Contenu du sommaire : Le spectaculaire à l'oeuvre
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 31, 2011 |
Titre du numéro | Le spectaculaire à l'oeuvre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Le spectaculaire à l'œuvre
- Présentation. Le spectaculaire contemporain - Pascale Goetschel p. 9-15
- Quand le merveilleux saisit nos sens : spectaculaire et féeries en France (XVIIe-XIXe siècle) - Roxane Martin p. 17-33 Cet article analyse la notion de spectaculaire au regard de quelques exemples puisés dans l'histoire des spectacles français, et plus particulièrement dans le répertoire de la féerie, entre les xviie et xixe siècles. Il montre combien le spectaculaire, notion complexe et difficile à circonscrire, n'est pas à confondre avec le spectaculeux. Son essence réside avant tout dans l'effet qu'il produit sur le spectateur. D'Aubignac par exemple, dans sa Pratique du théâtre (1657), ne cesse de mettre en garde les auteurs sur les séductions faciles du spectaculaire, privilégiant le plaisir raisonnable, c'est-à-dire celui qui permet au spectateur de rester libre dans ses jugements et ses impressions. Copeau, puis un bon nombre des défenseurs du « théâtre d'art », condamnent également le spectaculaire, d'une part parce qu'il leur apparaît comme la caractéristique essentielle d'un théâtre bourgeois et suranné, d'autre part parce que son pouvoir éducatif passe désormais par le recul critique du spectateur. De Zola à Vilar, en passant par Brecht, le théâtre se doit d'éclairer le spectateur, de l'éduquer en lui apprenant le sens critique et la faculté d'apprécier avec intelligence les beautés des grands chefs-d'œuvre de la littérature dramatique. Le spectaculaire a toutefois pris des formes et des sens multiples selon les genres et les périodes que l'on analyse. C'est ce que cet article met en perspective, en soulignant qu'il pose toujours la même question, quelles que soient les époques : celle qui interroge la nature, le pouvoir et le rôle du spectacle.This article analyzes the notion of the “spectacular” through some examples drawn from the history of French shows, and especially in the repertoire of extravaganzas, between the 17th and 19th centuries. It shows how the “spectacular”, a complex and difficult notion to circumscribe, is not to be confused with the “spectaculous”. Its essence is, above all, the effect produced on the audience. D'Aubignac, in his Pratique du théâtre (1657), keeps warning authors against the easy seductions of the spectacular, advocating reasonable pleasures, that is to say the kinds that allow the spectator to remain free in his judgments and impressions. Copeau and many of the defenders of the Théâtre d'Art, also condemn the spectacular, because, on the one hand, they see it as the main characteristic of a bourgeois and antiquated theatre, and, on the other hand, because the educational power of theatre is now inseparable from the critical distance of the spectator. For Zola, Brecht or Vilar, theatre must enlighten the spectator, educate him while teaching him to be critical and to appreciate with intelligence the beauties of the great masterpieces of literature. The “spectacular” has, however, taken multiple meanings according to the genres and the periods observed. It is what this article tries to put in perspective, while underlining that it always asks the same question, whatever the period: what is the nature, the power and the role of the spectacle?
