Contenu du sommaire : Dossier : L'ordre et la force

Revue L'année du Maghreb Mir@bel
Numéro no 30, 2023
Titre du numéro Dossier : L'ordre et la force
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Dossier : L'ordre et la force

    • L'ordre et la force. Police, sécurité et surveillance au Nord de l'Afrique - Mériam Cheikh, Audrey Pluta accès libre
    • El Ekhtiyar ou la mise en martyr des policiers égyptiens. La construction d'un « grand récit » sur petit écran ? - Sixtine Deroure accès libre avec résumé
      Contrairement à l'armée, il n'existe pas en Égypte de « grand récit » (Aclimandos, 2013) louant et légitimant le rôle de la police dans la société et l'État. Le grand récit de l'armée comme « sauveuse de la nation » s'appuie originellement sur la « Révolution de 1952 » menée par les Officiers Libres. Il a été récemment agrémenté par son ralliement aux demandes révolutionnaires en janvier 2011, suivi de l'épisode de la « Révolution du 30 juin 2013 » durant laquelle des millions de manifestants ont appelé l'armée à destituer le président Frères musulman, élu en 2012, Mohamed Morsi (Ben Néfissa, 2015). À l'inverse, la police et ses pratiques violentes font l'objet d'une défiance partagée. La dénonciation de ses abus a d'ailleurs été au cœur du déclenchement de la Révolution du 25 janvier 2011(Mittermaier, 2015; Abdelrahman, 2017). Pourtant, malgré cette méfiance collective envers l'institution policière, celle-ci se retrouve depuis 2013 au cœur d'une entreprise de légitimation sans précédent. Cette opération passe par le développement d'un deuil public inédit qui célèbre ensemble les morts de la police et de l'armée, désormais désignés sous le terme de « martyrs du devoir » (Deroure, 2022). Dans cette veine, les exploits de la police sont mis en scène à la télévision dans une mise en récit qui mime les outils narratifs déployés pour les militaires (Said Mostafa, 2017). Ainsi, après le grand succès rencontré auprès du public égyptien par la série El Ekhtiyar (Le choix), diffusée pendant le Ramadan 2020, qui relatait les prouesses des « martyrs de l'armée » dans la « guerre contre le terrorisme », l'institution policière est mise à l'honneur dans une seconde saison, diffusée un an plus tard. Je propose dans cet article d'analyser les outils narratifs déployés dans la seconde saison d'El Ekhtiyar visant à élever la police au rang de « protecteur national » (Abdelrahman 2017) à travers la mise en scène des exploits de ses agents dans la « guerre contre le terrorisme » entre 2013 et 2020. Je montre comment cette saison cherche, sur le modèle du récit national sur l'armée et des fils narratifs déployés dans la saison 1, à humaniser et glorifier le sacrifice de la police, à travers la « mise en martyr » de ses agents. Si tous les personnages principaux ne meurent pas au cours de la saison 2, ils sont tous sont des « martyrs en devenir ». À cet égard, j'observe les « dispositifs de sensibilisation » (Traïni, 2011) déployés dans la série afin de permettre la « reconnaissabilité » (Butler, 2010) des « bons » martyrs de la police, les rendant susceptibles d'être pleurés, au même titre que les martyrs de l'armée. Cette « reconnaissabilité » se produit également par la disqualification, sur un mode différentiel, de ceux qui sont identifiés comme les ennemis des futurs martyrs en les assimilant à des traîtres sanguinaires et diaboliques : les « islamistes », une catégorie vaporeuse désignant les Frères musulmans et un ensemble de groupes terroristes qui leur seraient affiliés. La police, qui est montrée comme étant irréprochable et toujours respectueuse des lois, est uniquement mise en scène dans la « lutte contre le terrorisme » menée aux côtés de l'armée. Sa mission est ainsi réhaussée à un niveau sécuritaire présenté comme ultime. Son rôle répressif étant ainsi complètement invisibilisé, les policiers peuvent être des « martyrs en devenir ». Le martyre est d'ailleurs constamment à venir, la menace et la mort étant omniprésentes tout au long du récit. Cette reconnaissabilité rend les agents de police légitimes à intégrer, une fois mort, le culte national actuel développé autour des « martyrs du devoir ». Cependant, malgré le déploiement de ces « dispositifs de sensibilisation », la mise en scène des pratiques irréprochables de la police a été raillée sur réseaux sociaux, révèlant des résistances à l'émergence d'un « grand récit » pour la police.
    • « Paroles de flics ». Communications policières et actualité politique au Maroc (2005-2023) - Mériam Cheikh accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En février 2005, une publication de presse inhabituelle au Maroc prend place au milieu de la profusion des titres (quotidien, hebdomadaires et mensuels) qui, depuis les années 1990, se multiplient en arabe et en français sur les étals des kiosques à journaux des grandes villes du pays. Il s'agit du magazine de la police, Police Magazine, annoncé en grandes pompes, entendant ainsi sortir des publications institutionnelles classiques qui ont existé jusqu'alors et qui ne s'adressaient pas au large public. Animé d'un fort désir de s'adresser en arabe et en français directement au large public, les responsables de la revue – responsables de la police par ailleurs – ont pour objectif de réconcilier leur service de sécurité pâtissant d'une mauvaise réputation et s'emparer de la nouvelle vulgate sur l'ouverture politique et le processus de démocratisation. Conscients d'être, théoriquement parlant, un acteur majeur de la protection et de l'application des droits de l'homme, la police marocaine encore discréditée pour les violations dont elle s'est rendue célèbre durant les années dites de plomb et qui ont été commentées lors des débats portés par l'Instance équité et réconciliation (IER), revendique son attachement à ces idéaux alors que se closent les travaux de l'IER. La renaissance de la publication policière (en arabe et en français) va signer le premier jalon de la constitution d'un travail de communication rendu visible à tou.tes et qui va au fil de ces deux dernières décennies (2005-2023) au fur et à mesure devenir un véritable service professionnel qui aura en charge, fait nouveau, non pas de nier mais de traiter par le discours la forte tension entre action policière et libertés. Pour ce faire, et dans un contexte de réforme de l'institution et de rationalisation managériale de ses effectifs, la police va se mettre en scène chaque mois pour donner à voir son travail, la diversité de ses services (sécurité publique en charge de la délinquance, police judiciaire en charge des enquêtes criminelles, renseignements généraux, police des frontières en charge des flux migratoires vers l'Europe et maintien de l'ordre) et les définitions qu'elle en a. Celles-ci permettent non seulement de voir comment est organisé de l'intérieur la police mais aussi quelles sont ses nouvelles priorités en tête desquelles figurent la délinquance urbaine et juvénile.Au moyen d'un passage en revue exploratoire de deux décennies d'une publication, qui s'intitulera Police Magazine de 2005 à 2013 puis Revue de Police de 2014 à aujourd'hui, il s'agira dans cet article de voir comment les forces de sécurité entrent dans le jeu de la communication institutionnelle à destination de la population marocaine et quelles formes elle prend selon des phases politiques qui vont de l'ouverture à la fermeture. Sans entrer dans les détails des 101 numéros passés en revue (l'espace imparti ne nous permet pas une analyse textuelle des discours), le but est de relever les éléments les plus significatifs à même de démontrer ces phases d'ouverture puis de fermeture du discours de la police sur elle-même. Ainsi, après avoir proposé, dans une première partie, une rapide histoire de la mise en image de la police au Maroc allant de l'Indépendance en 1956 à la fin des années 1990, moment de l'alternance politique censée marquer le début de ce que certains analystes nommeront hâtivement « la transition démocratique », il s'agira de revenir, dans une seconde partie, sur le travail qu'effectue la police sur sa représentation en optant pour une forme d'écriture davantage journalistique que communicationnelle, donnant l'impression qu'elle cherche à dire quelque chose de vrai sur elle-même en mobilisant les termes de la « nouvelle ère » du régime : ceux du développement humain et social. La dernière partie est consacrée quant à elle à la mise en scène du métier de policier à mesure que le métier de communicant policier s'affine. Il s'agira, toujours en lien avec les phases de réajustements politiques, d'acter l'ancrage d'une communication de moins en moins à destination du grand public et de plus en plus centrée sur les agents des forces de sécurité.
      In February 2005, an unusual press publication in Morocco appeared amid the profusion of titles (dailies, weeklies and monthlies) that had been appearing in Arabic and French on the newsstands of the country's major cities since the 1990s. One of these is the new police journal, entitled Police Magazine, which has been heralded with great fanfare as a move away from the traditional institutional publications that have existed until now and which were not always aimed at the general public. Driven by a strong desire to address the general public directly in Arabic and French, the magazine's editors - who happen to be in positions of responsibility within the police force - aim to reconcile their security service, which suffers from a bad reputation, and to seize upon the new vulgate on political liberalisation and the democratisation process. Aware that they are, theoretically speaking, a key player in the protection and enforcement of human rights, the Moroccan police, while still discredited for the violations of which they became notorious during the so-called years of lead, and which were addressed in the debates led by the Equity and Reconciliation Commission (Instance équité et réconciliation - IER), are now asserting their attachment to these ideals as the IER's work draws to a close. The resurgence of police publishing (in Arabic and French) will mark the first milestone in the establishment of a system of communication that will be visible to all and which, over the course of the last two decades (2005-2023), will gradually become a fully-fledged professional service responsible, for the first time, not for denying but for addressing through discourse the strong tension between police action and civil liberties. To this end, and in the context of police reform and managerial rationalisation of its workforce, the Police Department will be showcasing its work each month, the diversity of its services (Public Security in charge of crime, Criminal Investigation Department in charge of criminal investigations, General Intelligence, Border Police in charge of migratory flows to Europe and Law Enforcement) and the ways in which it defines these services. These not only show how the police are organised from the inside but also what their new priorities are, with urban and juvenile delinquency at the top of the list.By examining two decades of a publication known as “Police Magazine” from 2005 to 2013, then “Revue de Police” from 2014 to the present day, this article will look at how the security forces engage in institutional communication aimed at the Moroccan public, and what forms this takes according to different political shifts, ranging from political openness to political closedness. Without going into the details of the 101 issues of Police Magazine and Revue de Police under review (the space available does not allow for text analysis), the aim is to highlight the most significant elements that demonstrate the stages of opening up and then of closing down of the police's discourse on itself. In the first section, we provide a brief history of the development of police imagery in Morocco, from independence in 1956 to the end of the 1990s, the time of the political transition that was supposed to mark the beginning of what some analysts have hastily termed “the democratic transition”, In the second part, we look at how the police represent themselves by opting for a form of writing that is more journalistic than communication-based, giving the impression that they are trying to tell the truth about themselves by using the language of the regime's “new era”: namely that of human and social development. The final section is devoted to the shaping of the police profession as the profession of police communicator becomes more refined. In line with the political readjustment period, communication will become less and less aimed at the general public and more and more focused on members of the security forces.
