Contenu du sommaire : Recherche et travail social : critiques des outils et critiques des fondements

Réexaminant la « vieille » question de savoir si le travail social constitue ou non une profession, cet article propose une réflexion sur la dimension prudentielle des activités professionnelles des travailleurs sociaux. Ce faisant, il invite à prendre en considération les évolutions professionnelles actuelles du travail social à partir des reconfigurations se jouant au niveau de la dynamique des politiques sociales au sein d'un État social devenant de plus en plus un État d'intervention sur les personnes.

Il s'agit d'interroger la science comme point de vue sur le monde en montrant comment, partant d'un étonnement inaugural, elle rompt avec une vision magico-religieuse de son objet pour imposer des concepts et des méthodes au service d'une connaissance rationnelle des faits observables. En convoquant à la fois les travaux des pères fondateurs des sciences modernes et la philosophie aristotélicienne, nous rappellerons ce que sont les conditions de possibilité scientifiques et sociales d'une science, puis nous examinerons si le travail social peut prétendre se constituer en discipline autonome et quels types de savoirs et de méthodes il est susceptible de mobiliser pour faire valoir sa légitimité.

Concernant le travail social, il semble que la majeure partie des recherches qui visent à produire un discours scientifique définissent ce champ de l'extérieur, par un examen sur le travail social, au moyen de méthodes et de discours importés de disciplines diverses. Cette contribution part de ce constat, et dans l'optique de la constitution d'un savoir autonome en travail social, fait l'hypothèse que l'utilisation de la philosophie peut s'avérer féconde. Les deux axes de cette contribution sont donc les suivants : 1) tenter d'examiner la place que peut prendre la philosophie dans la constitution de ce champ de recherche qu'est le travail social ; 2) si l'on admet que le langage est ce qui structure la pratique des travailleurs sociaux, on montrera, en appliquant la méthode de l'analyse du langage ordinaire qu'on trouve notamment dans les Recherches philosophiques de Wittgenstein, en quoi la philosophie peut être un outil afin de discerner les problèmes de la recherche en travail social, leur délimitation comme leur extension.

Cet article propose une approche alternative à l'approche standard des recherches en sciences humaines (macrosociologique, historique, linguistique, psychologique) appliquée au travail social. L'alternative suggérée est de partir de la manière concrète dont les acteurs professionnels eux-mêmes font état de leurs connaissances dans les situations de travail au quotidien. À travers leurs interactions, ils produisent ensemble une expertise originale sur la façon de comprendre les événements auxquels ils sont confrontés, et de résoudre les problèmes liés à l'incertitude qui prédomine dans les tentatives des professionnels de définir « ce qu'il en est de ce qu'il est », selon de la formule de Luc Boltanski.Dans quelle mesure cette approche peut-elle nous permettre de concevoir autrement le lien de la recherche aux pratiques ? Je ne prétends pas y répondre complètement mais proposer des pistes de réflexion qui partent des investigations des acteurs eux-mêmes et des formes verbales selon lesquelles ils échangent, en particulier à travers les questions qu'ils posent. Questionner et répondre vise à compléter leur état de connaissance et donc à donner vie à une expertise spécifique qui, me semble-t-il, devrait se présenter comme un objet de recherche de plein droit. L'enquête pratique que mènent les acteurs professionnels pour donner sens à leurs actions représente pour certains courants anglophones de l'analyse des échanges en situation de travail un des moyens de pénétrer de façon rigoureuse et objective, l'épaisseur de la fabrication sociale de la connaissance experte.

Cet article propose une réflexion critique sur la recherche en travail social à la lumière de la présentation d'une thèse doctorale ayant porté sur la construction quotidienne de la culture du travail de rue. Après avoir argumenté l'intérêt d'une perspective de recherche sociale qualitative pour étudier la position du travail social à l'intersection des multiples dimensions du lien social, le choix d'adopter une lecture anthropologique pour examiner le travail social de rue est explicité. L'approche et la mise en œuvre de ma démarche ethnographique dans l'univers du travail de rue sont ensuite décrites, puis sont discutés quelques enjeux traversant ce type d'enquête immersive. Enfin, la pertinence d'investiguer l'efficacité symbolique de la construction et de la mobilisation d'un univers partagé entre les travailleurs sociaux et leurs publics est mise en relief à la lumière de mon cadre d'analyse sur la production interactive des mondes sociaux où prend sens et forme l'intervention sociale.

Cet article vise à décrire une technique d'enquête liée à la voie ethnologique particulièrement adaptée à la recherche en ou sur le travail social qu'est l'« empathie méthodologique ». Le travail social est avant tout une activité ordinaire, propre à l'existence relationnelle même de l'homme en société. Le « partage du sensible » des travailleurs sociaux avec le public n'est plus à percevoir comme une activité limitant la recherche en ou sur le travail social, mais comme une forme de connaissance particulière pouvant être support à une dynamique de recherche. L'empathie est donc une posture de terrain, mais elle peut également devenir un outil méthodologique pouvant être déployé par le « praticien-chercheur ». Pour cela, il est indispensable que le chercheur en travail social lie ces données sensibles à des savoirs scientifiques.