- Le paradoxe du « théâtre exotique d'avant-garde » dans les années 1920 : Archaïsme et modernité dans la collaboration Baty-Lenormand - Jules Siran p. 35-53 Dans les années 1920, le metteur en scène Gaston Baty et le dramaturge Henri-René Lenormand élaborèrent, à travers les différentes mises en scène du Simoun et d'À l'ombre du mal, la pratique d'un spectaculaire spécifique que l'on qualifiera de théâtre exotique d'avant-garde. L'article examine la façon dont les deux collaborateurs, tout en revendiquant un théâtre en rupture avec l'« Orient du music-hall », ont malgré tout reproduit les codes de l'orientalisme le plus conventionnel. Tout d'abord, l'étude du travail du dramaturge fait apparaître un souci de réalisme qui tranche avec les productions théâtrales exotiques de l'époque, spécificité qu'il revendiquait largement pour caractériser son effort. À l'inverse, l'intervention du metteur en scène était déterminée par l'objectif de « donner l'illusion d'un autre monde, encore plus beau », privilégiant les effets d'atmosphère sur le texte lui-même. Ce hiatus provoqua une réception biaisée des deux œuvres, les critiques ne les distinguant pas réellement des pièces exotiques plus conventionnelles. En somme, les références orientalistes mobilisées dans les différentes étapes de l'élaboration de ce spectaculaire – production du texte, mise en scène, réception critique – ont donné un résultat relativement éloigné des ambitions affichées au départ par les deux collaborateurs.In the 1920s, director Gaston Baty and playwright Henri-René Lenormand developed, with the plays The Simoun and À l'ombre du mal, the practice of an art that will come to be known as the exotic avant-garde theatre. This article studies the way the two partners, while claiming to break free from the “music-hall Orient”, reproduced nonetheless the codes of the most conventional orientalism. Initially, the study of the playwright's work reveals a concern for realism that clearly stands out from the exotic theatrical production of the time –a characteristic he proudly claimed. On the contrary, the director's goal was to “give the illusion of another, more beautiful, world”, thus favouring ambience effects over the text itself. This hiatus generated a biased reception of the two plays since critiques did not really make a difference between those and other –more conventional– exotic plays. In sum, the outcome of oriental references summoned during the different stages of the making of this kind of show –writing, staging, critique reception–was finally rather remote from the ambitions initially claimed by the two partners.
- Le téléfilm historique postmoderne : spectacularisation de l'Histoire et « montage hystérique » - Dominique Chateau p. 55-64 Ce texte concerne un genre cinématographique, le téléfilm historique, qui a priori ne semblerait impliquer ni stratégie narrative ni effet spectaculaire. Mais, d'apparition récente, le téléfilm historique postmoderne comporte ces deux caractéristiques, une métamorphose qui se manifeste à la fois dans la substitution de la logique du vraisemblable à celle de la vérité historique et par une « spectacularisation », sensible à la fois dans l'image et dans son montage. L'article aborde cette question du point de vue sémantique (logique du vraisemblable, de sorte que le spectaculaire diégétique absorbe le spectaculaire historique) et pragmatique (conditions de la réception déterminées par l'horizon d'attente du genre). Les exemples analysés dans l'article (entre autres, le téléfilm Le Dernier Jour de Pompéi) attestent d'une hybridation du vrai et du vraisemblable telle que la documentation historique est poussée au romanesque.L'analyse de la série Jurassic Fight Club permet de mettre en évidence, sur le plan du montage (dit hystérique), un attirail formel, un rythme ultrarapide, un luxe d'effets qui concourent à la confusion du vrai et du vraisemblable.This text is about a kind of film, generally made for television, that would seem to imply, at first, neither narrative strategy nor spectacular effects: the historical television film. But the so-called post-modern historical television film includes these two features, and this metamorphosis appears in the substitution of the logic of the plausible to the one of the historical truth and in a “spectacularization” noticeable both in the picture and in its mode of editing. The paper approaches this question from the viewpoint of semantics (the logic of the plausible where diegetic logic dominates the historical data) and pragmatics (conditions of reception determined by the genre horizon of expectations). The examples analyzed, (among which The Last Day of Pompei), demonstrate a cross-breeding between the true and the plausible, while the historical documentation becomes a fictional material. The study of the series Bloodliest Battle (French title: Jurassic Fight Club), shows, on the level of “hysterical editing” as it is called, a formal technique of very fast rhythm and a wealth of audiovisual effects which contribute to the confusion between the true and the plausible.