    • Les syndicats, les commissaires et le politique : (re)valorisations et conflits autour de la profession policière en Tunisie (2011-2022) - Audrey Pluta accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les conditions socioprofessionnelles des agents de l'appareil sécuritaire ont fait l'objet d'une publicisation croissante après le 14 janvier 2011, mais aussi d'une mobilisation inédite des policiers tunisiens. Constitués en syndicats, ces derniers ont entamé des cycles de négociation avec les gouvernements successifs, s'imposant comme des interlocuteurs légitimes des pouvoirs publics. À travers une trentaine d'entretiens avec des syndicalistes policiers appartenant à trois organisations concurrentes à Tunis, Gafsa et Sfax, cet article revient sur le rôle des syndicats policiers tunisiens dans les évolutions statutaires des agents du ministère de l'Intérieur. En se penchant sur les enjeux qu'ont constitué les salaires, les avancées en grade et la séparation entre corps « civil » et corps de la « tenue », il montre que la période post-2011 voit une (re)valorisation du statut de l'agent, notamment à travers des augmentations salariales importantes, mais aussi des perspectives de montées en grade renouvelées. Si le régime de Ben Ali était souvent qualifié d'« État policier », cela avait tendance à obscurcir les conditions socioprofessionnelles réelles des agents de l'institution sécuritaire. Le contrôle politique exercé sur les agents des forces de sécurité avant janvier 2011 reposait, entre autres, sur le maintien des agents dans une situation économique assez précaire. L'irruption des groupes d'intérêt policiers sur la scène publique modifie radicalement le rapport de force entre élite politique et sécuritaire, et agents de la force publique. Ces derniers, en s'alignant sur le fond et la forme des revendications salariales par la centrale syndicale UGTT, parviennent à obtenir la signature d'un accord gouvernemental pour des augmentations par tranches de leurs salaires. L'impact des syndicats policiers ne se limite pas à des aspects matériels. Ils négocient, et obtiennent une montée en grade pour les agents de grades inférieurs. Ils négocient également un réagencement des règles d'avancement dans l'institution, pour une prise en compte des titres scolaires dans les montées en grade. Ces éléments tendent à opérer un renversement de la pyramide hiérarchique au sein de la police, mais aussi à créer des horizons professionnels désirables pour des agents qui étaient auparavant exclus de certaines fonctions. À cet égard, les syndicats s'inscrivent dans les thèmes révolutionnaires et la construction politique d'un discours de « la dignité » dans une acception socioprofessionnelle. Enfin, ces bouleversements des normes institutionnelles par l'action syndicale sont visibles dans la remise en cause d'une répartition des postes sur la base d'une division historique entre corps « civils » (correspondant notamment aux commissaires, aux inspecteurs, etc.) et « de la tenue » (officiers, commandants, brigadiers, etc.). Alors que les commissaires ont occupé les principales positions de pouvoir sous Ben Ali, les officiers du corps de la tenue tendent maintenant à occuper des postes dans la haute hiérarchie ministérielle. Ces évolutions vont dans le sens de l'émergence d'une nouvelle génération de cadres sécuritaires. Cet article montre que ces évolutions modifient profondément la répartition des pouvoirs au sein de l'appareil sécuritaire, ainsi que les rapports entre supérieurs hiérarchiques et subordonnés. Les revendications socioprofessionnelles alimentent une concurrence intersyndicale qui favorise l'adoption des mesures préconisées, ainsi que la construction de marges d'autonomie des bases à l'égard de la hiérarchie. À travers l'analyse des évolutions des normes socioprofessionnelles dans la police tunisienne, cet article réinterroge les effets des changements de régime sur les institutions régaliennes.
      After 14 January 2011, the socio-professional conditions of members of the security forces became increasingly public, but also led to an unprecedented mobilisation of Tunisian police officers. Organised into trade unions, they began to negotiate with successive governments, establishing themselves as legitimate interlocutors with the authorities. Drawing on some thirty interviews with police unionists from three competing organisations in Tunis, Gafsa and Sfax, this article examines the role of Tunisian police unions in changing the status of Ministry of the Interior employees. Focusing on issues of pay, promotion and the separation of the 'civilian' and 'uniformed' corps, it shows that the post-2011 period has seen a (re)improvement in the status of officers, particularly through significant pay increases and renewed prospects for promotion. Although Ben Ali's regime was often described as a 'police state', this tended to obscure the real socio-professional conditions of security officers. The political control exercised over members of the security forces before January 2011 was based, among other things, on keeping them in a rather precarious economic situation. The emergence of police interest groups on the public scene has radically altered the balance of power between the political and security elite and the law enforcement officers. By aligning themselves with the content and form of the UGTT's wage demands, the latter succeeded in getting the government to sign an agreement for a gradual increase in their salaries. The impact of the police unions was not limited to material aspects. They negotiated and won a pay rise for lower-ranking officers. They also negotiated a reorganisation of the rules governing promotion within the institution, so that academic qualifications would be taken into account in promotions. These elements tend to reverse the hierarchical pyramid within the police, but also create desirable professional horizons for officers who were previously excluded from certain functions. In this respect, the trade unions are part of the revolutionary themes and the political construction of a discourse of "dignity" in a socio-professional sense. Finally, these upheavals of institutional norms as a result of union action can be seen in the questioning of a distribution of posts based on a historical division between "civilian" bodies (corresponding in particular to commissioners, inspectors, etc.) and "uniformed" bodies (officers, commanders, brigadiers, etc.). While police chiefs held the key positions of power under Ben Ali, uniformed officers now tend to occupy positions in the senior ministerial hierarchy. These developments point to the emergence of a new generation of security executives. This article shows that these developments are profoundly changing the distribution of power within the security apparatus, as well as relations between superiors and subordinates. Socio-professional demands are fueling inter-union competition, which is encouraging the adoption of the measures advocated, as well as the construction of margins of autonomy for the rank and file in relation to the hierarchy. By analysing changes in socio-professional norms in the Tunisian police force, this article re-examines the impact of regime change on institutions.
    • De la police coloniale française à la police nationale marocaine : décolonisation et héritages policiers (1953-1960) - Benjamin Badier accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Parmi les nombreuses continuités institutionnelles entre le protectorat français sur l'Empire chérifien (1912-1956) et le Maroc indépendant figurent les forces de l'ordre, et en particulier la police. La Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), toujours au centre de l'appareil policier de nos jours, n'a pas été créée ex nihilo en 1956, mais à partir de la Police chérifienne, l'institution protectorale contrôlée par les Français. Les continuités policières, qui s'opèrent à différentes échelles, institutionnelles, doctrinales et humaines, ont de quoi surprendre, tant la Police chérifienne a joué un rôle central dans le maintien de l'ordre colonial et dans la rude répression des mobilisations favorables à l'indépendance. Cet article se penche sur l'histoire institutionnelle de la police au Maroc entre août 1953, lorsque l'exil du sultan Mohammed V déclenche une vague de violences nationalistes qui met à rude épreuve la police coloniale, jusqu'à l'année 1960, lorsque le lien privilégié avec la France est remis en cause par le régime marocain sur tous les plans, y compris dans la police. Tout comme l'histoire de la police du protectorat, l'histoire de la police marocaine dans la décolonisation et après l'indépendance reste à faire. Les archives diplomatiques françaises permettent de reconstituer le cadre institutionnel de la police sous le protectorat, mais aussi après l'indépendance – du fait même des continuités. Si les archives de la DGSN ne sont pas disponibles, celles de l'Assemblée nationale consultative (1956-1959), conservées aux Archives du Maroc, fournissent un éclairage précieux, ainsi que le point de vue critique de la gauche marocaine. Une première partie revient sur les mutations de la Police chérifienne au début des années 1950, lorsqu'elle peine à se reformer pour faire face aux mobilisations nationalistes, de plus en plus violentes. Créée en 1913, la Police chérifienne est pensée comme une police d'État, compétente sur l'ensemble de la zone française du protectorat. Si elle a pour mission de lutter contre le nationalisme dès les années 1930, la surveillance et la répression des partis marocains devient sa mission principale après la guerre. Plusieurs fois réformée, prenant la police métropolitaine comme modèle, la police coloniale au Maroc est de plus en plus centralisée et se spécialise dans le renseignement. Mais elle reste constamment en sous-effectifs, peine à remplir les missions qui lui sont confiées, et souffre d'une rivalité avec l'armée française, acteur central du colonial policing. L'organisation et les missions de la Police chérifienne permettent d'écarter une hypothèse qui aurait pu expliquer la continuité institutionnelle post-coloniale. Celle-ci doit peu au principe d'administration indirecte sur lequel repose le protectorat, ou au projet français de réformer l'État marocain. La Police chérifienne est pourtant une institution mixte, dont un tiers des effectifs sont des agents marocains, et le maintien de l'ordre s'appuie aussi sur des institutions précoloniales, comme les assès et les mokhazni. Mais l'idée d'un transfert éventuel n'est aucunement la cause de ce caractère composite, qui s'explique plutôt par la nécessité de maintenir l'ordre, par le besoin d'intermédiaires coloniaux et par la faiblesse des moyens français. La forte continuité entre police coloniale française et police nationale marocaine tient en réalité au contexte précis de la passation de pouvoir entre les autorités coloniales et le palais marocain après l'automne 1955. Ce contexte est celui d'une forte dégradation de la sécurité dans le pays, et d'une alliance renouvelée entre la monarchie et les Français, lorsque ces derniers rappellent le sultan d'exil et ouvrent la voie à l'indépendance (mars 1956). L'intérêt commun de ces acteurs est de doter le pays d'un régime monarchique fort, contre les nationalistes (notamment le parti de l'Istiqlal) et leur prétention à gouverner. D'où une transmission institutionnelle, notamment des forces de police qui sont précisément spécialisées dans la lutte contre le nationalisme. La DGSN, rattachée directement au palais, reprend les structures de la Police chérifienne, et de nombreux policiers français restent dans la police nationale marocaine comme coopérants (un tiers des effectifs en 1957). Il y a bien marocanisation de la police, mais celle-ci est progressive. Le véritable tournant se situe en 1960, lorsque le Maroc remet en cause les liens privilégiés avec la France. L'expulsion des derniers agents de police français coïncide avec un tournant autoritaire contre la gauche marocaine, qui dénonce un régime policier héritier du régime colonial, au moment où le Maroc prend justement ses distances avec la France.
