fort malaisé pour l'historien. Pour autant, certains auteurs ont commencé dans la pratique de franchir ce seuil historiographique en considérant le poème non plus comme un moyen d'orner leur texte, mais désormais comme une source historique à part entière. Dans cette optique, cet article a pour dessein, à partir de l'étude de Childe Harold, le fameux poème de Lord Byron, de montrer qu'un tel poème peut s'avérer une source infiniment précieuse pour l'historien du voyage, à la seule condition de moins y chercher le témoignage d'un réel et d'y voir le reflet d'une expérience vécue, que d'envisager au contraire ses effets de réel en aval, sa valeur performative en tant qu'il a participé de la transformation de l'imaginaire géographique, qu'il a travaillé les systèmes d'appréciation du monde et bousculé ainsi l'ordre des pratiques du voyage romantique.Historians have a rather ambiguous relationship with literary sources. Among these, poetry is certainly the one that caused them the greatest defiance because of its undoubtedly unpractical use. However, certain authors have started to cross that historiographical threshold by considering the poem, not as a means to adorn their text, but as a historical source by itself. In those steps, this article, taking the example of Lord Byron's famous poem Childe Harold's pilgrimage, aims at proving that such a poem can turn out to be a very precious source for the historian of voyage, at the one condition of not looking for the experience of reality, but, on the contrary, of considering its downstream effects of reality, its performative value as a participation in transforming the geographic imaginary, as a work on the systems of appreciation of the world and thus as a disruption in the order of practices of the romantic journey.
- Du texte au terrain : reconstituer les pratiques des voyageurs (Afrique occidentale, 1790-1880) - Isabelle Surun p. 213-223 À partir d'une présentation des débats épistémologiques que suscite la notion de « terrain » en histoire des sciences, cet article se propose d'en évaluer les apports heuristiques pour une étude du voyage d'exploration. Il s'agit d'analyser les procédures de construction des savoirs géographiques mises en œuvre par le voyageur en reconstituant les pratiques et les interactions qu'il déploie sur le terrain. Une telle reconstruction exige une analyse attentive des récits de voyage, constructions discursives polymorphes dont on présente ici quelques modalités de lecture à travers des exemples puisés dans les textes des premiers voyageurs en Afrique occidentale.From a presentation of the epistemological debates raised by the notion of “field” in the history of sciences, this article aims at evaluating their heuristic contribution for a study of the voyage of exploration. The point is to analyse the processes of construction of geographical knowledge used by the traveller by piecing together the practices and the interactions he brought on the field. Such a reconstruction requires an attentive analysis of travel stories, discursive and polymorphous constructions, a few modes of reading of which are presented here through examples found in the texts of the first travellers in Western Africa.
- Le voyage, l'archéologie, le rêve - Nathalie Richard p. 225-240 Dans les récits archéologiques du XIXe siècle, les thèmes du voyage et du rêve sont très fréquemment entremêlés. Dans des fictions comme dans des textes à vocation savante, cette rencontre fait surgir des motifs tels que le sentiment de l'accélération du temps, l'incertitude de la chose vue ou le surgissement des souvenirs d'enfance. Or, chacun de ces thèmes fait l'objet de développements plus théoriques dans une littérature savante sur le rêve qui précède L'Interprétation du rêve de Freud en 1900. Dans la seconde moitié du siècle, philosophes, érudits, médecins et hommes de lettres débattent sur le rêve, réagissant notamment à l'ouvrage d'Alfred Maury, Le Sommeil et les rêves (1861). Leurs discussions portent sur le fonctionnement de l'esprit dans le rêve : elles examinent la dégradation ou l'hypertrophie des facultés, telle la mémoire, l'accélération de la pensée, le rapport du contenu des rêves aux sensations que le dormeur reçoit de l'extérieur. Ces débats évoquent l'hypothèse d'une vie seconde vécue en rêve, sous la direction d'un esprit perturbé. Faisant écho aux thèses que Taine expose dans De l'intelligence (1870), ils soulèvent ainsi la question de l'absence d'unité du moi. Le rêve, comme l'usage des drogues ou la maladie mentale, serait une expérience du dédoublement des personnalités que les médecins contemporains diagnostiquent chez certains aliénés. Au regard de cette littérature savante, l'entrelacement des thèmes du rêve, de l'archéologie et du voyage prend une profondeur qui pourrait échapper au lecteur du xxie siècle. Cet article suggère qu'au XIXe