Contenu du sommaire : En revenir ?
Revue | Inflexions |
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Numéro | no 23, 2013/2 |
Titre du numéro | En revenir ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Patrick Clervoy p. 11-15
Dossier
- Un nouveau départ ? - Haïm Korsia p. 17-21 « Souviens-toi, n'oublie pas » dit la Bible : se souvenir, c'est se rappeler ce qu'on a fait, alors que ne pas oublier, c'est tenir compte dans nos actions de ce qu'on a emmagasiné comme expérience. Il s'agit pour l'homme de construire un temps nouveau : le retour n'est pas le but ultime mais seulement le début d'une nouvelle histoire. Car l'homme n'est lui-même que lorsqu'il est capable de surmonter les épreuves qui lui montrent qu'il est à la hauteur des espérances de Dieu.“Remember! Do not forget!” the Bible commands. Remembering means recalling what one has done, whereas not forgetting means taking account, when we act, of what we have learned from experience. For human beings, this means building a new era. Going back is not the end for which we are aiming but only the beginning of a new story, for human beings are themselves only when they are able to overcome the ordeals showing that they are equal to the hopes of God.
- Écrire après la grande épreuve, ou le retour d'Orphée - France Marie Frémeaux p. 31-43 Les écrivains combattants de la Première Guerre mondiale ou d'autres conflits racontent dans leurs œuvres ce qui s'apparente à un retour de l'Enfer, le royaume d'Hadès. Ils ont rencontré la mort. Rescapés de la bataille, ils rendent compte de cette expérience douloureuse. En cela semblables aux textes anciens tels que l'Odyssée ou l'Énéide, leurs écrits renvoient à certains grands mythes, celui d'Orphée en particulier.Writers who fought in World War
I and other conflicts have recounted in their works what resembled a return to hell, the realm of Hades. They had made acquaintance with death and, having escaped from battle, they told us about the painful experience. There, comparable to the ancient tales of the Odyssey and the Aeneid, their writing referred to certain great myths, and in particular that of Orpheus. - Le choix du silence - Mireille Flageul p. 45-53 S'en sortir, ce n'est pas oublier, mais dépasser l'épreuve en la transformant en un pouvoir d'agir nouveau ; ce n'est pas reconstruire à l'identique un passé, mais créer, promouvoir une nouvelle identité. Le témoignage d'Eugène Bourse, prisonnier de guerre réfractaire de 1940 à 1945, livré ici par sa fille, révèle deux facteurs essentiels : d'une part, le socle d'une volonté fondée sur le sens du devoir, des convictions patriotiques et la ténacité du combattant et, d'autre part, le choix du silence qui n'est pas l'oubli mais un espace de « vide » pour créer du « plein ». Rebondir nécessite autre chose que de la réparation, cela demande de saisir des opportunités pour une transformation de soi et une transformation sociale ou sociopolitique.Getting away does not mean forgetting, but going beyond the ordeal by converting it into a new power to take action. It does not imply rebuilding a facsimile of the past but creating and promoting a new identity. The testimony by Eugène Bourse, a resisting prisoner of war from 1940 to 1945, supplied here by his daughter, reveals two fundamental factors: first the basis of willingness, founded on a sense of duty, patriotic convictions and the fighters' tenacity, and, second, the choice of silence which is not synonymous with forgetting, but is an “empty space” that can be filled up. Bouncing back needs something other than rectification; it requires that the opportunities be grasped for transformation, both in oneself and in society or a socio-political group.