- Le rebours du spectaculaire : Émile Gallé et l'exemple du vase Pasteur - Marie-Laure Gabriel-Loizeau p. 65-78 Émile Gallé (1846-1904), artiste artisan et industriel nancéien s'exprime aussi bien par la terre, le verre que par le bois. Son œuvre et sa personnalité font de lui un ardent défenseur des arts décoratifs et de leur vocation sociale. Inscrit dans le mouvement de l'Art nouveau, de l'art pour tous et de l'unité de l'art, Émile Gallé, chef de file de l'École lorraine, s'emploie à trouver une voie et des desseins à l'art décoratif qu'il produit et défend. Il sait observer et retranscrire le spectacle de la nature en mouvement, son œuvre prenant racine dans cette observation. Ce sens du spectacle est le moteur même de son art. Par-delà l'attirance de l'œil pour la beauté plastique, une énigme capte l'attention du spectateur. L'acte de contemplation ne se réalise plus seulement du point de vue des sensations (visuelles, tactiles ou auditives), il est aussi intellectuel. Sous la main d'Émile Gallé, la nature devient un spectacle qu'il donne à voir à son public, utilisant le registre de l'émotion, de la sensation pour dialoguer avec lui. Cette forme de spectaculaire se construit à rebours de son acception première. Elle ne se fonde pas sur le monumental, le gigantisme ou la démesure. Au contraire, elle prend source dans la découverte de l'infiniment petit. Nous devons prendre le temps de pénétrer l'œuvre pour être happé. Parler de spectaculaire dans l'œuvre d'Émile Gallé, c'est s'attacher aux facteurs déclenchant l'émotion, tenter de comprendre l'expérience vécue par le spectateur et s'intéresser à la relation entre le créateur, mettant en scène son art, et le spectateur. Dès lors, le spectaculaire devient pour Émile Gallé un dispositif plastique, symbolique et conceptuel ayant pour pivot la lecture de son œuvre et servant à la fonction qu'il assigne à l'art, problématiques cristallisées dans la force du vase Pasteur.Émile Gallé (1846-1904), an artist, artisan and manufacturer from Nancy, expressed himself with either earth, glass or wood. His work and personality made him a fierce supporter of decorative arts and their social traditions. Émile Gallé, leader of the École lorraine and follower of the Art nouveau movement, worked at finding a way and a purpose in the decorative art he produced and supported. He knew how to observe and transcribe nature and its movements, his art taking its roots in that observation. Beyond the attraction of the eye for plastic beauty, an enigma catches the spectator's attention. The act of contemplation is achieved not only by sensations (visual, tactile or auditory), but also by the intellect. Under Gallé's hand, nature becomes a show offered to the public, using emotions and sensations to establish a dialogue with people. This form of spectacular is the opposite of its common meaning. It is not based on monumental size, gigantism or excessiveness but on the contrary, on the discovery of the infinitesimal. One must take the time to absorb the artwork before being absorbed by it. To speak about the spectacular in Gallé's work implies to try and understand the spectator's experience and the relations between the creator, staging his work, and the spectator. Then, for Émile Gallé, the spectacular becomes a plastic, symbolic and conceptual device, centered on the reading of his work and serving the function he assigns to art, problematics crystallized in the powerful vase Pasteur.
- Le groupe Galpão et le spectaculaire : L'exemple de Roméo et Juliette au Shakespeare's Globe Theatre - Evelyn Lima p. 79-86 L'universalité de l'œuvre de Shakespeare est sans doute due à sa capacité de dialogue avec des cultures et des époques différentes. Cet article analyse le cas du spectacle Roméo et Juliette, mis en scène par le groupe brésilien Galpão, du Minas Gerais, au Shakespeare's Globe Theatre, dans lequel Shakespeare ne perd ni son essence, ni sa capacité à communiquer avec le public. En témoigne celle des spectateurs anglais à vibrer aux chansons brésiliennes, ainsi que les effets plastiques et visuels qui donnent une nouvelle spectacularité à l'auteur classique. Dans ce contexte, et parce que la pièce est bien connue du public, la langue joue un rôle secondaire. Ainsi, bien que le spectaculaire conçu comme une totalité ait toujours existé au théâtre et, en particulier, dans un grand nombre des pièces de Shakespeare, le montage typiquement brésilien du groupe Galpão renouvelle la perspective : il introduit des éléments inédits de spectacularité, à la fois par la transformation d'une pièce d'un dramaturge de la Renaissance anglaise en un spectacle de cirque avec des chansons en portugais, de la musique et des vers d'auteurs brésiliens mais aussi par l'intrusion d'éléments scéniques totalement impromptus. Le Roméo et Juliette brésilien a su réunir deux mondes hétérogènes : celui de la culture hégémonique européenne et celui de la culture populaire brésilienne.The universality of Shakespeare's plays is probably due to his ability to interact with different cultures and different times. This article analyses the case of the staging of Romeo and Juliet performed by the Galpão Brazilian Group from Minas Gerais at the Shakespearean Globe Theatre, proving that Shakespeare does not lose his essence nor his ability to communicate with the public, as evidenced by the English spectators vibrating at the Brazilian songs and where the plastic and visual effects provide a new magnificence to the classical author. In this context, and because the play is well known to the public, language plays a secondary role. Thus, although the “spectacular”, conceived as a whole, has always existed in theatre, and in particular in many Shakespearean plays, the typically Brazilian performance of Galpão Group renews the perspective: it introduces magnificence and unusual elements of spectacularity not only through the transformation of an English Renaissance playwright into a circus show with songs in Portuguese, with Brazilian music and poetry but also by the intrusion of a totally unexpected stage design. The Brazilian Romeo and Juliet succeeded in bringing together heterogeneous worlds: European hegemonic culture and popular culture from Brazilian inner regions.
