Contenu du sommaire : Mobilisations et grèves enseignantes
Revue | Education et sociétés |
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Numéro | no 20, 2007 |
Titre du numéro | Mobilisations et grèves enseignantes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Mobilisations et grèves enseignantes
- Pour une approche sociohistorique de la grève enseignante - André D. Robert, Jeffrey Tyssens p. 5-17 Ce dossier interroge d'abord la grève comme “phénomène de civilisation”. Il est centré sur les caractéristiques de la grève lorsqu'elle est conduite par des enseignants, groupe professionnel dont l'identité se structure autour d'une idéologie du service à autrui (Weber). Sous les diverses modalités où elle se manifeste au cours de l'histoire du XXe siècle dans plusieurs parties du monde, la cessation ou la modification de l'activité introduit une tension au sein de l'identité professionnelle : l'idéologie du service contribue autant à légitimer (faire grève, c'est vouloir obtenir de meilleures conditions, au nom de l'intérêt supérieur des élèves et de la société tout entière) qu'à délégitimer (faire grève, c'est altérer plus ou moins gravement le service) l'action gréviste.This issue first questions the strike as a civilization phenomenon. It focuses on what characterizes a strike when it is decided by teachers, a professional group whose identity and ideology is structured around the service to others (Weber). According to the various modalities over the XXth century in several parts of the world, putting an end to a strike or modifying its organization caused tensions among teachers: the ideology of service contributes equally to legitimizing (going on strike means struggling for better conditions in the superior interest of students and society as a whole) and to delegitimizing striking movements.
- Le syndicalisme enseignant du primaire et la grève en France : une difficile appropriation (1905-1934) - Loïc Le Bars p. 19-29 De 1905 à la Première Guerre mondiale, la phalange des pionniers du syndicalisme dans l'enseignement primaire, influencée par le syndicalisme révolutionnaire, n'envisage pas de faire grève pour défendre des revendications corporatives et ne pense pas pouvoir participer à une éventuelle grève générale dont ils se déclarent pourtant partisans. Après la guerre, les instituteurs commencent à reconsidérer la question. L'exemple d'autres catégories de salariés de l'État, la dégradation de leurs conditions de vie et le sentiment d'être devenus des fonctionnaires presque comme les autres, la syndicalisation des amicales et la création du Syndicat national des instituteurs (SN) : autant de facteurs qui permettent de comprendre pourquoi le principe d'un recours à la grève est adopté par leurs organisations syndicales. Sa mise en pratique se révèle plus difficile que prévu. Cependant, la participation massive des instituteurs à la grève générale du 12 février 1934 prouve que le syndicalisme enseignant s'est alors pleinement approprié un moyen d'action qui lui est pourtant encore légalement interdit.From 1905 to WWI, the group of unionist pioneers in primary education, which was influenced by revolutionary unionism, did not consider striking to defend corporative claims and did not believe they could take part in a general strike despite their support of it. After the War, primary school teachers started reconsidering the question. The example of other State employees, the deterioration of their living conditions, the feeling they had become almost ordinary civil servants, the unionization of clubs and the creation of the “Syndicat national des instituteurs” (the national union of primary school teachers) were as many factors which help understand why the principle of striking was adopted by their unions. Its implementation proved more difficult than expected. However, the massive participation of primary school teachers in the general strike of Februay 12, 1934 bears evidence that teacher unionism fully adopted a means of action still illegal for them.
- Grève et laïcité en France au début des années 1980 - Bruno Poucet p. 31-45 En France dans les années 1980, le syndicalisme dans l'enseignement public est regroupé autour de la FEN et ses deux syndicats principaux, le SNI et le SNES. Structurés par la laïcité et la question scolaire, ils ont peu à peu appris à faire avec la culture de grève, héritée du syndicalisme ouvrier de la CGT. Le syndicalisme enseignant existe aussi dans une confédération d'employés, d'ouvriers et de cadres où la grève a été progressivement acceptée : la CFDT. Celle-ci comprend également deux organisations, l'une regroupant les enseignants du public (le SGEN), l'autre ceux du privé (la FEP), laissés de côté par la FEN. L'article traite ainsi de la manière dont la question de la grève est venue ou non interférer dans l'action de ces quatre organisations, à un moment de leur histoire : celui où la question scolaire semblait pouvoir politiquement aboutir, entre 1981 et 1984.Unionism in the French public education sector in the 1980s hinged on the FEN (the federation of State education) and its two main sub-unions, SNI (national independent union) and SNES (national union for secondary education). They gradually learnt to develop a strike culture, a legacy of working-class unionism. Teacher unionism is also present at CFDT, a confederation of employees, blue-collar workers and executives where striking was gradually accepted. The latter comprises two organizations: one for public school teachers (SGEN), the other for private school teachers (FEP). The paper addresses how and whether the strike question has come to interfere in the activity of these four organizations at a time (from 1981 to 1984) when the school issue could apparently find a political outlet.