- Shoah - André Rogerie p. 55-61 Arrêté par la Gestapo le 3 juillet 1943, André Rogerie, alors âgé de vingt et un ans, a successivement connu les camps de Buchenwald, Dora, Maïdanek et Auschwitz-Birkenau puis, pendant la « marche de la mort », Gross-Rosen, Nordhaussen, Dora à nouveau, puis Harzungen, avant de parvenir à s'évader. Il a été notamment le témoin de la « sélection » à l'arrivée des convois à Auschwitz-Birkenau. Il ne rentrera en France que le 15 mai 1945, mais sera dès cet instant animé par la volonté farouche de témoigner. Général de l'armée française aujourd'hui âgé de quatre-vingt-onze ans, il est intervenu en 2005 à l'Hôtel-de-Ville de Paris, au côté de Simone Veil, pour le cinquantième anniversaire de la libération d'Auschwitz. Le texte de son intervention est ici reproduit avec son autorisation.André Rogerie, then aged 21, was arrested by the Gestapo on 3July 1943, and was held successively in the Buchenwald, Dora, Maidanek and Auschwitz-Birkenau camps. Then, during the “death march”, he experienced Gross-Rosen, Nordhausen, Dora (again), and then Harzungen, but ultimately succeeded in escaping. In particular, he had been a witness of the “selection” process when trains arrived at Auschwitz-Birkenau. He returned to France only on 15May 1945, but from then on was motivated by a fierce desire to testify. Now aged 91, and a General of France's armed forces, he appeared beside Simone Veil in the Paris town hall in 2005, marking the 50th anniversary of the liberation of Auschwitz. His speech is reproduced here, with his permission.
- À pied, en bateau et en avion - Yann Andruétan p. 63-66 Le retour dans leur foyer est un moment à la fois espéré et redouté par les soldats. Ils partent avec l'espoir de rentrer vivants, de retrouver les leurs en bonne santé. Ils redoutent les changements qui seront intervenus en leur absence. Cet article montre différentes modalités de retour à travers trois exemples tirés de l'histoire : la retraite des Dix Mille, le retour des GIs à la fin de la Seconde Guerre mondiale et après leur retour du Vietnam. Chaque retour est une transformation pour l'individu, mais aussi pour le groupe. Le temps consacré au retour, comme la dissolution symbolique du groupe sont des facteurs fondamentaux. Il y a donc une nécessité de penser le retour comme un temps en soi de l'opération et non pas comme le simple trajet qui sépare le lieu de travail du foyer.Returning home is a moment that soldiers both hope for and fear. They leave with the hope of returning alive and finding their family in good health. They are afraid that changes may have happened while they were away. This article shows various types of return, using three examples taken from history: the Anabasis retreat of the “Ten Thousand” from Babylonia to Ancient Greece and the returns of GIs at the end of World War II and following their withdrawal from Vietnam. Each return is a transformation for both the individual and the group. The time occupied by returning and the group's symbolic dissolution are both factors of fundamental importance. We therefore need to think of a return as a real period in the operation and not simply a journey to be undertaken from the workplace to home.
- Le sas de Chypre : une étape dans le processus de retour - Virginie Vautier p. 67-70 Le retour des soldats correspond à un long processus psychologique. La mise en place d'un sas de décompression psychologique au profit des militaires de retour d'Afghanistan est un concept récent en France. Elle souligne l'importance des préoccupations de l'armée de terre concernant le devenir des soldats après leur passage sur ce théâtre d'opérations particulièrement éprouvant. À partir de l'expérience personnelle que l'auteure a eue de ce dispositif, elle en dégage les aspects positifs et les perspectives en matière de soins et de prévention.The return of soldiers involves a long psychological process, and establishment of a psychological decompression chamber for the military personnel returning from Afghanistan is a recent innovation for France. It underlines the importance of the army's concerns in relation to the soldiers' futures, after they have left a particularly testing theatre of operations. Based on her personal experience of this facility, the author identifies the positive aspects, and the potential for comparable care and protection measures.