- L'articulation entre écrans et performance : autour des spectacles de Superamas, Gob Squad et Big Art Group - Émilie Chehilita p. 87-103 À travers les cas de trois groupes de performers, est questionné le potentiel critique des marges artistiques quant au spectaculaire dominant au sein de la culture médiatique. La méthode repose sur la description des dispositifs scéniques mis en place, suivie de leur analyse dramaturgique, de l'examen des intentions des acteurs ainsi que des effets voulus et, parfois, obtenus. Les spectacles sont décrits, les groupes situés dans le paysage théâtral européen et étasunien pour interroger ensuite leur rapport aux notions de performance, de théâtre expérimental et d'avant-garde. Les trois spectacles choisis – Empire de Superamas, SOS du Big Art Group et Super Night Shot de Gob Squad – rendent possible une construction hiérarchisée de certaines articulations entre les écrans et la scène : la scission nette entre écran et art vivant (Superamas), la « technique du Real-Time Film » (Big Art Group), qui entremêle intimement vidéo et performance, enfin la présence exclusivement « écranique » des comédiens (Gob Squad). De surcroît, le niveau de technicité modifie la réception : la recherche de la perfection technique (Superamas), le bricolage en direct (Big Art Group) ou en différé (Gob Squad). Ces techniques servent des objectifs différents, respectivement rendre le montage apparent, reproduire le spectaculaire jusqu'à saturation et jouer avec l'infra-spectaculaire, voire l'antispectaculaire. En tentant d'expliquer leur rapport à l'authenticité, idée qui sous-tend la critique du spectaculaire médiatique, l'article se conclut sur l'ambivalence de leur prise de position politique, se faisant finalement le reflet de la sphère médiatique dans son ensemble, entre écarts et retours à la norme, consensus et subversion.Through the cases of three performance groups, we will question the potential criticism which occurs in the artistic margins of the mainstream spectacular within the media culture. Our process is based on describing the scenography, analyzing the dramaturgy, observing the protagonists intentions and the expected effects which are sometimes reached. Thus we will describe the performances and replace briefly those groups in the European and American theatrical landscapes, in order to discuss the concepts of performance, experimental theater and avant garde. The three chosen performances –Empire from Superamas, SOS from Big Art Group and Super Night Shot from Gob Squad– enable us to organize the connections between scenes and screens into hierarchy: the clear screen/live arts split (Superamas), the “Real-Time-Film Technique” (Big Art Group), which closely intermingles video and performance and the exclusively screen presence of actors (Gob Squad). Furthermore, the technical level modifies the effect produced on the audience: seek for technical perfection (Superamas), Do-It-Yourself Aesthetic broadcast, live (Big Art Group) or prerecorded (Gob Squad). These techniques act for different purposes; respectively they show the cutting, reproduce and surpass the spectacular until saturation and play with infra spectacular or even unspectacular. We will finish attempting to explain their relationship to authenticity, which underlies the critical viewpoint of media spectacular, aiming at concluding on the ambivalence of their political stance, which in fact reflects the whole media sphere, stepping out and jumping back in the norm, pictured as consensus and subversion.