Dans cet article, nous proposons d'aborder plusieurs points relatifs à l'épistémologie sous-jacente à la construction des connaissances « de l'intérieur » scientifiquement « revisitées » dans le champ du travail social. Nécessairement se poseront au fil du discours les questions de la nécessité (ou non), de l'opportunité légitime (ou non), de la création d'une discipline propre au travail social dans son projet de légitimation des recherches menées dans ce champ professionnel. Y seront confrontés les postures différentes (acteur/chercheur) et leurs apports mutuels à partir d'une réflexion sur l'implication de l'acteur dans la construction d'un objet de recherche. Deux modélisations complémentaires seront discutées : l'une visant essentiellement la différenciation épistémologiquement incontournable entre questions de terrain et questions de recherche, l'autre la question d'une distanciation productive dans la mise à plat du rapport au terrain et à l'objet de recherche.

Depuis le milieu des années 1980, la « relation de service » est devenue un outil particulièrement prisé par les chercheurs qui désirent comprendre la composante relationnelle de certaines professions. Cet article vise à présenter la manière dont ce concept, élaboré par E. Goffman, a été mobilisé dans une recherche sur les Centres Publics d'Action Sociale (CPAS). La notion de « stabilité » des usagers sert de fil conducteur à notre contribution. Les « usagers stables » sont une catégorie utilisée par les assistants sociaux qui se construit en situation, à travers les interactions entre les assistants sociaux et les usagers. L'ambition de l'article est de présenter une approche du travail social qui tient compte de trois dimensions : les pratiques observées en situation, les dispositifs dans lesquels ces pratiques se déploient et sur lesquels elles s'appuient, et enfin les politiques sociales.

Cet article traite d'une recherche ethnographique sur les interactions entre assistantes et assistants sociaux et bénéficiaires dans une institution suisse d'aide sociale. Impliquant une relation asymétrique entre diverses catégories d'acteurs, cette recherche pose de manière particulièrement aiguë la question de la négociation d'une place sur un terrain d'enquête et celle de la restitution aux enquêté-e-s. Celle-ci n'est pas qu'une affaire d'organisation et de méthodologie, mais plutôt un problème épistémologique et éthique, qui met en cause la rupture épistémologique entre savoirs savants et savoirs profanes. Nous postulons aujourd'hui qu'une recherche qui prend pour objet le travail social doit accorder une place aux bénéficiaires sans renforcer l'asymétrie caractérisant la relation d'aide. Dès lors, nous nous demandons comment prendre en compte les bénéficiaires dans la constitution du partenariat et quelles « voix autonomes » laisser aux enquêté-e-s dans les publications scientifiques.

Fondé sur deux recherches menées dans les années 2000 – l'une réalisée à partir d'une enquête sur la mise en place du RMI (Revenu minimum d'insertion) en Catalogne et l'autre sur l'étude du « problème des jeunes qui posent problème » à partir d'une enquête dans une zone populaire de Paris –, cet article propose de réfléchir au rapport entre les formes de la sociologie du travail social et ceux qui la font. Se situant dans la continuité des sociologues francophones développant un point de vue critique sur l'univers du travail social, les auteurs considèrent que cette critique n'a que peu d'intérêt sociologique si elle n'explicite pas ce qui la « motive ». Cela étant, le retour qu'ils opèrent sur leurs trajectoires apporte des éclairages sur les ressorts de ce type de recherches qui participe au discrédit du travail social comme discipline scientifique.

La « recherche-accompagnement » implique une double posture, celle du chercheur et celle de l'accompagnateur, et une double finalité. Il s'agit à la fois de saisir des éléments contextuels, de les interpréter et de comprendre des phénomènes tout en pensant des situations d'accompagnement susceptibles de favoriser l'autonomisation des personnes accompagnées. Cet article s'attache à élucider ces postures et ces finalités dans le cadre d'une recherche-accompagnement menée auprès de travailleurs socio-éducatifs.

Nous proposons de partir de l'analyse de données pour illustrer une manière de faire de la recherche en travail social, et mettre en évidence une manière de travailler l'empirie et la théorie dans une approche située et non mentaliste de l'activité qui associe étroitement les professionnels au processus de recherche. Notre empirie consiste en des délibérations recueillies lors de colloques sur un terrain de l'éducation spécialisée à l'occasion d'une recherche dans un lieu d'hébergement et d'insertion pour adolescents en rupture familiale. Notre approche, qui se veut pragmatiste, s'inscrit dans une ligne épistémologique qui allie des apports post-ethnométhodologiques depuis la sociologie française de l'action et ceux de la philosophie pragmatiste américaine de Dewey.