- Retour à la vie ordinaire - Michel Delage p. 71-75 Le retour est une épreuve pour ceux qui sont partis et ont été soumis au stress de la mission comme pour ceux qui sont restés et ont dû affronter seuls le quotidien. Tous doivent apprendre à se ré-accorder. Éviter la blessure psychologique implique que ceux qui rentrent soient pleinement réintégrés dans la collectivité et retrouvent leur place auprès des leurs. Cela suppose la possibilité de récits collectifs, d'histoires partagées dans lesquelles chacun apporte la part de son expérience et peut en même temps s'enrichir du récit des autres.Returning is an ordeal for those who left and were subjected to the stress of a mission, just as it is for those who remained behind and had to deal with everyday matters by themselves. Everyone has to learn how to get back to previous relationships. Avoiding psychological wounds implies that those coming back are fully reintegrated into the community, and once again find their place among their friends and family. This depends on the possibility of collective accounts: shared stories in which each person contributes his or her share of the experience while simultaneously benefiting from the accounts of others.
- Pas blessée pour rien ! - Patricia Allémonière p. 77-82 Grand reporter, Patricia Allémonière fut blessée le 7 septembre 2011 alors qu'elle suivait une opération de l'armée française dans la vallée d'Alasay, en Afghanistan. Malgré ses blessures, rester sur le terrain s'est imposé comme une évidence afin de poursuivre son travail. Elle revient ici sur cette expérience : la préparation, la force du groupe, le retour, la convalescence difficile…Special correspondent Patricia Allémonière was wounded on 7September 2011, while following an operation of France's armed forces in the Alasay valley, Afghanistan. Despite her wounds, remaining in the field was obviously necessary, in order to continue her work. Here, she reviews the experience: preparing, the group's strength, the return and the difficult convalescence.
- Priorité à la mission ? - Francis Chanson p. 83-91 Les post-traumatic stress disorders (ptsd) ont pris ces dernières années une importance accrue qui interroge le chef militaire sur leurs conséquences dans la conduite des opérations. Sa vision, plus opérationnelle que clinique, et son souci de préserver ses effectifs l'ont porté à employer une « méthode » empirique de gestion des chocs traumatiques. Ce processus vise notamment à réagir dans l'urgence sous la menace, puis à régénérer la force collective du groupe, qui est l'élément déterminant du moral du combattant. Le maintien sur le théâtre d'opérations de soldats choqués semble avoir donné de bons résultats au regard des conséquences possibles d'un rapatriement en cours de mission. La prévention des ptsd passe aussi par la capacité du commandement à justifier la mission, avant et après l'action, car tout est affaire de sens lorsqu'on touche à l'indicible.In recent years, post-traumatic stress disorder (ptsd) has been accorded increasing importance, which poses questions for military leaders about the consequences of how they conduct operations. The viewpoint of leaders is more operational than concerned with clinical matters, and their concern to retain military numbers has resulted in their using an “empirical method” to manage possibilities of ptsd. In particular, the process aims to respond urgently when there is a threat, and then regenerate the group's collective strength, which is the factor determining fighters' morale. Keeping soldiers who have experienced ptsd in the theatre of operations seems to have produced good results, as compared to repatriation during a mission. Protecting against ptsd also depends on the command's ability to justify the mission, both before and after the action, as everything is a matter of significance when we are dealing with the indescribable.