      Among the numerous institutional continuities between the French protectorate over the Cherifian Empire (1912-1956) and independent Morocco, the security forces, particularly the police, stand out. The General Directorate for National Security (DGSN), which remains at the core of the police apparatus to this day, was not created from scratch in 1956, but rather evolved from the Cherifian Police, the protectorate institution controlled by the French. The police continuities, which unfold across various institutional, doctrinal, and human levels, seem astonishing, given the central role the Cherifian Police played in maintaining colonial order and harshly repression independence movements.This article delves into the institutional history of the police in Morocco from August 1953, when the exile of Sultan Mohammed V triggered a wave of nationalist violence that severely tested the colonial police, to the year 1960, when the privileged connection with France was questioned by the Moroccan regime on all fronts, including within the police. Like the history of the police during the protectorate, the history of the Moroccan police during decolonization and after independence remains to be written. French diplomatic archives enable the reconstruction of the general institutional framework of the police during the protectorate, as well as after independence – precisely due to these continuities. While the archives of the DGSN are not available, those of the Consultative National Assembly (1956-1959), held at the Archives of Morocco, provide valuable insights, along with the critical perspective of the Moroccan left. The first part examines the transformations of the Cherifian Police in the early 1950s, when it struggled to reorganize itself to confront the increasingly violent nationalist mobilizations. Established in 1913, the Cherifian Police was conceived as a state police force with jurisdiction across the entire territory of the French zone of the protectorate. While by the 1930s its mission was to combat nationalism, surveillance and repression of Moroccan political parties became its main focus after the war. Undergoing several reforms and modeling itself after the metropolitan police, the colonial police became increasingly centralized and specialized in intelligence. However, it consistently suffered from understaffing, struggled to fulfill its assigned tasks, and faced rivalry with the French army, a central actor in colonial policing. The organization and tasks of the Cherifian Police discard a hypothesis that could have explained the post-colonial institutional continuity. This continuity owes little to the principle of indirect rule on which the protectorate is based, or to the French project of reforming the Moroccan state. The Cherifian Police is a mixed institution, with one-third of its personnel being Moroccan agents; the maintenance of order similarly relies on pre-colonial institutions, such as the assès and the mokhazni. However, the idea of a potential transfer is by no means the cause of this composite nature, which is rather explained by the necessity of maintaining order, the need for colonial intermediaries, and the limited French resources.The strong continuity between the French colonial police and the Moroccan national police is actually to be explained by the specific context of power transition between colonial authorities and the Moroccan palace after the fall of 1955. This context is one of heightened security deterioration and a renewed alliance between the monarchy and the French, as the latter recall the sultan from exile and pave the way for independence (March 1956). The shared interest of these actors is to establish a strong monarchical regime in the country to counter the nationalists (particularly the Istiqlal Party) and their aspiration for governance. This leads to an institutional transfer, especially of the police forces specialized in combating nationalism. The DGSN, established at that time, reports to the Palace rather than the Ministry of the Interior. It inherits the structures of the Cherifian Police, and many French police officers remain in the Moroccan national police as collaborators (one-third of the personnel in 1957). There is indeed a process of Morocconization of the police, but it is gradual. The true turning point occurs in 1960 when Morocco questions its privileged ties with France. The expulsion of the last French police agents coincides with an authoritarian shift against the Moroccan left, which denounces a police regime inherited from the colonial era.
    • Réprimer par le droit : L'intervention de la Brigade nationale de police judicaire dans les procès du Hirak El-Rif - Mariam Benalioua accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse à l'intervention de la Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ) dans la gestion judicaire du mouvement social marocain « Hirak ». Il s'agit d'un mouvement de contestation qui s'est développé dans le Rif, au Maroc, à la suite de la mort d'un poissonnier écrasé par une benne à ordure alors qu'il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités. Le mouvement naissant dénonce la marginalité socio-économique et politique dont souffre la région et revendique des réformes profondes pour le développement du Rif. Accusés de « porter atteinte à la sûreté d'État », les militants arrêtés considérés comme les cadres du mouvement, ont été condamnés à des peines allant de 5 ans à 20 ans de prison ferme. En s'appuyant sur des entretiens réalisés avec des ex-détenus graciés, des avocats, l'analyse des documents judiciaires, les rapports de l'Instance équité et réconciliation (IER), ainsi qu'une revue de presse qui retrace toutes les apparitions médiatiques des directeurs de la BNPJ, cet article étudie les modalités de répression de la dissidence politique par cette brigade. Il s'interroge également sur sa stratégie pour remplir sa mission principale : la préservation de la sécurité intérieure, donc du maintien d'un ordre politique, mission qu'elle accomplie depuis sa création. Le changement politique initié au Maroc par l'alternance consensuelle et la mise en place de l'IER a obligé cette brigade à se réinventer. Le suivi de l'évolution historique de cette brigade depuis la fin des années 1990 jusqu'à aujourd'hui montre comment elle a élargi son champ d'intervention, passant d'une brigade traitant seulement des affaires liées à la sûreté d'État, qui s'occupe principalement du dossier des opposants politiques de gauche, à une brigade incluant les affaires d'ampleur nationale et relevant de la lutte contre le crime organisé (terrorisme, trafic de drogue, etc.). Ce remaniement dans sa structure et son fonctionnement a permis à cette brigade de se professionnaliser dans sa gestion des dossiers politiques en orientant sa stratégie de répression vers la collecte des preuves conduisant à la criminalisation du mouvement contestataire. En décrivant les pratiques d'arrestation et d'interrogatoire des militants du Hirak, cet article montre comment la BNPJ a abandonné les anciennes méthodes de disparition forcée, de torture et de détention arbitraire, pour faire du droit son arme de répression. L'argument que je défends consiste à montrer comment la BNPJ a changé ses modalités et sa stratégie de répression, passant d'une brigade qui avait pour mission le démantèlement des organisations politiques de gauche clandestines à travers la torture et la détention secrète dont le seul objectif est de collecter des informations conduisant à localiser et traquer les militants politiques pour les faire disparaitre, vers une brigade dont la stratégie de répression passe par l'action judicaire, en conduisant des interrogatoires et en dressant des procès-verbaux qui visent à collecter des preuves judiciaires exploitables pendant les procès. Mon propos s'organise en quatre parties. La première montre comment la BNPJ a évolué, d'une police spécialisée seulement dans les affaires relevant de la sûreté d'État à une brigade avec un champ d'intervention beaucoup plus élargi. La deuxième entreprend de décrire comment les pratiques d'arrestation de cette brigade correspondent à un style d'intervention « confrontationnel », caractérisé par la mise en avant de l'autorité policière et l'usage de la force (Maillard et Zagrodzi ; 2017). La troisième partie s'attache à décrire les types de pratiques déployées par cette brigade à l'occasion d'un interrogatoire visant à obtenir des aveux. La dernière partie entend montrer, à travers la constitution des PV, comment la BNPJ procède à une collecte orientée des faits incriminants lui permettant de produire une histoire judicaire cohérente.
      This article looks at the involvement of the Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ) in the judicial management of the Moroccan "Hirak" social movement. This protest movement developed in Morocco's Rif region, following the death of a fishmonger crushed by garbage truck compactor while trying to recover his fish goods confiscated by the authorities. The nascent movement denounced the socio-economic and political marginalization of the region and called for far-reaching reforms for the Rif's development. Accused of "undermining state security", the arrested activists, considered to be the movement's leaders, were sentenced to between 5 and 20 years in prison. Based on interviews with pardoned ex-detainees and lawyers, analysis of court documents, reports by the Equity and Reconciliation Commission (IER), and a press review of all media appearances by BNPJ directors, this article examines how this brigade repressed political dissent. As well as its strategy for fulfilling its principal mission of preserving internal security and maintaining political order, a mission it has been fulfilling since its creation. The political change initiated in Morocco by the consensual alternation of power and the establishment of the Equity and Reconciliation Commission (IER) has forced this brigade to reinvent itself. A look at the historical development of this brigade from the late 1990s to the present day shows how it has broadened its scope of intervention, moving from a brigade dealing only with cases linked to state security, mainly dealing with the files of left-wing political opponents, to a brigade including cases of national scope and falling within the scope of the fight against organized crime (terrorism, drug trafficking, etc.). This rearrangement in its structure and operation has enabled the brigade to professionalize its treatment of political cases, orienting its repressive strategy towards the collection of evidence leading to the criminalization of the protest movement. By describing the arrest and interrogation practices of Hirak activists, this article shows how the BNPJ has abandoned the old methods of enforced disappearance, torture and arbitrary detention, to make the law its weapon of repression. The argument I defend consists in showing how the BNPJ has changed its methods and strategy of repression, from a brigade whose mission was to dismantle clandestine left-wing political organizations through torture and secret detention, with the sole aim of gathering information leading to the location and tracking down of political activists in order to make them disappear, to a Brigade whose strategy of repression involved judicial action, conducting interrogations and drawing up reports aimed at collecting legal evidence that could be used during trials. My presentation is divided into four parts. The first shows how the BNPJ has evolved from a police force specializing solely in state security matters to a brigade with a much broader scope of intervention. The second undertakes to describe how the arrest practices of this brigade correspond to a "confrontational" style of intervention, characterized by the foregrounding of police authority and the use of force ( Maillard and Zagrodzi; 2017). The third part describes the types of practices deployed by this brigade during an interrogation aimed at obtaining a confession. The final section shows how the BNPJ collects incriminating facts in a targeted way, through the creation of PVs, to produce a coherent judicial history.