- Les lumières du stade : Football et goût du spectaculaire dans l'entre-deux-guerres - Christophe Granger p. 105-124 Dans la France d'entre-deux-guerres, le sport et tout spécialement le football prennent en charge une part du moderne appétit de spectaculaire qui tenaille si vivement le pays. Le ballon rond se fait spectacle, il attire désormais les foules ; et le jeu lui-même se complique de gestes et de tactiques ordonnés au souci de faire le spectacle. Pour expliquer cette métamorphose, on a coutume d'invoquer l'exploitation mercantile du jeu par les promoteurs et les médias. C'est se priver d'interroger les projections imaginaires dont le football s'est alors fait le lieu. Ce dernier s'affiche comme un art des situations spectaculaires : les « critiques » en codifient les règles ; les joueurs ont à en maîtriser les effets ; et les spectateurs, unis dans le tracé d'une figure nouvelle de la foule, si décisive en ces décennies, apprennent à l'apprécier comme tel. C'est cette spectacularisation du football, ou si l'on préfère l'avènement du spectaculaire comme catégorie d'organisation et de perception du jeu, qu'il s'agit de restituer ici. Outre qu'il informe sur la quête d'harmonie des regards qui obsède tant l'entre-deux-guerres, cet article entend éclairer l'historicité des pratiques de spectacle.In France, during the interwar period, sports –and particularly football– were emblematic of the yearning for spectacular events. The round ball became the stake of the show, it attracted big crowds; the game itself became more complicated, with moves and tactics directed at “making the show”. This transformation is usually explained by the mercantile exploitation of the game by greedy promoters and medias. But one should nonetheless examine the imaginary projections stirred up by football. This sport flaunts as an art of spectacular situations: the “critics” codify the rules; the players have to master the effects; and the spectators, united in a new image of the crowd, learn to appreciate it as such. The subject is this “spectacularization” of football. Besides informing us about the yearning for a harmony of views which was so important in that period, this paper aims at understanding the historicity of the entertainment industry.
- Le défilé de mode : spectaculaire décor à corps - Morgan Jan p. 125-136 Le défilé de mode, inventé par le père de la haute couture Charles-Frederick Worth dans la seconde moitié du XIXe siècle, peut-il être considéré comme un spectacle ? La question mérite d'être posée à en lire les innombrables articles et ouvrages consacrés à la mode qualifiant un certain nombre de défilés comme de véritables spectacles. La traduction anglaise fashion show illustre bien cette dimension spectaculaire, associée au défilé. L'aspect théâtral de certaines présentations de mode, à travers les mises en scènes, les mannequins et les vêtements, est indéniable et confère au défilé un caractère parfois spectaculaire.Dès la fin du xixe siècle, de véritables spectacles sont proposés aux clients. Certains codes caractéristiques du théâtre sont repris comme le salut du couturier et des mannequins – comparables à des comédiennes – à la fin de la représentation. Progressivement, musique, décor et mise en scène soignée deviennent indissociables du défilé de mode, qui est à partir des années 1920 un véritable événement social. De nombreux articles témoignent en effet de l'enthousiasme que crée ce type d'événement, à l'instar d'un bal ou d'une pièce de théâtre. Les codes de la danse sont également repris. Les poses des mannequins sur le podium ne sont pas sans rappeler certaines danseuses comme l'Américaine Irene Castle. Au cours du XXe siècle, les mises en scène se complexifient, certaines donnant au défilé des airs de véritable happening artistique. Des couturiers, tels Viktor & Rolf, apparaissent comme les maîtres du genre.Can the fashion show, invented by the founder of haute couture Charles-Frederick Worth in the second half of the 19th century, be considered as a real show? A considerable number of articles and books about fashion seem to subscribe to that view. The English expression “fashion show” illustrates, indeed, the spectacular side of fashion presentations. The theatrical aspect of some of these presentations, with their sophisticated staging, models and clothes is undeniable. Some theatre codes are even used, such as the bow of the designer and his models –like comedians– at the end of their performance. Music, decor and careful staging progressively became part of the fashion show, and since the 1920's, it has become as much a social event as a ball or a play. Ballet dancing codes are also convoked. The models' poses on the podium remind one of certain artists, such as the American dancer Irene Castle. Throughout the 20th century, the staging became more and more sophisticated, sometimes even turning into actual artistic “happenings”. The designers Viktor & Rolf appear to be masters of the genre.