- Après la blessure. Les acteurs et les outils de la réinsertion - Franck de Montleau, Éric Lapeyre p. 93-100 L'expérience de la participation de l'armée française au conflit afghan a rendu plus éclatante la nécessité d'une réflexion et d'une action sur le parcours des militaires blessés, ainsi que sur la question de leur réadaptation et de leur réinsertion. L'expérience clinique enseigne que les difficultés apparaissent moins dans le temps de la prise en charge initiale qu'à distance de celle-ci, quand s'amoindrissent le soutien du groupe d'appartenance et les effets les plus visibles de la reconnaissance de l'institution (cérémonies, décorations, visites des autorités…). Alors que leurs unités d'appartenance poursuivent le cours de leurs missions, ces hommes retrouvent l'anonymat et les difficultés de la vie quotidienne. Il est apparu important dans ce temps critique de renforcer par un dispositif dédié à la réadaptation et à la réinsertion professionnelle les liens avec les acteurs institutionnels, afin d'optimiser par une meilleure coordination la prise en charge médicale et sociale de ces blessés de guerre en ne négligeant ni les aspects financiers ni ceux tenant à la réparation. C'est la mission de la cellule de réadaptation et de réinsertion de l'hia Percy.Participation of France's armed forces in the Afghan conflict made the need for reflection and action relating to the handling of wounded military personnel, and also the question of their rehabilitation and redeployment, more pressing. Experience of clinical matters teaches us that the problems appear less during initial management of a medical condtion than some time later, when there is a reduction in support from the group to which the person belongs and in the most visible signs of recognition from the institution (ceremonies, decorations, visits from the authorities, etc.). While the units to which the soldiers belong continue the course of their missions, these individuals become anonymous and return to the difficulties of everyday life. It was found to be important during this critical period to strengthen the links with institutional players, through arrangements for rehabilitation and occupational redeployment, in order to ensure better co-ordination of the medical and social arrangements for managing the war-wounded, while not neglecting either the financial aspects or those relating to compensation. This is the function of the rehabilitation and redeployment unit at the Percy armed-forces teaching hospital.
- Le vent du boulet - François Cochet p. 101-111 Si la notion de désordre post-traumatique est bien une invention-découverte du XXe siècle, l'historien peut avancer quelques pistes pour montrer que cet état a existé dans bien des conflits antérieurs, même si les mots pour nommer les choses n'existaient pas encore. Cet article tente de recenser les signes testimoniaux permettant de repérer quelques manifestations précoces de tels troubles. Elle tente également d'appréhender les premières réactions du corps médical militaire face à la massification de ces ptsd.While the concept of post-traumatic stress disorder is certainly a formulation of the 20th century, historians are able to point to indications that the condition occurred in many earlier conflicts, even though the expression itself did not yet exist. This article attempts to record instances where there is evidence of earlier manifestations of such disorders. It also tries to understand how the military medical bodies reacted when faced with widespread instances of ptsd.
- La folie furieuse du soldat américain. Désordre psychologique ou politique ? - John Christopher Barry p. 113-122 Déployée à flux tendu pendant plus d'une décennie sur deux théâtres d'opérations, l'Afghanistan et l'Irak, l'armée américaine est aujourd'hui exsangue. 20 % de son corps expéditionnaire est ou sera atteint du syndrome de stress post-traumatique (ptsd). Ce désordre psychologique, qui prend aujourd'hui les apparences d'une véritable « épidémie » dans la société américaine, ne trouvera son sens que dans une analyse d'un désordre structurel qui le dépasse. Il s'agira en quelque sorte de « politiser » le symptôme du ptsd au lieu de le médicaliser. Ce qui donne sens aux sacrifices, à la mission, c'est la politique. À défaut de le faire, le soldat, qui affronte la mortification de la chair et la menace de la mort, le paiera par un tourment solitaire et morbide qui ne cessera pas de le poursuivre, bien après les combats.The American armed forces have been deployed on a “just in time” basis for more than a decade in two theatres of operations, Afghanistan and Iraq, and are now depleted. Some 20% of the USA's expeditionary force is or will be subject to post-traumatic stress disorder (ptsd). This psychological condition, which now seems to have reached epidemic proportions in American society, can be understood only within an analysis of overwhelming disorder. It will, in a sense, amount to treating ptsd as a policy, rather than a medical, matter. What justifies the sacrifices and the missions is policy. When unable to succeed in the mission, a soldier facing mortification of the flesh and a threat of death will pay for it by a solitary and morbid torment that will continue to plague him long after the fighting.