    • L'officier de police, le checkpoint et l'interrogatoire : les spatialités des performances sécuritaires dans le centre-ville du Caire - Laura Monfleur accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le renforcement de l'appareil sécuritaire constitue un des éléments de la reprise en main autoritaire dans l'Égypte post-révolution 2011. Analysée de manière institutionnelle dans des travaux en sociologie et sciences politiques, nous supposons que cette reprise en main peut être également étudiée par le bas, à l'échelle de la rue. Cet article propose d'analyser les pratiques des forces de l'ordre selon leurs spatialités dans le centre-ville du Caire. S'appuyant sur une sociologie interactionniste et une géographie attentive à la dimension sensible des espaces, ces spatialités sont reliées à la notion de performances sécuritaires. A travers cette notion, il s'agit de rendre compte de la manière dont les pratiques et dispositifs policiers s'approprient les espaces urbains, constitués alors comme des enjeux de la sécurisation et, en retour, construisent les espaces de la rue et de la place comme des espaces où un ordre spatial sécuritaire s'impose. Nous déplaçons également les analyses des pratiques policières souvent faites en contexte de contestations pour s'intéresser à la manière dont les performances sécuritaires se manifestent au quotidien. Elles contribuent certes à une anticipation des pratiques contestataires mais également à des contraintes pour les pratiques et perceptions quotidiennes des usagers et usagères des espaces urbains. Ces contraintes varient selon les espaces, les temporalités, le rôle des policiers et l'identité affichée ou assignée des citadins et des citadines. Sont ainsi analysées tour à tour trois dimensions spatiales de la police : la localisation des forces de l'ordre, les infrastructures matérielles qui occupent l'espace et permettent un filtrage des mobilités, les représentations spatiales des policiers. Les performances corporelles des policiers passent par leur uniforme, leur geste et leur posture qui les rendent visibles et contribuent à produire des comportements de méfiance et de soupçon de la part des usagers et usagères. Cependant ces performances corporelles varient selon le type des acteurs de la police, témoignant du fait que les acteurs de la sécurité rattachés au ministère de l'Intérieur ne sont pas un bloc monolithique. Les checkpoints produisent un paysage sécuritaire dont les perceptions varient entre tranquillité et familiarité d'un côté et insécurisation et incertitude de l'autre. Le premier type correspond principalement aux checkpoints devant les lieux de culte : les interactions quotidiennes sont plus importantes avec ces policiers, l'emprise spatiale de la présence policière est peu contraignante et n'est expérimentée que lorsqu'on se rend dans les lieux de culte, la raison de leur présence liée au risque terroriste paraît plus légitime. Le deuxième type correspond aux checkpoints autour des institutions politiques et lors des moments d'intensification sécuritaire pour empêcher les manifestations : la distance quotidienne est plus grande avec les policiers qui y sont présents, leur emprise spatiale contraint plus les mobilités et impose parfois des détours, leur rôle est jugé moins légitime et insécurisant. Ainsi, les contraintes liées aux performances sécuritaires varient selon leur rôle, les lieux et les temporalités. Enfin, des performances discursives se manifestent lors des interrogatoires menés par les policiers. Leur fréquence et issue dépendent de certaines caractéristiques des citadins et citadines. A une échelle plus large, cet article montre comment le contexte spatial et politique du centre-ville explique les performances sécuritaires : présence d'institutions à protéger, lieux historiques des contestations, projet d'attractivité touristique. En retour, les performances sécuritaires construisent le centre-ville du Caire comme étant une zone sensible où la présence des policiers, des checkpoints et la réalisation d'interrogatoires sont autant de rappels à l'ordre social, manière de dire à chacun sa place et de qui dispose du pouvoir coercitif mais également à un ordre spatial, manière de signifier à qui appartient le centre-ville.Cette recherche s'appuie sur différentes enquêtes de terrain menées au Caire en 2015 puis entre 2019 et 2021. Des observations des espaces urbains de Wast al-Balad ont permis de faire des relevés systématiques et de produire une cartographie des infrastructures de sécurité et des forces de l'ordre. Une soixantaine d'entretiens ont été conduits auprès de résidents et résidentes et d'usagers et usagères du centre-ville. Ces entretiens portant tout d'abord sur des pratiques quotidiennes – se déplacer, consommer, travailler, se détendre, rencontrer du monde – ont également été l'occasion de travailler sur la manière dont la police est perçue et de collecter des micro-récits sur des situations types avec les officiers de police.
      The strengthening of the security apparatus is one of the elements of the authoritarian takeover in post-revolutionary Egypt in 2011. Analyzed institutionally in works in sociology and political science, we assume that this takeover can also be analyzed from below, at street level. In this article, we propose to analyze the practices of the forces of law and order according to their spatialities in downtown Cairo. Drawing on interactionist sociology and a geography attentive to the sensorial dimension of spaces, these spatialities are linked to the notion of security performance. Through this notion, the aim is to account for the way in which police practices and devices appropriate urban spaces, which are then constituted as issues of securitization, and, in return, construct the spaces of the street and square as spaces where a security spatial order is imposed. We also shift the focus from analyses of police practices often carried out in the context of protests to the way in which security performance manifests itself on a daily basis. They certainly contribute to anticipating protest practices, but they also impose constraints on the everyday practices and perceptions of users of urban spaces. These constraints vary according to space, time, the role of the police and the identity displayed or assigned to city dwellers. Three spatial dimensions of policing are analyzed in turn: the location of law enforcement actors, the physical infrastructures that occupy space and filter mobility, and the spatial representations of police officers. The bodily performance of police officers is reflected in their uniforms, gestures and postures, which make them visible and contribute to the distrust and suspicion of users. However, these bodily performances vary according to the type of police actor, testifying to the fact that the security actors attached to the Ministry of the Interior are not a monolithic block. Checkpoints produce a security landscape whose perceptions vary between tranquility and familiarity on the one hand, and insecurity and uncertainty on the other. The first type corresponds mainly to checkpoints in front of places of worship: daily interaction is greater with these police officers, the spatial hold of the police presence is less constraining and is only experienced when visiting places of worship, the reason for their presence linked to the terrorist risk seems more legitimate. The second type corresponds to checkpoints around political institutions and at times of heightened security to prevent demonstrations: the daily distance is greater with the police officers present there, their spatial hold more restricts mobility and sometimes imposes detours, and their role is deemed less legitimate and insecure. Thus, the constraints linked to security performances vary according to their role, place and time. Finally, discursive performance is also a feature of police encounters. Their frequency and outcome depend on certain characteristics of city dwellers.On a broader scale, this article shows how the spatial and political context of the city center explains its security performance: the presence of institutions to be protected, historical sites of protests, a project to attract tourists. In turn, security performance constructs downtown Cairo as a sensitive zone where police presence, checkpoints and interrogations are all reminders of the social order, a way of telling everyone their place and who has coercive power, but also of a spatial order, a way of signifying to whom downtown belongs.This research is based on various field surveys conducted in Cairo in 2015 and then between 2019 and 2021. Observations of urban spaces in Wast al-Balad enabled systematic surveys to be carried out and a map of security infrastructures and law enforcement agencies to be produced. Around 60 interviews were conducted with residents and users of the town center. These interviews focused primarily on day-to-day practices - getting around, shopping, working, relaxing, meeting people - and also provided an opportunity to work on how the police are perceived and to collect micro-stories of typical situations with police officers.
    • Gardé·es à vue. Domination(s) et reconfigurations des rapports entre manifestant·es et policier·es pendant le hirak (2019-2021) - Lina Benchekor accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le début du mouvement contestataire en Algérie, plusieurs milliers de citoyen·es ont été confronté·es à la répression. Dans un régime autoritaire secoué par un mouvement social de grande ampleur, l'expérience vécue de la répression par les participant·es au hirak renseigne sur les rouages de l'appareil coercitif et sur les interactions qui se déploient entre forces de l'ordre et militant·es. Nous avons fait le choix ici d'étudier les rapports de violence et de négociation entre policier·es et manifestant·es en nous focalisant sur la garde à vue : ainsi, vingt-deux récits de participant·es au hirak réprimé·es dans la ville d'Oran entre 2019 et 2021 ont été recueillis pour analyser la violence d'État et ses effets sur les parcours d'engagement à travers une approche relationnelle de la répression. Les pratiques des forces de l'ordre vis-à-vis des manifestant·es peuvent prendre des formes différentes en fonction de leurs caractéristiques sociologiques : genre, classe sociale, âge, statut matrimonial, niveau d'éducation, etc. L'article donne à comprendre les expériences vécues, les représentations partagées de l'appareil sécuritaire et les conséquences biographiques de la confrontation à la violence répressive par des citoyen·nes primo-engagé·es dans le mouvement du hirak. Cette étude montre d'abord les spécificités de la répression à l'égard des corps féminins et la mise en vulnérabilité de personnes minoritaires. Nous montrons que les forces de l'ordre utilisent des informations relatives à la vie privée pour faire pression sur les catégories marginalisées telles que les femmes célibataires ou les minorités sexuelles. Dans ces cas, la garde à vue sert à l'intimidation et au découragement par la menace et la mise à nu des hirakistes. Mais certaines personnes ont davantage de capacités d'action et de réaction, et les ressources pour résister à la censure et aux pressions des forces de l'ordre. En effet, les militant·es aguerri·es et les jeunes hommes sont davantage habitués à la confrontation à la police qui relève d'une routine répressive. Cette habituation participe à la banalisation de la situation et de la violence qui en découle diminuant ainsi le coût de la répression. Cette recherche met en lumière les répertoires d'action des militants au sein des commissariats et les luttes qui émergent entre contestataires et corps de police autour de symboles disputés par les deux parties. De plus, les appartenances de classe des personnes arrêtées suscitent ce qui s'apparente à une lutte de classes entre militant·es et agent·es de police, les personnes arrêtées étant souvent issues des classes moyennes supérieures. Cependant, ces deux parties ne constituent pas deux blocs homogènes et ennemis. Les gardé·es à vue assistent parfois à des conflits internes à l'institution et sont témoins des concurrences entre les différents corps qui structurent la police. Les personnes réprimées peuvent également nouer des relations de solidarité et d'empathie avec des fonctionnaires de police sur la base de dispositions communes (le genre notamment). L'espace-temps de la garde à vue est ainsi traversé par un ensemble de rapports contradictoires entre violence, résistance et solidarité. Les émotions contrastées que suscitent la violence des arrestations et des interrogatoires ont des conséquences sur les dynamiques d'engagement et de désengagement, parfois même sur les autres sphères de vie pouvant constituer une véritable bifurcation biographique. Si certain·es manifestant·es ont mis fin à leur participation au mouvement à la suite d'une expérience répressive, le peu de recul dont nous disposons ne nous permet pas de conclure à un désengagement définitif. Dans un contexte de plus en plus autoritaire et répressif marqué par une forte démobilisation et un retrait des protestations de l'espace public, les personnes rencontrées se tournent vers d'autres modes d'action, notamment caritatifs, réorientant ainsi leurs engagements de manière informelle à travers des réseaux d'entraide et de solidarité.