- Spectacle politique et participation : Entre médiatisation nécessaire et idéal de la citoyenneté - Paula Cossart, Emmanuel Taïeb p. 137-156 Le spectaculaire est inhérent à l'activité politique. Le pouvoir est toujours « mise en scène », « théâtrocratie », et manipulation permanente d'images et de symboles. Si l'idée que le pouvoir politique doit se donner à voir est connue, son recours au spectaculaire est souvent délégitimé. Il marquerait en effet un appauvrissement de la participation politique, un show médiatique cherchant l'émotion plus que la politisation. L'objet de cet article est d'étudier la tension entre nécessité de la visibilité politique et phobie du spectacle, puis de la dépasser pour montrer que la théâtralité du pouvoir relève pleinement du dialogue démocratique. L'article examine dans un premier temps la critique du spectaculaire comme forme de dévoiement du débat citoyen et de dépolitisation des administrés ; à rebours de cette approche, plusieurs auteurs affirment la nécessité de dépasser une vision logocentrique de la participation, et plus largement de nuancer l'opposition entre le spectacle et la participation politique. Le spectacle peut être aussi un facteur de politisation, une occasion d'élargissement de l'espace public vers ceux qui sont marginalisés par une conception purement délibérative de la participation, ou un outil de contre-pouvoir citoyen. L'article montre ensuite que s'arrêter uniquement sur les fonctions du spectacle politique empêche d'apprécier à quel point il est nécessaire pour les autorités. Les effets politisants ou dépolitisants du spectacle peuvent alors être compris comme étant seulement des sous-produits de la communication politique. Une telle mise en spectacle du politique, même opposée à l'idéal d'une citoyenneté raisonnable qui se défie de l'émotionnel et du sensationnalisme, demeure en réalité le lieu et le moyen de dialogues entre groupes, et entre État et population, au sein d'une société démocratique.Dramatics is inherent to political activity. Power is always “staged”, “dramatized” and relies on the permanent manipulation of images and symbols. While the idea that political power must be exposed is well known, its dramatisation is often considered unjustified. It would indeed denote an impoverishment of political participation, a show, striving to produce emotion rather than politicization. The aim of this paper is to study the tension between the need for political visibility and the phobia of the spectacular, and to see how to overcome the latter, in order to prove that the dramatization of political power is an aspect of the democratic dialogue. First, we analyse the criticism of the spectacular as a kind of deviation of the citizen debate leading to a de-politicization of citizens, but stressing that in spite of this view, several authors insist on the necessity of going beyond a logo-centric vision of participation, and more generally on moderating the refusal of the spectacular in political participation. Dramatization may also be a factor of politicization, a way of enlarging public space towards those who are pushed to the fringes by the conception of participation as purely deliberative, or it can be a tool of citizen counter-power. Then we show that if one only considers the functions of political dramatization, one is prevented from seeing to what extent it is necessary for the authorities. The politicization or de-politicization effects of dramatization can thus be understood as mere by-products of political communication. Such a “staging” of politics, even if it is opposed to the ideal of a reasonable citizenship, which distrusts emotionality and sensationalism, stands out as a place and a means for dialog between groups, and between the State and the population, within a democratic society.