- Pertes psychiques au combat : étude de cas - Michel de Castelbajac p. 123-126 De juin à décembre 2009, la première compagnie du 3e rima a été engagée en Afghanistan au sein de la Task Force Korrigan. Plusieurs des siens n'en sont pas revenus ; d'autres en ont gardé les traces dans leur chair ; d'autres, enfin, en ont conservé des séquelles invisibles. Dans le feu de l'action, chacun donne le meilleur de ce qu'il a pour le groupe parce qu'il sait que celui-ci est la seule planche de salut. Cette exacerbation de la cohésion, quitte à abuser du remède/poison de l'esprit de corps, donne des résultats indéniables. Elle préserve la plupart des membres et aide à soigner ceux qui ont été touchés, renforce d'amitié les liens de subordination et accroît la confiance et le dynamisme de la troupe. Mais l'opération finit toujours un beau matin, non sans une tristesse paradoxale.From June to December 2009, the first company of France's 3rd Marine Infantry Regiment was committed within the Korrigan Task Force in Afghanistan. A number of its members did not return; others came back with physical wounds, while still others had invisible effects. In the heat of action, each member gave the best of which he was capable, for the group, because he knew that that was the only hope for salvation. The intensified cohesion – without invoking esprit de corps to an unhealthy extent – undeniably produced positive results. It kept most of the members alive, and helped care for those who were injured, strengthening the bonds of friendship and hierarchy, and increasing the group's confidence and dynamism. One fine morning, the operation came to an end, paradoxically not without sadness.
- Certains ne reviendront pas - François-Yves Le Roux p. 127-134 Lorsque surviennent les pertes en opérations, le retour de mission des soldats prend une dimension littéralement extraordinaire. Confronté à la mort de plusieurs de ses hommes et à des blessés graves du fait d'une attaque subie en Afghanistan le 20 janvier 2012, le 93e régiment d'artillerie de montagne (ram) a fourni dans l'urgence puis dans la durée un soutien aux familles endeuillées, aux blessés physiques et psychiques et à leurs proches, tout en maintenant un élan opérationnel qui repose en grande partie sur le soin apporté aux conditions de retour de mission des soldats. Dans ce contexte douloureux, il a pu mesurer le rôle crucial joué par son organisation sociale régimentaire, bien structurée et solide, gage d'un esprit de corps élargi aux familles et indispensable dans l'adversité. Si cette préparation en amont de la crise permet de mieux la surmonter, elle garantit également une bonne réinsertion post opérationnelle des soldats, processus long et complexe qui requiert une vigilance toute particulière de la part du commandement et dans lequel l'expression de la reconnaissance collective a une importance certaine. Éventualité à laquelle le chef de corps d'un régiment doit se préparer lui-même, la traversée de telles épreuves souligne la dimension humaine essentielle de ses responsabilités.When losses occur in the course of operations, the return of soldiers from a mission has aspects that are literally extra-ordinary. Following the deaths of a number of the men, and cases of serious injuries through an attack suffered in Afghanistan on 20January 2012, the 93rd Mountain Artillery Regiment provided support to the grieving families, first as an emergency measure and then for an indefinite period. It gave comparable support to those who were injured physically and/or psychologically, and to their friends and family, while maintaining an operational readiness relying to a great extent on the care provided for the soldiers returning from a mission. In these painful situations, the regiment was able to judge the crucial role played by its well-structured and robust social organisation, testifying to an extended esprit de corps provided to the families, which is essential when faced with adversity. While anticipation of the crisis made overcoming the problems easier, it also ensured good post-operational deployment of the soldiers, which tends to be a long and complex process requiring particular vigilance from the higher command, and the expression of collective recognition being rather important. A regiment's commanding officer must himself prepare for this eventuality, going through such ordeals which emphasise the human dimension that is fundamental to his responsibilities.