Il s'agit dans cet article de réfléchir à la question du travail social dans le contexte de la prise en charge globale de l'usager par des professionnels aux cursus de formations différents. Le terme d'interdisciplinarité est à prendre ici dans le contexte des échanges des professionnels sur leurs pratiques. Nous ne présenterons pas des outils d'intervention visant à développer l'interdisciplinarité mais plutôt certains concepts qui nous paraissent porteurs pour comprendre certains freins au travail interdisciplinaire. Nous voudrions questionner certains concepts en tant qu'outils pour la recherche sur le travail social. L'objectif de cet article est, partant de la méthodologie de l'observation participante, d'aborder la possibilité du dialogue interdisciplinaire au travers de deux axes conceptuels centraux : la « lutte pour la reconnaissance » et le « management de la connaissance » ou « gestion de la connaissance ». Une attention particulière sera portée à la problématique des assuétudes (alcool et drogues illégales) et au secteur de la santé mentale.

Aujourd'hui, le travail social invalide ses fondements en adoptant de manière indirecte de nouvelles pratiques venues du monde gestionnaire, économique ou managérial. Notre recherche montre que ce qui nourrit et permet l'intervention éducative (en AEMO) est l'engagement singulier du travailleur social qui se révèle dans le processus d'écriture de son rapport d'intervention. L'éducateur doit pouvoir revendiquer et assumer sa subjectivité professionnelle, lorsqu'elle est la résultante d'un travail institutionnel qui permet une mise en tension de référents spécifiques, travail que les procédures d'interventions proposées actuellement empêchent.

Le processus d'élaboration de recherches sur et en travail social est expérimenté par des travailleurs sociaux dans le cadre d'une formation préparant au Diplôme d'État d'Ingénierie Sociale, conventionné avec un master professionnel délivré par l'université. Ces pratiques de recherche peuvent se décrire comme des « produits transactionnels » (Remy, 1994) concrétisant, par des règles d'échanges de savoirs, des compromis entre deux projets de pratiques cognitives : intervention sociale et transformation des rapports sociaux versus compréhension des effets structurels sur les décisions politiques et les pratiques professionnelles. Les acteurs engagés dans ces productions (travailleurs sociaux, sociologues universitaires et extra-universitaires) élaborent, par « hybridation », des références cognitives communes et composent un cadre multi-référentiel pour mettre en pratique des savoirs et des méthodes appliqués à des situations complexes.

Ce texte vise à répondre à une question centrale : en quoi et à quelles conditions le rapprochement université/organisme de formation professionnelle et de recherche constitue-t-il une voie de progrès pour la qualification des professionnels du travail social ?2

Une recherche-action regroupant étudiants, formateurs, chercheurs, professionnels de terrain, un collège et des structures sociales d'un quartier est décrite sous l'optique de son développement. Apportant des éclairages sur ses effets, sur ses logiques et sur la participation des acteurs travaillant en collaboration, les auteurs montrent comment la démarche de la recherche-action s'affirme progressivement comme outil pédagogique dans un institut de formation en travail social.

Pourquoi, pour quoi et pour qui mener des recherches en, dans, sur le travail social ? Quel est l'intérêt de construire des connaissances si les acteurs concernés par les actions que nous analysons, ne peuvent se saisir des connaissances produites ? Et est-il acceptable de construire dans les recherches, un rapport social dominé par les chercheurs qui instrumentalisent les acteurs par rapport à leur finalité ?Au regard des pratiques habituelles des chercheurs qui sont situées sur une aire qui est imposée par la discipline et où ils « naviguent » entre les « possibles », l'aire de « navigation », qui devient « bricolage », n'est plus délimitée seulement par la discipline mais également par les principes des acteurs (prescripteurs, praticiens et usagers). Pour la conduire, il ne faut pas avoir d'a priori sur ce qui est en train de se passer : on construit chemin faisant, on englobe ce qui est possible. Cela suppose pluridisciplinarité et co-construction de savoirs. On parlera ici de recherche située où on ne peut avancer que si on est dans le souci de savoir comment les acteurs s'en saisissent.La bonne surprise, c'est que cette position éthique et cette recherche d'utilité sociale de la recherche produisent de l'utilité scientifique. Les collaborations construisent pour les chercheurs un espace d'explicitation qui oblige à préciser devant des « non-pairs », permettent un retour critique et heuristiquement profitable de la part de praticiens sur les notions et les catégories que le chercheur produit et les invitent à investiguer des dimensions de la réalité qu'ils ne repéreraient pas autrement.

La recherche sociale est liée à la position incertaine d'acteurs occupant une position intermédiaire : à la fois proches du champ universitaire tout en n'étant pas intégrées dans celui-ci et simultanément dans une relation de tension avec les intervenants/formateurs dans le champ de la formation sociale. Nous faisons l'hypothèse que cette position peut permettre l'émergence d'analyses nouvelles et s'avérer riche de potentialités tant pour le développement des sciences humaines et sociales, et plus particulièrement dans le développement de la sociologie comme discipline scientifique, que pour l'optimisation des pratiques d'intervention.