- Célébrer, mobiliser et mettre en scène : le spectaculaire dans les manifestations festives soviétiques des années 1920 - Emilia Koustova p. 157-176 En examinant l'abondante littérature consacrée à l'organisation des célébrations publiques (manuels contenant les conseils et les scénarios modèles, premières histoires des fêtes de la Révolution russe…) et la pratique festive au moment de la Nouvelle politique économique, cet article étudie la réinvention de la célébration publique soviétique qui, dans les années 1920, porta sur la nature et les objectifs du spectacle festif, la définition de ses participants et de ses destinataires. Elle conduisit notamment à replacer la manifestation au centre de la fête, en réinventant ses formes (« carnaval politique »), en réaffirmant sa fonction mobilisatrice et en développant sa dimension pédagogique. En mettant l'accent sur le nombre de participants, en soulignant leur hétérogénéité et leur représentativité, la nouvelle manifestation devenait spectacle d'une nation mobilisée autour d'un État face à un environnement hostile ; elle préfigurait ainsi les grands thèmes du discours stalinien, en mettant particulièrement l'accent sur les sujets économiques et le travail. Pensée capable de transformer les foules bigarrées en un corps ordonné et harmonieux, de mettre en scène les masses et d'effacer les frontières entre participants et spectateurs, la célébration était l'objet de maintes attentions, se retrouvant régie par des consignes de plus en plus strictes et élaborées. Aucun élément de la fête ne devait y échapper, d'autant que tous avaient une visée pédagogique prononcée.This article uses the abundant literature on the organisation of public celebrations (handbooks with advice and model scenarios, early histories of the festivities of the Russian Revolution, etc.) and festivities at the time of the New Economic Plan to investigate the reinvention of Soviet public celebration in the 1920s, concerning the nature and objectives of festive spectacle and the definition of participants and audience. Public demonstration became the centre of festivity, with a reinvention of forms (“political carnival”), a reassertion of its function as mobilisation and the development of its educational dimension. The stress laid on the number of participants, their diversity and representativeness, made of this new demonstration the spectacle of a nation mobilised around a State to face a hostile environment; it foreshadowed the major themes of Stalinist discourse, with particular emphasis on economic matters and work. Celebration was perceived as able to turn a motley crowd into an ordered, harmonious whole, to put the masses on stage and break down the barriers between participants and spectators; considerable attention was given to this and it was regulated by increasingly strict and elaborate instructions. No element of festivity was to escape attention, since all of them had a clear educational purpose.
Lieux et ressources
- Un fonds éducatif réinventé - Didier Nourrisson p. 177-188
Regards croisées
- Le discours sur l'Occident chez les intellectuels iraniens de la modernité - Laetitia Nanquette p. 189-198
Trames
- Lanternes éblouissantes, entretien avec Laurent Mannoni - Thierry Lefebvre p. 199-207
Retours sur…
- Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics… - Myriam Tsikounas p. 209-214
Actualités
- Le spectacle de l'histoire - Benoît Marpeau, Chantal Meyer, Geneviève Sellier, Julie Verlaine p. 215-226
Grand entretien
- Entretien avec Henri Cueco - Itzhak Goldberg, Bertrand Tillier p. 227-239
Hors cadre
- Des violences urbaines avant la violence urbaine… - Frédérique Pitou p. 241-257 Cet article évoque une affaire criminelle qui s'est déroulée au milieu du XVIIIe siècle, dans la ville de Laval en Mayenne, consécutive à des violences faites la nuit, par des jeunes gens en bande, que les documents judiciaires de l'époque appellent des « coureurs de nuit ». Ce fait divers permet de réfléchir sur les violences urbaines et leur signification. En étudiant les diverses pièces de procédure (la plainte, les rapports d'experts, surtout les témoignages), on peut suivre les différentes étapes d'un procès criminel mais on peut également établir les faits. Une « course nocturne », si elle se traduit inévitablement par une agression, respecte des règles (notamment faire le maximum de bruit pour effrayer les habitants), comme si les jeunes gens se pliaient à une sorte de rituel recommencé de génération en génération. La clémence des jugements rendus et les remarques faites par un magistrat sur les raisons de cette attitude confortent l'idée que cette violence est considérée comme faisant partie des débordements traditionnels de la jeunesse et ne remet pas en cause l'ordre social. Les jeunes gens violents d'une nuit prendront plus tard toute leur place dans la société.This paper relates a criminal case that took place in the mid 18th century, in the town of Laval (Mayenne), after acts of violence had been committed by gangs of youngsters at night, whom are referred to in judicial documents as “night runners”. It allows to reflect upon urban violence and its meaning. Through the studying the miscellaneous documents (the complaint, the experts'reports, most importantly the testimonies) we follow the different steps of a criminal trial and are able to establish facts. If a “night race” always implies an aggression, it obeys some rules (notably to make as much noise as possible to frighten the inhabitants), as if young men reinvented the same sort of ritual generation after generation. The clemency of the sentences, and the remarks made by a magistrate about the reasons for such behaviour, seems to mean that violence in young men is considered as part of the usual dissipation of youth, and is no threat to social order. The one-night-violent young men will later take their full place in society.
- Des violences urbaines avant la violence urbaine… - Frédérique Pitou p. 241-257