- Retours de guerre et parole en berne - André Thiéblemont p. 135-142 Aujourd'hui comme hier, de retour de guerre, les combattants sont le plus souvent muets, parce qu'ils ont vu et vécu l'horreur pour certains, mais pas seulement. L'indifférence de leurs proches et de la cité paralyse leur parole, quand ce ne sont pas des interdits et une pensée dominante qui la censurent et la musèlent. Sauf à détenir un talent de conteur, à être doté d'un équipement culturel et de réseaux sociaux leur permettant d'accéder à l'édition ou aux médias, ils sont dans l'incapacité de transmettre une expérience hors du commun : celle d'une condition humaine tragique, souvent chaleureuse et cocasse aussi, que révèlent des situations extrêmes.Now, as in the past, soldiers returning from war are in most cases silent, because some of them have seen and experienced horror, though not just for that reason. The indifference of their nearest and dearest, and of the wider community, discourages their talking about it, even when this is not forbidden and there are no pressing thoughts censuring and gagging talk. Unless they have talents as a raconteur, or have cultural means and social connections that give them access to the press and other media, they are unable to communicate the extra-ordinary experience: that of a tragic human situation – which is often also warm and comical – revealed by extreme situations.
- La parole et le récit pour faire face aux blessures invisibles - Damien Le Guay p. 143-152 Face aux blessures invisibles, nous disposons, toujours et encore, du pouvoir de la parole. Dire, se dire, se raconter. Cette mise en récit revient à introduire une fissure entre soi et soi-même pour permettre l'ouverture d'une sorte de brèche intérieure de réconciliation. Il faut se diviser pour mieux se retrouver. Décoller de soi le malheur pour mieux l'éloigner. Mettre des mots sur ses maux pour tenter de les cicatriser. Là est la puissance formidable des mots agencés en récit qui peuvent nous acheminer jusqu'au pardon, jusqu'à retrouver la confiance indispensable – confiance en soi, confiance de soi, confiance pour refaire corps avec le monde.When faced with invisible wounds, we still, and always, have the ability to speak. We can talk, tell ourselves and give accounts. This consigning to accounts produces a division between you and yourself, opening a way into the mind for reconciliation. You need to divide yourself in order to better find yourself. You need to detach from yourself the painful experiences, in order to distance yourself from them, trying to heal the pain by expressing it in words. This shows the formidable power of words arranged in an account that can lead us to forgiveness and finding, once again, the essential trust: trusting yourself, being trusted and being confident that one can again become part of the world.
- L'envers de la médaille - Xavier Boniface, Hervé Pierre p. 153-162 La décoration participe pleinement du processus de retour. Or, à l'instar de la médaille, aux deux faces opposées mais frappées dans la même pièce de métal, l'acte de décorer est le produit d'un choix qui grave la matière sensible de creux et de pleins, ces derniers étant d'autant plus mis en valeur que les premiers sont profondément marqués. Ce partage du sensible a ceci de particulier, qui en fait à la fois la grandeur et le drame, d'avoir d'autant plus de visibilité qu'il est fortement contrasté, à distinguer certains plutôt que d'autres. Les récompenses, en particulier celles pour bravoure, deviennent alors objets d'enjeux dans l'espace social : enjeux de reconnaissance, enjeux de pouvoir et enjeux de représentation.Decorations play a full part in the returning process. Just like the two sides of a coin (or a “decoration” medal!), struck on the same piece of metal, the award of a decoration to a soldier results from a choice that engraves sensitive material with hollows and raised portions, the latter being all the more prominent by contrast with the former. This sharing of malleable material is special, producing both grandeur and drama, and having all the more visibility for containing strong contrasts, distinguishing some of them rather than others. The rewards, particularly those for bravery, then become items at stake in the socialarea: important for recognition, for power and for representation.
- L'idée d'une culture de la résilience - Monique Castillo p. 163-171 Que faut-il éviter de tenir pour une culture de la résilience ? Cet article propose trois thèmes de réflexion. La culture du victimisme, tout d'abord, n'est pas une culture de la résilience, même si la bienveillance lui sert de ressort. Celle de la vulnérabilité ensuite, en vogue aujourd'hui, contient une attention aux souffrances invisibles qui doit être analysée et discutée. Enfin, que peut être une culture de la vitalité qui ne soit pas une culture de la performance ?What must we avoid interpreting as a culture of resilience? This article puts forward three lines for reflection. First, the culture of victimism is not a culture of resilience, even if its motivation is kindness. Then, the culture of vulnerability, which is now fashionable, includes attention to invisible suffering and it must be analysed and discussed. Lastly, what can a culture of vitality be if it is not a culture of performance?