siècle le voyage a pu être vécu comme une expérience parmi d'autres de la « pluralité foncière du moi » qu'évoquait Taine et que le voyageur a pu partir en quête, autant que de l'exotisme, d'un autre lui-même.In the archaeological stories of the 19th century, the themes of travel and dream are frequently interwoven. In works of fiction as well as in scholarly texts, this mixing creates motifs such s the feeling of time acceleration, of the uncertainty of the thing seen or flashes of childhood memories. Each of these themes is the object of more theoretical developments in a scholarly literature on the dream prior to The Interpretation of dreams by Freud in 1900. In the second part of the century, philosophers, scholars, doctors in medicine and writers discuss about dreams, notably reacting to Alfred Maury's book, Sleep and dreams (1861). Their conversations are about the functioning of the mind while dreaming : they cover the degrading or the hypertrophy of faculties, such as memory, acceleration of thoughts, relations between the content of the dream and the sensations received by the sleeper from the outside. These debates mention the hypothesis of a second life lived in dreams, under the direction of a disturbed mind. Echoing Taine's thesis exposed in Of intelligence (1870), they also raise the question of the absence of a self unit. The dream, like the use of drugs and mental diseases, could be an experience of split personalities as diagnosed by contemporary doctors in mentally ill patients. With regard to this scholarly literature, the interweaving of the themes of dream, archaeology and travel takes a depth that might escape the 21st century reader. This article suggests that, in the 19th century, the fact of travelling might have been experienced as another form of “the fundamental plurality of the self” mentioned by Taine and that the traveller might have been looking for another self as much as for exotism.
- Le récit de voyage, genre « pluridisciplinaire» : À propos des Voyages en Égypte au XIXe siècle - Sarga Moussa p. 241-253 En prenant un corpus de plusieurs dizaines de voyageurs européens en Egypte au XIXe siècle, on observe d'abord une grande diversité socio-professionnelle (écrivains, artistes, architectes, historiens, journalistes, diplomates, orientalistes, etc.), qui détermine souvent une appréhension particulière du monde, donc une tonalité particulière propre à chaque récit de voyage (sensibilité aux couleurs pour le peintre, etc.). Mais le récit de voyage, genre hybride par excellence, est aussi le lieu où s'entrecroisent des discours traditionnellement opposés – scientifique et littéraire, par exemple, comme dans les Reise-Skizzen (1855) du naturaliste allemand Alfred Brehm, lequel n'hésite pas à émailler son texte de références poétiques. Enfin, il existe depuis longtemps une rhétorique du voir qui apparente le voyageur à un témoin, donc à un historien, selon la tradition hérodotéenne. C'est donc dans la complémentarité des approches que le voyage doit être étudié.By studying a corpus of several dozens of Europeans travellers in Egypt in the 19th century, one first observes a great socio-professional diversity (writers, artists, architects, historians, journalists, diplomats, Orientalists, etc.). Yet the travel story, a hybrid genre par excellence, is also the crossing where traditionally opposed views meet – science and literature, for example, as in the Reise-Skizzen (1855) by the German naturalist Alfred Brehm, who likes to enrich his text with poetic references. Ultimately, there has been for a long time a rhetoric of seeing that relates the traveller to a witness, therefore to an historian, according to the herodotean tradition. Travelling must therefore be studied through the complementarity of approaches.
- Paris en huit jours : À la découverte de la ville à travers les guides, les journaux pour touristes et les récits de voyage, 1855-1937 - Joanne Vajda p. 255-273 De quelle façon les guides, les récits de voyageurs et les journaux pour touristes montrent-ils la ville aux étrangers ? Comment ces sources d'information font-elles évoluer les pratiques touristiques ? Dans quelle mesure les itinéraires proposés intègrent-ils les transformations urbaines de Paris ? En répondant à ces questions, il devient possible de saisir comment se construit à la fois la réalité et le mythe de Paris, mais aussi comment le voyage génère de nouveaux usages de la ville.How do guide books, leaflets for tourists and travel accounts show the city to foreigners ? How do these sources of information influence tourist practices ? To what extent do the proposed itineraries integrate the urban changes of Paris ? By answering these questions, understanding how both the reality and myth of Paris are constructed becomes possible, as well as how travelling generates new practices of the city.