- La Grève générale et illimitée des instituteurs à l'Île de La Réunion en 1953 - Raoul Lucas p. 47-59 L'École dans une colonie occupe une fonction particulière : stabiliser l'ordre colonial et garantir sa reproduction. La départementalisation en 1946 des “quatre vieilles colonies” –Martinique et Guadeloupe dans la Caraïbe, Guyane en Amérique latine et La Réunion dans l'Océan Indien– est l'aboutissement de ce processus, interne à la société coloniale, mais qui rencontre l'universalisme français sous sa forme assimilationniste. Recourir à la départementalisation pour détruire la colonisation est une entreprise inédite dans l'histoire coloniale. Elle se fonde sur un pari, fournir aux vieilles colonies les bases d'une sécurité sanitaire, économique et culturelle hors desquelles il n'y aurait point de projet possible. Aussi, en voulant imposer aux fonctionnaires des départements d'Outre-Mer un statut différent selon leur origine –locale ou métropolitaine–, les autorités gouvernementales provoquent par son ampleur, sa durée et sa mobilisation un mouvement d'opposition jusqu'alors inconnu outre-mer. Cette grève générale est étudiée ici à l'île de La Réunion et interrogée à partir des dynamiques enseignantes –identité professionnelle, syndicalisation...– et des logiques politiques et sociales à l'œuvre dans la société qui se met en place.Schooling occupies a particular function in a colony: stabilizing the colonial order and guaranteeing its reproduction. In 1946 the division of the four old colonies – Martinique and Guadeloupe in the Caribbean, French Guiana in Latin America and the Réunion Island in the Indian Ocean – into four “départements” marked the end of this process internal to the colonial society. Resorting to such division was a new enterprise in colonial history. This project was based on providing former colonies with sanitary, economic, and cultural foundations. French public authorities, who were willing to impose a different status according to their origins – local or metropolitan – on the civil servants of overseas “départements”, brought about an opposition movement whose length, scope and mobilization had been unknown overseas until then. This general strike is studied and interrogated from the teacher perspective (professional identity, unionization) and the social, political dynamics at work.
- Comparer deux grèves prolongées d'enseignants : Belgique francophone 1996, France 2003 - André D. Robert, Jeffrey Tyssens p. 61-73 Les grèves enseignantes de Belgique francophone de janvier à mai 1996 et de France au printemps 2003 présentent des similitudes : longue durée, recherche de formes d'action renouvelées, redéfinition de la place des organisations syndicales dans le mouvement revendicatif au profit de collectifs prétendant mieux exprimer la base, climat de radicalité, retentissement dans l'opinion, échec final. Les auteurs analysent ces similitudes, ainsi que les différences inévitables, en se plaçant du point de vue de la problématique du projet professionnel et de l'idéologie du service propres à cette catégorie de salariés. Ils mettent au jour les tensions, voire les contradictions, internes au groupe, que les choix de contenus donnés à la grève ne font qu'exacerber, principalement lorsqu'il s'agit de recourir (ou non) à la grève des examens.Teacher strikes in French-speaking Belgium from January to May 1996 and in France in spring 2003 are similar in several ways: they were long, action modes were renewed, the place of unions was redefined to the benefit of collectives meant to better represent the grass roots, the atmosphere was radical, they received wide media coverage and they eventually failed. The authors analyze both similarities and differences from the perspective of the professional project and the service proper to this category of wage-earners. They highlight internal tensions and contradictions that the reasons for the strike and its content only make more acute.