      Since the beginning of the protest movement in Algeria, several thousand citizens have been confronted with repression. In an authoritarian regime shaken by a large-scale social movement, the hirak participants' experience of repression provides an insight into the workings of the coercive apparatus and the interactions that unfold between the forces of law and order and activists. We have chosen here to study the relationships of violence and negotiation between police and demonstrators, focusing on police custody: thus, twenty-two accounts of hirak participants repressed in the city of Oran between 2019 and 2021 have been collected to analyze state violence and its effects on paths of engagement through a relational approach to repression. The practices of the forces of law and order towards demonstrators can take different forms depending on their sociological characteristics: gender, social class, age, marital status, level of education, etc. This article seeks to understand the lived experiences, shared representations of the security apparatus and biographical consequences of confrontation with repressive violence by citizens first involved in the hirak movement. This study begins by showing the specific features of repression of women's bodies and the vulnerability of minority groups. We show that law enforcement agencies use information relating to private life to put pressure on marginalized categories such as single women or sexual minorities. In these cases, police custody is used to intimidate and discourage by threatening and exposing, literally and figuratively, hirakists. But some people have more capacity for action and reaction, and the resources to resist censorship and pressure from the forces of law and order. Indeed, seasoned activists and young men are more accustomed to confronting the police. This habituation helps to trivialize the situation and the violence it implies, thereby reducing the cost of repression. This research sheds light on activists' repertoires of action within police stations, and the struggles that emerge between protesters and the police over symbols disputed by both sides. In addition, the class allegiances of those arrested give rise to what appears to be a class struggle between activists and police officers, with those arrested often coming from the upper middle classes. However, these two parties do not constitute two homogenous, enemy blocs. Those in police custody sometimes witness internal conflicts and competition between the various bodies that make up the police force. Those in police custody may also form relationships of solidarity and empathy with police officers, based on shared dispositions (such as gender). The space-time of police custody is thus traversed by a set of contradictory relationships between violence, resistance, and solidarity. The contrasting emotions aroused by the violence of arrests and interrogations have consequences for the dynamics of engagement and disengagement, sometimes even for other spheres of life, and can constitute a veritable biographical bifurcation. While some demonstrators have ended their involvement in the movement following a repressive experience, the little hindsight we have does not allow us to conclude that their disengagement is definitive. In an increasingly authoritarian and repressive context marked by strong demobilization and a withdrawal of protests from the public arena, the people we met are turning to other modes of action, notably charitable ones, thus reorienting their commitments informally through mutual aid and solidarity networks.
    • Migration, race, and gender: the policing of subversive solidarity actors in Morocco - Sébastien Bachelet, Maria Hagan accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le contrôle policier des personnes migrantes racisées au Maroc et dans les pays du Maghreb, depuis les années 1990, s'avère violent. L'intimidation de celles et ceux qui soutiennent les personnes migrantes et cherchent à dénoncer la violation de leurs droits est devenue un volet important du contrôle aux frontières. Cet article s'intéresse au contrôle et à l'intimidation des acteurs engagés dans une « solidarité subversive » : défenseurs des droits de l'homme et militant.e.s engagé.e.s qui critiquent, publiquement ou de façon discrète, les politiques et pratiques de contrôle migratoire au Maroc. L'État considère ces formes de militantisme menaçantes, car elles rendent visible la brutalité du contrôle des personnes migrantes que l'État cherche à dissimuler. Les militant.e.s deviennent donc des objets de méfiance et de suspicion et subissent quotidiennement des actes d'intimidation et de criminalisation. S'appuyant sur des observations ethnographiques et des entretiens avec des personnes migrantes et des personnes engagées dans une forme de solidarité « subversive », cet article démontre que ces personnes solidaires - tout comme les personnes migrantes - sont différemment ciblées en fonction de leurs caractéristiques intersectionnelles. Les logiques de gouvernance racistes et genrées qui caractérisent la gestion de la migration aux frontières s'infiltrent dans la manière de gouverner ceux qui osent agir ou s'exprimer en faveur des droits des personnes migrantes. Des considérations de race et de genre influencent les comportements policiers, et ces comportements sont renforcés lorsque les personnes visées sont engagées dans des actions politiques ou des actes de solidarité considérés comme subversifs. Cette dynamique est renforcée par la persistance de hiérarchies raciales dans la société marocaine postcoloniale, qui porte à la fois l'héritage de l'esclavage des personnes racisées noires dans le pays et celui de la colonisation européenne. Dans un premier temps, cet article aborde la question de la différence raciale en démontrant les différentes façons dont les personnes solidaires sont contrôlées, selon qu'elles sont noires, marocaines ou blanches-européennes. Alors que les solidaires racisé.e.s noir.e.s sont souvent des personnes migrantes régularisées et installées au Maroc, le fait qu'ils et elles s'engagent dans des pratiques et discours de solidarité « subversive » les démarque comme étant des « hôtes ingrats » et les relègue à une position de vulnérabilité dans laquelle leur statut administratif est compromis. À l'opposé, les Européens blancs au Maroc ont tendance à bénéficier de privilèges et de libertés (notamment au sein de la bureaucratie). Celles et ceux qui s'engagent dans des actes de solidarité « subversifs » peuvent être victimes d'intimidation par l'État ou d'actes punitifs d'exclusion administrative du pays, mais en général (à quelques exceptions près) les conséquences sont moins brutales comparées aux expériences de leurs homologues noirs et marocains. Enfin, les Marocain.es qui s'engagent dans des actes de solidarité subversive sont perçu.es comme des « ennemis internes » de l'État, et sont hyperconscients qu'ils et elles pourraient faire l'objet de punition à tout moment. Dans un second temps, cet article s'intéresse au genre, qui joue également un rôle important dans la façon de contrôler les personnes solidaires et leur champ d'action. L'inégalité des sexes reste profondément enracinée au Maroc, et les normes sociales sont profondément genrées. L'activisme des femmes en particulier est considéré comme un comportement déviant, donnant lieu à un contrôle policier et social accru de leurs actes, tentant de modifier leur comportement. Alors que les hommes ont tendance à faire l'objet de menaces professionnelles pour les dissuader de leur activisme, les femmes font plutôt face à des formes d'intimidation qui ciblent leur famille ou leur vie intime.L'article insiste sur l'importance de prendre en compte les stratégies de contrôle des acteurs et actrices solidaires pour appréhender de façon plus large les stratégies de contrôle des personnes migrantes, et souligne que le maintien de l'ordre raciste et genré des personnes migrantes s'applique aussi au contrôle de ceux et celles qui les soutiennent. Nous concluons par une discussion des effets de ce maintien de l'ordre sur les acteurs, les actrices, et les réseaux solidaires « subversifs », notamment la création d'un sentiment général de peur qui entrave l'action individuelle et collective. La plupart des personnes solidaires interrogées avaient conscience des différences intersectionnelles qui influent sur la façon dont elles sont contrôlées. Nous appelons les personnes solidaires à mobiliser ces différences intersectionnelles et leurs expériences communes pour renforcer leur action sur les questions migratoires et leur capacité à résister à l'intimidation des autorités étatiques.
      The policing of racialised migrant people in Morocco and across the Maghreb has been violent since the 1990s. The intimidation of those who support migrant people and seek to denounce human rights abuses against them has become an important dimension of border control. This article investigates the policing of “subversive solidarity actors”: human rights defenders and activists who publicly or covertly engage in a critical stance on migration control policies and practices in Morocco. These forms of activism are considered a threat by the state because they make visible the brutality of migration governance and control in the country, which the state seeks to conceal. As objects of state mistrust and suspicion, solidarity actors experience everyday acts of intimidation and criminalisation. Drawing on ethnographic material and interviews with migrant people and subversive solidarity actors, this article demonstrates how these solidarity actors - much like migrant people themselves - are differentially targeted according to intersectional differences. Racist and gendered bordering logics characteristic of migration management seep into the differential policing of those who dare act or speak out in support of migrants' rights. Race and gender provoke particular policing behaviours which are reinforced when people engage in politics or acts of solidarity considered subversive. This is reinforced by the persistence of racial hierarchies of domination in post-colonial Morocco, which still bear the legacy of the active enslavement of Black people in the country and the legacy of the country's colonisation by Europeans. First, honing in on racial difference, the article sheds light on the differential policing of Black, Moroccan and white-European solidarity actors. While Black solidarity actors are often migrant people who have regularised their status and settled in Morocco, their decision to engage in subversive solidarity work marks them as “ungrateful guests” and relegates them to a position of vulnerability in which their administrative status is compromised. In contrast, white Europeans in Morocco tend to benefit from privileges and freedoms, including within the bureaucratic realm. Those engaging in subversive acts of solidarity may experience state intimidation or punitive acts of administrative exclusion from the country, however these usually (with some stark exceptions) amount to better treatment relative to the experiences of their Black and Moroccan counterparts. Finally, Moroccans engaging in subversive solidarity action are framed as “internal enemies” to the state and are hyper-aware that punitive action might be set in motion against them at any moment. Second, this article focuses on gender, which also plays an important role in determining the ways in which solidarity actors are policed and their scope of action. Gender inequalities remain deeply entrenched in Morocco and social norms profoundly gendered. Particularly for women, activism is considered deviant, giving rise to greater police and social scrutiny of their acts and attempts to govern their behaviour. While men tend to face professional threats as insidious punishment for their activism, attacks on women more often target their family or intimate life. This article emphasises the importance of taking the policing of solidarity actors into account to understand the policing of migration more broadly, stressing how the racist and gendered policing of migrant people bleeds into the disciplining of those who support them. We conclude with a discussion of how this policing impacts subversive solidarity actors and networks, by instilling fear and hindering (coordinated) action. While some interviewees demonstrated an awareness of both intersectional differences and overlapping experiences, we call for solidarity actors to mobilise these differences and experiences to strengthen their action on migration issues and their ability to withstand intimidation from state authorities.