- Fabrication et usage du guide de voyage - Tangi Villerbu p. 275-295 Il s'agit ici d'étudier le tourisme français dans l'Ouest américain, et plus particulièrement dans les Montagnes Rocheuses, à la fin du xixe siècle, afin d'y discerner les logiques à l'œuvre. Pour ce faire, le guide de voyage sert de balise. Dans une première étape est analysée sa fabrication, entre logique de profit et logique nationaliste, en lien le plus souvent avec les compagnies de chemin de fer. Dans une deuxième étape est étudié l'usage qu'en font les touristes et son insertion dans un système plus large qui met en jeu de multiples acteurs. Est mise en place une industrialisation de la nature qui a comme objectif de créer le spectacle de la nation américaine, auquel chacun est appelé à participer en jouant au pionnier ensauvagé.This article studies French tourism in the American West, and more particularly the Rocky Mountains, at the end of the 19th century, in order to make out the logics at work. In order to do so, the travel guide book will serve as a beacon. First, its production is analysed, between a logic of profit and a nationalistic logic, most of the time related to railway companies. Then is studied the use tourists make of it and its insertion in a larger system that includes many actors. An industrialisation of nature is organised, aiming at creating the show of the American nation, to which everyone is welcome to participate in playing the pionneer reverted to the wild.
- Les chemins de la rencontre (années 1880-années 1930) - Noémie Giard p. 297-312 Dans le cadre du vaste mouvement de renaissance identitaire qui s'épanouit en Catalogne à la fin du xixe siècle, des réalisations architecturales revendiquant modernité et spécificité redessinent le paysage urbain barcelonais. Les récits des voyageurs français en Espagne, dans leur quête de pittoresque et de traditions, témoignent alors, malgré le désir de reconnaissance catalan, d'une indifférence pesante à l'égard d'une ville jugée trop industrielle, trop moderne, trop « française ». Les nouvelles réalisations architecturales sont ignorées, voire évitées et quelques exceptions donnent à lire à la fois la persistance de ces pesanteurs et la diversité des voyageurs. Une évolution se fait néanmoins sentir. À partir des années 1920, on assiste dans cette littérature de voyage à l'élaboration d'une reconnaissance marquée par la sélection de certains bâtiments jugés désormais « à voir » et par la construction d'un discours officiel. Quelques personnalités, au début des années 1930, confirment, par des réappropriations singulières, cette institutionnalisation. Il s'agit à la fois ici de saisir un processus de construction de l'attrait touristique, d'approcher la question des pratiques et des représentations des voyageurs et de s'interroger sur le lien avec une évolution plus générale de la société française à la période étudiée.Within the scope of the vast movement of identity revival that took place in Catalonia at the end of the 19th century, architectural achievements asserting modernity and specificity change Barcelona's urban landscape. Accounts by French travellers in Spain, in search of picturesque and traditions, testify, in spite of the Catalans' desire for recognition, of a heavy indifference towards a city considered too industrial, too modern, too “French”. The new architectural works are ignored, even avoided and a few exceptions show both the persistence of this heaviness and the diversity of the travellers. However, an evolution is felt. Since the 1920's, this travel literature has elaborated a marked recognition, by selecting certain buildings as now “worthy of seeing” and by the construction of an official discourse. In the early 1930's, a few personalities confirm this institutionalisation, through singular reappropriations. The issue here, is to understand a process of creating tourist attraction, to approach the question of travellers' practices and representations and to wonder about the relation with a more general evolution of the French society at that time.
- La poésie dans la construction d'une histoire culturelle du voyage : Autour du Pèlerinage de Childe Harold de Lord Byron - Hervé Mazurel p. 191-211
Lectures
- Lectures - p. 313-330
Hors cadre
- Penser les censures dans l'histoire - Laurent Martin p. 331-345