- Pour une approche sociohistorique de la grève enseignante - André D. Robert, Jeffrey Tyssens p. 5-17
Dossier : Mobilisations et grèves enseignantes - Rencontres avec les sociologies d'autres espaces linguistiques
- Les enseignants peuvent-ils faire grève ? : Trente ans d'hésitations au Brésil (1950-1979) - Rosario Genta Lugli p. 75-86 Cet article analyse les débats sur la décision de faire ou non grève, qui ont eu lieu parmi les associations d'enseignants élémentaires dans les États de Bahia, São Paulo et Minas Gerais entre 1950 et 1979. Au cours de cette période, les représentations de leur travail par les enseignants ont connu de profonds changements, dus à l'incorporation de nouvelles valeurs professionnelles à la place du modèle antérieur, celui de la vocation, de la mission quasi religieuse. Ces nouvelles valeurs ont émergé à partir du développement des connaissances pédagogiques, des technologies et des nouvelles méthodologies éducatives, scientifiquement validées, privilégiant une formation spécialisée sur la seule durée de l'expérience. Dans une conjoncture de difficultés salariales importantes, ces changements dans les représentations ont eu des conséquences sur les conceptions syndicales, les revendications et la justification du recours à la grève, inconcevable dans l'ancien modèle et pour les dirigeants traditionalistes des associations.This paper analyzes the debates around the decision to go on strike or not among Brazilian primary school teachers' associations in the states of Bahia, São Paulo and Minas Gerais between 1950 and 1979. Over this period of time teacher representations of their work witnessed significant changes, due to the rise of new professional values instead of the previous model based on a calling, a “religious” mission. These new scientifically-approved values emerged from the development of pedagogical knowledge, technologies and new teaching methodologies and favored specialized training over mere experience. In a context of low teacher pay, these changes in representations influenced how they considered unionism, made claims and justified strike movements.
- Les enseignants, le militantisme et la grève au Canada (XIXe-XXe siècles) - Harry Smaller p. 87-102 Aux XIXe et XXe siècles, comme leurs homologues d'autres pays, les enseignants canadiens se sont engagés dans l'activité militante. Dans chaque province ou presque, ils sont sortis de leurs salles de classe et ont rendu public leur engagement en vue d'améliorer leurs salaires, leurs avantages et leurs conditions de travail. Quelques grèves ont duré un jour ou deux, impliquant un petit nombre d'écoles, tandis que d'autres se sont prolongées sur plusieurs mois, entraînant des milliers d'enseignants.De manière non exhaustive, cet article présente une brève histoire du militantisme et des grèves des enseignants au Canada, en relation avec les changements et les différences entre les systèmes éducatifs des États. Ensuite, il examine quelques-unes des raisons pour lesquelles les enseignants tantôt se sont lancés dans le militantisme, tantôt l'ont refusé. Une des hypothèses est que le déficit de militantisme tient à des questions d'identité individuelle et collective et au rôle d'une certaine professionnalisation. L'histoire des systèmes éducatifs canadiens comprend, de la part des autorités officielles, un projet appuyé de promotion d'une idéologie professionnaliste qui a beaucoup joué contre le militantisme enseignant.Over the XIXth and XXth centuries, teachers in Canada like their counterparts in many other nations have engaged in activism. In virtually every province they left their classrooms and made their commitment to improving their salaries, benefits and working conditions public. Some strikes lasted for only a day or two with only a few schools involved, while others lasted for several months and engaged thousands of teachers. This paper will first provide a very brief history of teacher activism and strikes in Canada and relate them to the changes and differences between Canadian educational systems. Then some of the reasons why teachers engaged in activism or refused to do so will be explored. One major reason for the lack of activism pertains to questions of individual and collective teacher identity and to the role of a certain professionalization. The history of Canadian educational systems is based on the public authorities' project to promote a particular ideology of professionalism which has worked very much against teacher activism.
- Glossaire des sigles d'organisations mentionnées dans le dossier - p. 103-104
- Les enseignants peuvent-ils faire grève ? : Trente ans d'hésitations au Brésil (1950-1979) - Rosario Genta Lugli p. 75-86
Varia
- La Commission européenne face à l'efficacité et l'équité des systèmes éducatifs européens - Marc Demeuse, Ariane Baye p. 105-119 Lorsque la Commission européenne consacre une communication au Parlement et au Conseil à l'équité et à l'efficacité des systèmes éducatifs, les spécialistes de l'analyse des politiques éducatives ne peuvent que se réjouir et y voir un écho à leurs travaux (Crahay 2000, Demeuse, Baye, Straeten, Nicaise & Matoul 2005). Si cette communication mérite, en raison de son sujet, tout l'intérêt des chercheurs et, de manière générale, de tous les acteurs de l'école, elle ne rassure pas le lecteur attentif. Sous couvert d'un intérêt spécifique et bien compréhensible pour la préscolarisation, elle traite de manière plutôt légère l'enseignement obligatoire et, de manière beaucoup plus inquiétante l'enseignement supérieur. Cet article souligne les inquiétudes et les questions qui subsistent à l'issue de cette lecture.When the Commission devoted a communication to the efficiency and equity of European educational systems in the European Parliament and Council, the experts in analyzing educational policies could only rejoice as it was echoing their works (Crahay 2000, Demeuse, Baye, Straeten, Nicaise & Matoul 2005). While the topic of this communication deserved the interest of researchers in particular and of all school actors in general, it left attentive readers on their guards. Under the guise of a specific interest in preschooling, the arguments concerning compulsory education were rather lightweight and those on higher education worrying. This paper raises the concerns and questions that remain after the reading of this communication.