  • Varia & Travaux en cours

    • Manière de dire et manière d'exercer la parenté en Kabylie. Pour une approche renouvelée du croisement genre et fait matrimonial - Mohand Anaris accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En anthropologie de la parenté, la notion d'« échange » est souvent sollicitée dans l'analyse du fait matrimonial. Systématisée par Claude Lévi-Strauss, celle-ci a été reprise par Pierre Bourdieu pour l'appliquer à l'analyse de ses données ethnographiques sur la Kabylie. En raison de la rareté de travaux proprement anthropologiques sur les questions de la parenté et du fait matrimonial en Kabylie, il n'y a pas eu une réévaluation de cette façon de concevoir le fait matrimonial en cette région. Cette contribution se propose, dans un premier temps, d'apporter une lecture critique d'une conception du mariage en termes d'échange et de partage de droits sur les femmes. L'exercice consiste à mettre en lumière les limites d'une théorie qui considère que les femmes ne peuvent apparaitre, dans le marché matrimonial, qu'en tant qu'objets ou symbole dont le sens est constitué en dehors d'elles (selon P. Bourdieu) ou comme le suprême cadeau, parmi ceux qui peuvent s'obtenir sous la forme de dons réciproques (selon C. Lévi-Strauss). L'analyse se propose d'élucider comment ces propositions concernent essentiellement la façon dont les individus de sexe masculin, les hommes, font et perçoivent la pratique matrimoniale. Or, de l'autre côté du miroir, il y a également d'autres logiques qui n'ont pas forcément pour pivot une vision exclusivement imprégnée par les valeurs masculines. Les femmes ont également leur façon de dire et d'exercer la parenté. Les logiques féminines et masculines peuvent alors se rejoindre, se compléter ou s'opposer mais, comme le souligne S. Dayan-Herzbrun, il faut distinguer les rituels et les codes, des pratiques effectives bien plus complexes comme il faut se mettre à l'écoute de ce que disent et font celles qui sont généralement catégorisées du côté des dominées. Le texte entend ainsi suggérer des pistes de réflexion qui intègrent la dimension genrée échappant à l'emprise des constructions logiques prégnantes qui parfois orientent le regard avant même qu'il n'ait vu. S'appuyant sur des matériaux qualitatifs recueillis lors d'une enquête de terrain, menée entre 2009 et 2016 dans le cadre d'une thèse en anthropologie, la réflexion suggère une intégration plus affirmée de la dimension du genre dans la lecture des faits relevant du champ de la parenté. Une des entrées privilégiées est d'interroger le champ lexical du « dire la parenté » en Kabylie. L'examen de la terminologie kabyle de la parenté révèle des résultats qui dissocient la parenté d'avec un système décrit comme « patrilinéaire » et « patriarcal ». Le vocabulaire est marqué par une matripolarité attestée et généralisable à toutes les langues du domaine berbère. À un autre niveau, l'analyse met en évidence les descriptions féminines des relations de parenté. Celles-ci font montre d'une lecture qui se réfère presque systématiquement et volontairement à des affiliations quasi-exclusivement féminines et matrifocales ; ego de référence est souvent un individu de sexe féminin. Ainsi, très couramment, les femmes emploient un discours gynocentré et matripolaire qui donne l'impression que tout se fait par et pour les femmes à la quasi-exclusion des hommes. Enfin, l'étude établie le rôle central et décisif que jouent les femmes dans les processus matrimoniaux. En conclusion, les éléments déclinés dans cet article montrent que les choix matrimoniaux sont souvent orientés en fonction de l'intérêt des groupes et/ou des individus de sexe féminin ou masculin concernés par la relation que crée chaque mariage. Ceci conforte l'affirmation de Bourdieu qui soutient à juste titre que la signification du mariage se lit dans la stratégie qui le porte au moment où elle est déployée. Cependant, la lecture anthropologique de ces stratégies peut être centrée sur la vision du monde des hommes et leur façon de voir et de présenter les faits conformément au code d'honneur qui régit la vie sociale. Mais à l'inverse, c'est-à-dire quand on se situe du point de vue d'égo féminin, la lecture et l'interprétation des relations de parenté révèlent des aspects que les propositions classiques dominantes ont longtemps empêché de voir.
      In the anthropology of kinship, the concept of "exchange" is frequently invoked in the analysis of matrimonial practices. Systematized by Claude Lévi-Strauss, this concept was adopted by Pierre Bourdieu to apply to the analysis of his ethnographic data on Kabylie. Due to the scarcity of anthropological studies specifically addressing issues of kinship and matrimonial practices in Kabylie, there has not been a reevaluation of this way of conceptualizing matrimonial practices in the region. This contribution aims to provide a critical examination of the notion of marriage in terms of exchange and the sharing of rights over women.The exercise involves highlighting the limitations of a theory that considers women to only appear in the matrimonial market as objects or symbols whose meaning is constituted outside of them (according to P. Bourdieu) or as the ultimate gift, among those that can be obtained through reciprocal gifts (according to C. Lévi-Strauss). The analysis seeks to elucidate how these propositions primarily concern the way in which male individuals, engage in and perceive matrimonial practices.However, on the other side of the mirror, there are also other logics that do not necessarily pivot around a vision imbued with masculine values. Women also have their way of expressing and practicing kinship. Feminine and masculine logics can then converge, complement, or oppose each other, but, as emphasized by S. Dayan-Herzbrun, it is necessary to distinguish between rituals and codes and the more complex effective practices. It is essential to listen to what those usually categorized as subordinate say and do.The text aims to suggest reflections that integrate the gender dimension, escaping the influence of prevalent logical constructions that sometimes direct the gaze before it has even seen. Drawing on qualitative materials collected during fieldwork conducted between 2009 and 2016 as part of an anthropology thesis, the reflection suggests a more assertive integration of the gender dimension in the interpretation of facts related to kinship.One privileged entry examines the lexical field of "expressing kinship" in Kabylie. The Kabyle's kinship terminology reveals results that dissociate kinship from a system described as "patrilineal" and "patriarchal". The vocabulary is marked by a matripolarity attested and generalizable to all languages in the Berber area. On another level, the analysis highlights female descriptions of kinship relations. These often demonstrate a reading that almost systematically and intentionally refers to quasi-exclusively female and matrifocal affiliations; the reference ego is often a female individual. Thus, women commonly employ a gynocentric and matrifocal discourse that gives the impression that everything is done by and for women, almost to the exclusion of men.Finally, the study establishes the central and decisive role played by women in matrimonial processes. In conclusion, the elements presented in this article show that matrimonial choices are often oriented based on the interests of groups and/or individuals of both female and male genders involved in each marriage. This reinforces Bourdieu's assertion that the meaning of marriage is read in the strategy that propels it at the moment it is deployed. However, the anthropological interpretation of these strategies can be centered on the worldview of men and their way of seeing and presenting facts in accordance with the code of honor that governs social life. Conversely, when viewed from the perspective of the female ego, the interpretation of kinship relations reveals aspects that dominant classical propositions have long prevented from being seen.
    • Interactions et transactions identitaires d'immigrés noirs dans l'espace public et les centres de santé au Maroc - Annélie Delescluse accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La société marocaine est divisée sur le sort réservé aux migrants originaires d'Afrique centrale et de l'Ouest (dit subsahariens) pour qui le royaume chérifien est un pays de résidence à moyen ou à long terme. D'un côté, des mobilisations de la société civile en leur faveur et le lancement d'une nouvelle politique migratoire qui a propulsé le Maroc comme leader sur la question de la migration sur le continent africain et à l'international. De l'autre côté, des violences socio-raciales rencontrées dans la rue et au sein des équipements publics en raison de leur précarité administrative, sociale et économique, et des attitudes de rejet de la part d'une partie de la population marocaine. Comment est-ce que les migrants dits subsahariens se découvrent Noirs au Maroc et comment régissent t'ils face à cette réalité ? Sous quelle forme la xénophobie s'exprime-t-elle dans les relations sociales et quels sont ses effets dans la vie quotidienne et dans les parcours migratoires ? Quelles sont les réactions des migrants face à ces réalités et comment contournent-ils les gestes dépréciatifs ? Cet article traite d'abord des aléas du quotidien et des processus d'altérisation raciale rencontrés dans la rue et dans les transports en commun. L'article aborde ensuite l'épineuse question des interactions médicales entre le personnel de santé marocain et les patients subsahariens qui disent être victimes de racisme dans les soins. Nous verrons que la domination ressentie par ces derniers face au personnel médical, et face à la population marocaine de façon plus générale, déclenche et entretient également un ensemble de comportements crispés et de refus qui conduisent à des situations périlleuses, notamment lorsqu'ils abandonnent les soins prescrits au Maroc et rentrent dans leurs pays d'origine. L'article propose enfin d'examiner trois types de réactions possibles face à ces processus d'altérisation, la victimisation, le retournement du stigmate ou la racialisation en retour. À travers ces réactions, nous verrons que les immigrés africains au Maroc font preuve d'agentivité pour faire face aux différents aléas de leur quotidien même s'ils incorporent l'idée de race auxquels ils sont renvoyés. Les tactiques déployées permettent de réaliser des transactions ou des négociations afin de lutter face à leur identité qui est d'abord porteuse de différents stigmates. L'article se base sur une enquête ethnographique principalement réalisée à Rabat entre 2016 et 2020 durant laquelle j'ai suivi la vie quotidienne et ordinaire d'une cinquantaine d'hommes et de femmes originaires d'Afrique de l'Ouest (Côte d'Ivoire n= 28, Sénégal n= 17) et d'Afrique centrale (Cameroun n=7 République Démocratique du Congo et Congo, n=4), âgés de 25 à 35 ans. Arrivés au Maroc entre 2012 et 2014 (les trois quarts, par les aéroports), leurs profils (sportifs, pèlerins, commerçants, aventuriers…), motivations et statuts administratifs sont hétérogènes. Au moment de l'enquête, ils travaillent aux marges du salariat (BTP, lavage-auto, travail domestique, salariat agricole, commerce, cordonnerie) ou dans des centres d'appels de Rabat ou de Casablanca.