- Le rôle du commandement - Elrick Irastorza p. 173-177 Le stress au combat et les séquelles qui s'ensuivent sont aussi vieux que la guerre elle-même, mais leur reconnaissance, aux lendemains de la Grande Guerre, fut nettement plus tardive. Assez paradoxalement, l'affrontement titanesque contre les armées du Pacte de Varsovie auquel les pays occidentaux se sont préparés pendant la guerre froide ne s'est pas accompagné d'une sensibilisation particulière à ces phénomènes désormais mieux connus. Compte tenu de leur faible intensité, les opérations de type « maintien de la paix » auxquelles nous avons participé depuis plus de trente ans n'ont pas apporté d'évolution notable dans ce domaine : à l'encadrement de contact et aux médecins d'unité le soin de traiter ces problèmes au cas par cas. Cependant, dès les années 1990, les choses ont commencé à bouger. Mais c'est bien notre engagement en Afghanistan et le retour de la guerre dans toute sa brutalité qui y est associé, qui ont conduit au déploiement progressif d'un dispositif de prévention et de suivi des troubles post-traumatiques qui doit désormais s'inscrire dans la durée.Stress in combat and its after-effects are as old as war itself, but recognition of them following World WarI came much later. Rather paradoxically, the titanic confrontation with the Warsaw Pact armed forces, for which Western countries prepared during the Cold War, was not accompanied by any particular raising of awareness about these phenomena, which are now better known. In view of their lack of intensity, operations of peacekeeping-type, in which we have been engaged for more than 30 years, have not produced any notable developments in this area. It was left to the contact supervisors and unit doctors to deal with these problems on a case-by-case basis. Things did not begin to move until the 1990s. Even then, it was our commitment in Afghanistan and the return from war and all the associated brutality that led to progressive organisation of arrangements to protect against and monitor cases of post-traumatic stress disorder; they should now be continued indefinitely.
- Un nouveau départ ? - Haïm Korsia p. 17-21
Pour nourrir le débat
- Quel temps pour la décision ? - François Naudin p. 179-186 Qu'est-ce donc que le temps ? S'il est à chacun bien difficile et hasardeux d'en ébaucher une définition académique, nous constatons tous son omnipotence et de son omniprésence. Quel que soit l'usage que nous en faisons, nous demeurons, sous la pression croissante des événements et l'accélération de nos rythmes de vie, soumis au choc des temporalités qui viennent sans cesse bouleverser notre perception du temps. Qu'il soit court ou long, il nous échappe et nous consume. Il nous faut alors combattre la tyrannie de l'instant et accorder à la décision le temps qui lui revient, et ce tout particulièrement en matière de Défense nationale.What is there but time? While everyone finds it very difficult and risky to attempt an academic definition, we all observe its universal power and inescapable nature. Whatever use we make of it, we remain (increasingly) constrained by events and by an acceleration in lifestyles, subject to the shocks of disturbances that are constantly upsetting our perceptions of time. Whether the time available is short or long, it escapes us and gets the better of us. We must therefore fight the tyranny of the moment and accord decision-making the time required, most especially when it comes to national defence.