- Évolutions personnelles sur parcours obligé : stagiaires enseignants en formation, représentations et premiers pas dans le métier - Patrick Dubois, Rachel Gasparini, Gérard Petit p. 121-134 L'analyse des représentations de stagiaires en IUFM montre qu'un même univers socialisateur, celui de la formation d'enseignants, qui demeure tramé par une forte normalisation, donne lieu à des réappropriations différenciées. L'apparent consensus autour de l'éloge de la pratique de terrain et le dénigrement de la formation théorique cachent des articulations diversifiées entre les dispositions personnelles des stagiaires, socialement constituées, et les exigences de la socialisation scolaire et professionnelle à laquelle ils sont soumis.The analysis of trainee teacher representations in “IUFM” (teacher training colleges) shows that the same strongly standardized socializing environment gives rise to differentiated readjustments. The seemingly consensual praise of in-field practice and the disparagement of theoretical training underlie diversified articulations between the personal tendencies of trainee teachers and the demands of the academic and professional socialization they have to meet.
- La formation à l'épreuve de la certification. : L'exemple de la Commission technique d'homologation - Patrick Veneau, Dominique Maillard p. 135-148 La loi française de modernisation sociale de 2002 –officialisant le terme de certification– a contribué à le lier à celui de validation des acquis de l'expérience. L'article entend montrer –à partir de l'analyse de cette catégorie– que les enjeux qui lui sont associés débordent la stricte question de la validation des acquis, notion qui émerge et se développe à la faveur de transformations des relations entre formation et emploi. Celles-ci aboutissent à décentrer le rôle de la formation au profit de compétences qu'il convient désormais d'évaluer et de valider au regard de référentiels d'activités. Cette analyse est conduite à partir d'une instance –la Commission technique d'homologation– qui a participé à la diffusion de l'idée de certification. L'étude des débats internes à cette commission durant son fonctionnement (1972-2002) permet d'illustrer ces transformations et de montrer les difficultés de la conversion à cette nouvelle logique de la certification.The Social Modernization Act passed in 2002 in France with the officialization of “certification” contributed to relate this term to the accreditation of experiential learning. This paper aims to show that its stakes extend beyond the strict question of the validation of informal learning, a notion that emerged and developed as the relations betweens training and employment were being transformed. As a result training no longer holds the prominent role. The analysis is conducted from the instance of the “Commission technique d'homologation”, the organization that contributed to disseminating the idea of certification. The study of the debates internal to this commission when it was in operation (1972-2002) illustrates these transformations and shows the difficulties to convert to this new approach.
- Être intégré, être en marge, être reconnu ? : L'enfant en situation de handicap et son statut social dans une classe ordinaire - Cornelia Schneider p. 149-166 La généralisation de la scolarisation des enfants en situation de handicap depuis la loi de 2005 mène à davantage d'intégrations au sein des classes ordinaires. Ainsi, la sociologie du handicap et la sociologie de l'éducation se trouvent à un carrefour commun pour analyser l'expérience d'intégration des enfants en situation de handicap. Cet article étudie le cas d'un garçon hémiplégique, intégré dans une école élémentaire. L'enquête s'intéresse à la place qu'il tient dans la classe à travers ses représentations, celles de ses pairs et de son enseignante. Il montre que son intégration se développe non sans ruptures, tensions et ambiguïtés qui peuvent être analysées par la théorie de la liminalité situant l'enfant dans un entre-deux, pris entre le handicap et son désir de devenir un indigène de la tribu. La reconnaissance des enfants comme acteurs, en situation de handicap ou non, ouvre ainsi de nouvelles perspectives sur une pratique jusque-là surtout discutée par des adultes-experts.Schooling all handicapped children as enacted in the 2005 law leads to include more such children in ordinary classes. Thus the sociology of handicap and that of education are at a crossroads where they can analyze the experience of including handicapped schoolchildren. This article examines the case of a hemiplegic schoolboy in a primary school. The study focuses on his place in the class and his representations, those of his peers and his female teacher. His inclusion comes with breaks, tensions, ambiguities that can be analyzed from the liminality perspective: the child is caught between his handicap and his desire to become indigenous to the tribe. The recognition of children as actors, whether they are handicapped or not, opens new perspectives on a practice that has until now been mainly discussed by adult experts.
- La Commission européenne face à l'efficacité et l'équité des systèmes éducatifs européens - Marc Demeuse, Ariane Baye p. 105-119
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 167-184