      Moroccan society is divided over the fate of migrants from Central and West Africa (known as sub-Saharans) for whom the Cherifian Kingdom is a medium or long-term country of residence. On the one hand, civil society mobilised on their behalf and a new migration policy was launched, propelling Morocco to the forefront of migration issues on the African continent and internationally. On the other hand, they experience socio-racial violence on the streets and in public facilities because of their precarious administrative, social and economic situation, and attitudes of rejection on the part of part of the Moroccan population. How do so-called sub-Saharan migrants discover that they are black in Morocco, and how do they deal with this reality? What form does xenophobia take in social relations, and what effects does it have on daily life and migration routes? How do migrants react to these realities, and how do they get round the depreciatory gestures? This article first looks at the vagaries of everyday life and the processes of racial otherness encountered in the street and on public transport. The article then looks at the thorny issue of medical interactions between Moroccan healthcare staff and sub-Saharan patients who claim to be victims of racism in healthcare. We will see that the domination felt by the latter towards medical staff, and towards the Moroccan population more generally, also triggers and sustains a set of tense behaviours and refusals that lead to perilous situations, particularly when they abandon the care prescribed in Morocco and return to their countries of origin. Finally, the article looks at three possible reactions to these processes of othering: victimisation, the reversal of stigma and racialisation in return. Through these reactions, we will see that African immigrants in Morocco demonstrate agentivity in coping with the various hazards of their daily lives, even if they incorporate the idea of race to which they are referred. The tactics they use enable them to carry out transactions or negotiations in order to deal with their identity, which is primarily the bearer of various stigmas. The article is based on an ethnographic study carried out mainly in Rabat between 2016 and 2020, during which I followed the daily and ordinary lives of around fifty men and women from West Africa (Côte d'Ivoire n= 28, Senegal n= 17) and Central Africa (Cameroon n=7 Democratic Republic of Congo and Congo, n=4), aged between 25 and 35. They arrived in Morocco between 2012 and 2014 (three quarters of them via the airports), and their profiles (sportsmen and women, pilgrims, traders, adventurers, etc.), motivations and administrative status were varied. At the time of the survey, they were working on the fringes of the salaried sector (building and civil engineering, car washing, domestic work, agricultural work, commerce, shoemaking) or in call centres in Rabat or Casablanca
  • Enjeux et débats

    • Maghreb
      • Le premier Salon des sciences sociales à Oran : la force de l'utopie créatrice - Mohamed Mebtoul accès libre
      • « Tunis, capitale des sciences humaines et sociales » - Kmar Bendana, Choukri Hmed, Antoine Perrier, Éric Vallet accès libre
      • Des migrants « pas comme les autres ». Ambivalence des représentations sociales des migrants marocains et subsahariens aux îles Canaries - Andrea Gallinal Arias accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Depuis 2020, les îles Canaries font face à une augmentation significative des arrivées irrégulières de migrants en provenance du continent africain. Cette situation a fait émerger des discours sur les migrants, avec des attitudes variables envers les différentes catégories de population selon leurs origines. L'article se penche sur l'analyse des représentations sociales associées aux migrants marocains et subsahariens, les deux principaux groupes arrivant dans l'archipel par la route migratoire atlantique. À travers l'analyse d'un corpus composé d'entretiens, d'articles de presse et commentaires en ligne, l'article présente les discours qui circulent dans la société canarienne à l'égard des migrants et identifie les différents types d'arguments qui les portent. Le corpus, traité à l'aide du logiciel de textométrie TXM, est analysé à la lumière du modèle CARIN de « welfare deservingness » qui permet évaluer le degré de légitimité accordé à chacun des deux groupes en ce qui concerne leur accueil et leur accès aux différents services sociaux. L'article avance l'idée que la représentation sociale des migrants marocains dans la société canarienne, plus négative que celle associée aux migrants subsahariens, est informée par les réalités symboliques préexistantes dans l'archipel liées aux relations historiques et diplomatiques avec le Maroc. Enfin, la réaction de rejet exprimée par une partie de la société canarienne est renforcée par une « gestion de crise » du phénomène migratoire.
        Since 2020, the Canary Islands have seen a significant increase in irregular arrivals of migrants from the African continent. This situation has given rise to a number of discourses regarding the migrant population, with varying attitudes towards different categories depending on their origins. This article examines the social representations associated with Moroccan and sub-Saharan migrants, the two main groups arriving in the archipelago via this Atlantic migratory route. Through an analysis of a corpus consisting of interviews, press articles and online comments, the article presents the discourses that circulate in Canarian society with regard to migrants and identifies the different types of arguments that justify them. The corpus, processed using textometry software TXM, is analyzed using the CARIN model of welfare deservingness, which makes it possible to assess the degree of legitimacy accorded to each of the two groups with regard to their reception and access to the various social services. The article puts forward the idea that the social representation of Moroccan migrants in Canarian society, which is more negative than that associated with sub-Saharan migrants, is informed by pre-existing symbolic realities in the archipelago linked to historical and diplomatic relations with Morocco. Finally, the reaction of rejection expressed by part of Canary Island society is reinforced by a “crisis management” of the migration phenomenon.
    • Algérie
      • Engagements étudiants en Algérie post-22 février. Sociohistoire d'un mouvement « désenchanté » - Siham Beddoubia accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Dès le déclenchement du hirak, les étudiants algériens se mobilisent à travers le territoire national : en effet, le premier mardi qui suit le 22 février, les étudiants sont les premiers à sortir dans la rue pour soutenir les revendications. Ainsi, naît une tradition appelée « les mardis des étudiants », qui traduit le début de la structuration du hirak à travers diverses catégories militantes réclamant la fin du régime en place. Ces étudiants, qu'ils soient intégrés au sein des organisations estudiantines déjà existantes ou non, participent massivement durant les premiers mois du hirak aux marches du mardi ainsi qu'à celles du vendredi. Ils mettent en avant les mêmes revendications populaires des « vendredistes ». Ces étudiants scandent des slogans antisystème, organisent des grèves et rejettent plusieurs initiatives de sortie de crise initiées par le pouvoir. Ce mouvement dans sa structuration apparaît comme intimement lié à des luttes antérieures au 22 février et semble se positionner dans la continuité des questions qui n'ont pas été tranchées, comme celles, déjà, de 2011 dans le contexte des révolutions arabes, mais aussi bien avant (rejet du système licence-master-doctorat dit LMD, autonomie étudiante, changement de régime…). Ce texte revient sur l'engagement des étudiants dans le hirak à partir du 22 février 2019, avec un focus sur le Rassemblement des étudiants libre d'Oran. La volonté première est de dépasser les analyses euphoriques centrées sur l'aspect massif des marches étudiantes porteuses d'espoir, et qui ont été mises en avant par plusieurs observateurs du hirak étudiant. Il s'agit de tenter de comprendre les tenants et aboutissants de ce mouvement par le bas. En effet, l'affaiblissement du mouvement sous le coup de la répression déjà dans le contexte pré et post-élection du 12/12 puis par les restrictions de regroupements dus à la pandémie du coronavirus interrogent sur les effets de continuité/discontinuité et de mobilisation/démobilisation au sein du hirak étudiant.Une observation continue des marches et des discussions poussées avec plusieurs acteurs du mouvement font ressortir plusieurs constats. Ce texte met en évidence deux temps du hirak étudiant. Un premier, où l'histoire nationale a été un élément rassembleur : les étudiants semblent vouloir participer à l'écriture du roman national ; ils puisent ainsi dans la rhétorique des mémoires et de l'histoire à travers des slogans, des chants liés au mouvement national et des symboles de la guerre de libération nationale. Ainsi, on assiste à une réelle volonté de réinvestir le champ des luttes et de redynamiser les revendications autour de la question démocratique. Le second temps, lui, est plus complexe, car le hirak de manière générale impose très rapidement la nécessité du dialogue et les premiers clivages émergent autour de la question de la représentation, mais aussi sur le dilemme idéologique. En effet plusieurs courants se disputent au sein de ce mouvement. Les étudiants sont ainsi amenés à questionner leurs appartenances idéologiques (islamiste, « pagsiste », extrême gauche, proche du pouvoir). Pour beaucoup d'entre eux, leur socialisation familiale explique leur disponibilité biographique, notamment à travers une représentation de l'histoire de l'Algérie différente d'une histoire officielle ayant tendance à occulter certaines composantes du Mouvement national. La cohésion première autour d'un répertoire symbolique national est ainsi confrontée aux clivages idéologiques et politiques antérieurs au 22 février dans lesquels les étudiants peinent à trouver leur place ou du moins semblent désenchantés par la situation globale. Il reste à réfléchir sur leurs devenirs militants…
        As soon as the hirak broke out, Algerian students have been mobilizing across the country: on the first Tuesday after 22 February, students were the first to take to the streets in support of the hirak's claims. This gave rise to a tradition known as "Student Tuesdays", which marked the beginning of the structuring of the hirak through various categories of activists calling for an end to the current regime. During the first months of the hirak, these students, whether or not they were members of existing student organisations, actively participated in the Tuesday and Friday marches. They put forward the same popular demands as the "Friday protesters". These students chanted anti-system slogans, organised strikes and rejected several of the government's initiatives to end the crisis. The structure of this movement appears to be closely linked to struggles that predate 22 February, and it seems to be following on from issues that have not yet been resolved, such as those of 2011 in the context of the Arab revolutions, but also much earlier (rejection of the LMD system, student autonomy, regime change, etc.). This text looks back at the involvement of students in the hirak from 22 February 2019, with a focus on the Rassemblement des étudiants libres d'Oran. The primary aim is to go beyond the euphoric analyses focused on the massive scale of the hopeful student marches, which have been put forward by several observers of the student hirak. We need to try and understand the ins and outs of this movement from below. The weakening of the movement as a result of repression in the pre- and post-election context of 12/12 and the restrictions on gatherings due to the coronavirus pandemic raise questions about the effects of continuity/discontinuity and mobilisation/demobilisation within the student hirak.Continuous observation of the marches and in-depth discussions with several of the movement's protagonists have highlighted a number of observations. This text highlights two phases of the student hirak. Firstly, national history was a unifying element: the students seemed to want to take part in writing the national novel; they drew on the rhetoric of memories and history through slogans, songs linked to the national movement and symbols of the war of national liberation. In this way, there was a real desire to reinvest the field of struggle and revitalise demands around the issue of democracy. The second phase was more complex, because the hirak in general very quickly imposed the need for dialogue and the first divisions emerged around the issue of representation, but also on the ideological dilemma. Indeed, several currents of thought were at odds within the movement. The students were led to question their ideological affiliations (Islamist, “pagsiste”, far left, close to the government). For many of them, their family socialisation explains their biographical availability, particularly through a presentation of the history of Algeria that differs from an official history that tends to obscure certain components of the National Movement. The initial cohesion around a national symbolic repertoire is thus confronted with the ideological and political cleavages that existed before 22 February, in which the students struggle to find their place, or at least seem disenchanted by the overall situation. We still have to think about their future as activists...