- Indochine : du soldats-héros au soldat-humanisé - Nicolas Séradin p. 187-199 Dans la mémoire collective, la guerre d'Indochine se résume bien souvent à la défaite de Diên Biên Phu, le 8 mai 1954, et à l'héroïsme des soldats qui y ont pris part. Cette représentation d'un soldat héroïsé a été véhiculée par les premiers témoins, à commencer par les grands chefs militaires. Une figure qui laisse peu de place à l'expression des souffrances : le vrai soldat est celui qui accepte son sort sans sourciller, faisant don de lui-même à une cause supérieure. Cette représentation va trouver son apogée dans l'œuvre cinématographique de Pierre Schoendoerffer. Toutefois, une nouvelle figure va se superposer à celle-ci au début des années 1990. Son origine pourrait être issue de la communauté des anciens prisonniers français de la guerre d'Indochine qui, par le biais de l'affaire Boudarel, ont alors accès à l'arène publique. À travers leurs témoignages se dessinent progressivement les contours d'un soldat-humanisé.In the collective memory, the Indochina war tends all too often to be summed up by the defeat at Dien Bien Phu, on 8May 1954, and the heroism of the soldiers involved. This representation of heroic soldiers was communicated by the first witnesses, beginning with the great military leaders. The hero-soldier figure leaves little room for the expression of suffering: a true soldier accepts his fate as all in the day's work, sacrificing himself to a higher cause. This representation found its ultimate expression in the work of cinematographer Pierre Schoendoerffer. A new image came, however, to be superimposed on this in the early 1990s. It may have originated from the community of former French prisoners of war in Indochina, who came to public attention through the Boudarel affair (a French academic accused of torturing French prisoners for the Viet Minh during Indochina the war). Their evidence progressively illustrated what could be understood as a “humanised soldier”.
- Quel temps pour la décision ? - François Naudin p. 179-186
Translation in English
- Returning to ordinary life - Michel Delage p. 201-207 Le retour est une épreuve pour ceux qui sont partis et ont été soumis au stress de la mission comme pour ceux qui sont restés et ont dû affronter seuls le quotidien. Tous doivent apprendre à se ré-accorder. Éviter la blessure psychologique implique que ceux qui rentrent soient pleinement réintégrés dans la collectivité et retrouvent leur place auprès des leurs. Cela suppose la possibilité de récits collectifs, d'histoires partagées dans lesquelles chacun apporte la part de son expérience et peut en même temps s'enrichir du récit des autres.Returning is an ordeal for those who left and were subjected to the stress of a mission, just as it is for those who remained behind and had to deal with everyday matters by themselves. Everyone has to learn how to get back to previous relationships. Avoiding psychological wounds implies that those coming back are fully reintegrated into the community, and once again find their place among their friends and family. This depends on the possibility of collective accounts: shared stories in which each person contributes his or her share of the experience while simultaneously benefiting from the accounts of others.
- Words and accounts to deal with invisible wounds - Damien Le Guay p. 209-218 Face aux blessures invisibles, nous disposons, toujours et encore, du pouvoir de la parole. Dire, se dire, se raconter. Cette mise en récit revient à introduire une fissure entre soi et soi-même pour permettre l'ouverture d'une sorte de brèche intérieure de réconciliation. Il faut se diviser pour mieux se retrouver. Décoller de soi le malheur pour mieux l'éloigner. Mettre des mots sur ses maux pour tenter de les cicatriser. Là est la puissance formidable des mots agencés en récit qui peuvent nous acheminer jusqu'au pardon, jusqu'à retrouver la confiance indispensable – confiance en soi, confiance de soi, confiance pour refaire corps avec le monde.When faced with invisible wounds, we still, and always, have the ability to speak. We can talk, tell ourselves and give accounts. This consigning to accounts produces a division between you and yourself, opening a way into the mind for reconciliation. You need to divide yourself in order to better find yourself. You need to detach from yourself the painful experiences, in order to distance yourself from them, trying to heal the pain by expressing it in words. This shows the formidable power of words arranged in an account that can lead us to forgiveness and finding, once again, the essential trust: trusting yourself, being trusted and being confident that one can again become part of the world.
- Returning to ordinary life - Michel Delage p. 201-207
Comptes rendus de lecture
- Comptes rendus de lecture - p. 219-229