      • Les mécanismes législatifs de l'autoritarisme algérien face au hirak : entre répression de la mobilisation et prévention de toute organisation du mouvement - Massensen Cherbi accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Depuis le mois de juin 2019 le hirak algérien a connu une répression judiciaire qui a permis de mettre un terme à son expression publique en mai et juin 2021. Pour réprimer la mobilisation de ce mouvement pacifique et en prévenir toute organisation, les autorités bénéficiaient déjà d'un large éventail de dispositions répressives et restrictives des droits et libertés, héritées de l'époque coloniale, de celle du parti unique, de la Décennie noire et de la prévention des Printemps arabes. Pour répondre aux spécificités du hirak, cet arsenal fut renforcé, dès le confinement consécutif à la pandémie de la Covid-19, par la promulgation de nouvelles lois visant le « délit de solidarité passive », le discours de haine ou encore les « fake news ». L'ordonnance n° 21-08 du 8 juin 2021 est depuis venue criminaliser plus largement et sévèrement les revendications du mouvement, en étendant la qualification d'acte terroriste et de sabotage au fait « d'œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » (C. pén., art. 87 bis, al. 14).
        Since June 2019, the Algerian hirak has been subjected to a judicial crackdown that has put an end to its public action since May-June 2021. To repress the mobilization of this peaceful “Movement” and prevent its structuration, the authorities already had at their disposal a wide range of repressive provisions restricting rights and freedoms – a legacy of the colonial era, the single party, the Black Decade and the containment of the Arab Springs. To respond to the specificities of the hirak, this arsenal was reinforced, as soon the confinement that followed the outbreak of the Covid-19 pandemic was announced, with the promulgation of new laws targeting “passive solidarity crime” and discourse of hatred or “fake news”. In addition, Ordinance No. 21-08 of 8 June 2021 more broadly and severely criminalized the demands of the movement, extending the qualification of terrorist act and sabotage to the fact of “striving or inciting, by any means, to access power or change the system of governance by non-constitutional means” (Penal Code, art. 87 bis, para. 14).
    • Maroc
      • Evolving consensus around Moroccan-Israeli normalisation: a political space analysis - Alfonso Casani, Francesco Colin accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        L'adhésion du Maroc aux accords d'Abraham en décembre 2020 a représenté un changement dans la position diplomatique du pays vis-à-vis de la cause palestinienne. Fait remarquable, ce changement a remis en question le consensus politique accepté sur cette question, obligeant les acteurs à se repositionner et ouvrant des espaces possibles pour des contre-récits. Ce faisant, il a également provoqué de vastes mobilisations sociales, avec la participation transversale de larges secteurs de la société marocaine. Cette contribution examine les conséquences de l'évolution du consensus autour de la question palestinienne à travers le cadre analytique des espaces politiques, compris comme des arènes de conflit et de coopération au sein desquelles se négocie un consensus. L'article soutient que cette rupture du consensus a créé un nouveau clivage dans la société marocaine. D'une part, la plupart des partis politiques ont accepté ce tournant dans la position diplomatique du Maroc, se faisant l'écho des avantages diplomatiques et économiques résultant de ce changement. D'autre part, cette décision a revitalisé les défenseurs de la cause palestinienne, principalement rassemblés autour du « Front national de soutien à la Palestine et contre la normalisation ». In fine, cet article offre un aperçu de la manière dont l'État et la société façonnent le consensus politique, ainsi que de la manière dont ils interagissent et rivalisent pour imposer leur récit.
        Morocco's accession to the Abraham Accords in December 2020 represented a shift in the country's long-standing diplomatic position regarding the Palestinian cause. Remarkably, this shift challenged the accepted political consensus on this issue, forcing a repositioning of actors and opening possible spaces for counter-narratives. In doing so, it also provoked wide social mobilizations, which included the transversal participation of broad sectors of Morocco's society. This contribution looks at the consequences of the shifting consensus on Palestine through the analytical framework of political spaces, understood as arenas of conflict and cooperation for the negotiation of consensus. The paper argues that this rupture of the accepted consensus created a new cleavage in Morocco's society. On one hand, most political parties accepted this turning point in Morocco's diplomatic position, echoing the diplomatic and economic benefits resulting from this change. On the other, this decision revitalized the advocates for the Palestinian cause, mainly gathered around the “National Front in Support of Palestine and Against Normalization”. Ultimately, this paper offers insights on the way in which state and society shape political consensus, as well as on the ways in which they interact and compete to impose their narrative.
    • Tunisie
      • Kais Saied's reconfiguration of Tunisia's political system: Hegemonic ambitions to no avail? – A critical approach - Julius Dihstelhoff, Mounir Mrad accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Le présent article examine le système politique contemporain de la Tunisie sous le régime du président Kais Saied, qui vise à "reconfigurer l'État" depuis le 25 juillet 2021. S'appuyant sur les perspectives théoriques de deux penseurs disparates, le marxiste italien Antonio Gramsci et le constitutionnaliste allemand Carl Schmitt, les auteurs cherchent à examiner la genèse des mesures mises en œuvre par Saied. L'article examine comment la restructuration du système politique tunisien par Saied peut être expliquée en s'appuyant sur les propositions conceptuelles de "souveraineté hégémonique" de Kalyvas (2020) et de "dictature sans hégémonie" de Gramsci (Gramsci, 1971), cette dernière représentant une crise hégémonique persistante. Les auteurs contextualisent leur étude en examinant la "crise hégémonique" de longue durée en Tunisie (Schwarzmantel, 2015) et son exacerbation depuis la "révolution tunisienne". Ils soutiennent qu'un point culminant et une expression préliminaire de cette "crise hégémonique" peuvent être perçus comme le momentum schmittien d'une "dictature souveraine" (Schmitt, 1921-23/1928 ), et ce dernier devrait être particulièrement considéré en conjonction avec une perspective historique à long terme sur la crise hégémonique pour évaluer l'accession au pouvoir de Saied. Ils explorent ainsi les processus de formation ou d'échec hégémonique en Tunisie à la suite de la révolution de 2010/2011, tout en soulignant les défis sociaux et économiques associés à l'instauration d'un nouvel ordre politique. Comme base empirique pour cet article, les auteurs utilisent une série de sources, y compris des publications académiques récentes, des décrets gouvernementaux, divers rapports de médias, et des discours et des entretiens avec Saied après son accession au pouvoir, pour étayer leur analyse documentaire.
        The present article scrutinizes Tunisia's contemporary political system under the regime of President Kais Saied, who has been endeavoring to ‘reconfigurate the state' since July 25, 2021. Drawing upon the theoretical perspectives of two disparate thinkers, the Italian Marxist Antonio Gramsci and the German constitutionalist Carl Schmitt, the authors seek to investigate the genesis of Saied's implemented measures. The article examines how Saied's restructuring of Tunisia's political system can be explained by drawing upon the conceptual proposals of «hegemonic sovereignty» by Kalyvas (2020) and Gramsci's «dictatorship without hegemony» (Gramsci, 1971), the latter representing a sustained hegemonic crisis. The authors contextualize their study by examining Tunisia's longstanding «hegemonic crisis» (Schwarzmantel, 2015) and its exacerbation since the ‘Tunisian revolution'. They argue that a preliminary culmination and expression of this 'hegemonic crisis' can be perceived as the Schmittian momentum of a «sovereign dictatorship» (Schmitt, 1921-23/1928), and the latter should be especially considered in conjunction with a historical long-term perspective on hegemonic crisis to assess Saied's assumption of power. They thereby explore the processes of hegemonic formation or failure in Tunisia following the 2010/2011 revolution, while highlighting the associated social and economic challenges of instituting a new political order. As empirical basis for this article, the authors utilize a range of sources, including recent academic publications, governmental decrees, diverse media reports, and speeches of and interviews with Saied subsequent to his assumption of power, to support their document analysis.