Contenu du sommaire : Traduction et mondialisation

Revue Hermès (Cognition, Communication, Politique) Mir@bel
Numéro no 56, 2010
Titre du numéro Traduction et mondialisation
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Avant-propos : La traduction, passeport pour accéder à l'autre - Dominique Wolton p. 9-12 accès libre
  • Introduction - Michaël Oustinoff, Joanna Nowicki, Juremir Machado da Silva p. 13-20 accès libre
  • I. La traduction dans toutes les langues, enjeu politique local et mondial

    • Langues et traduction : une politique cruciale pour l'Union européenne - Leonard Orban p. 23-28 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En raison de ses élargissements successifs, l'Union européenne compte désormais près d'un demi-milliard de citoyens, 27 États membres, 3 alphabets et 23 langues officielles dont certaines ont une diffusion mondiale. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg : quelques 60 autres langues font également partie de son patrimoine commun, parlées qu'elles sont dans certaines régions ou par des groupes spécifiques. Par ailleurs, les migrants ont apporté un large éventail de langues : on estime qu'au moins 175 nationalités sont présentes sur le territoire de l'Union. Cette diversité est le fondement même de l'identité européenne, qui, à l'heure de la mondialisation, en fait sa force : le multilinguisme est un facteur majeur de compétitivité pour l'économie européenne, et la traduction sous toutes ses formes – notamment littéraire – constitue le support essentiel d'une Europe de la diversité.
      Languages and Translation: a Core Issue in European Union Policies
      With its successive enlargements, the European Union now has almost half a billion citizens, 27 Member States, 3 alphabets and 23 official languages, some of which are spoken all over the world. But this is only the visible part of the iceberg : some 60 other languages, spoken in certain regions or by particular groups, are also part of its common heritage. To these are added a wide range of other languages introduced by migrants: it is estimated that at least 175 nationalities are represented within the EU. This diversity is the very foundation of European identity and, in our age of globalisation, also what makes its strength : multilingualism is an important factor of competitiveness for the European economy, and translation of every kind, literary included, is a mainstay of European diversity.
    • Francophonie, plurilinguisme, traduction : la mondialisation des enjeux identitaires - Aurélien Yannic p. 29-34 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le français est, par définition, le vecteur d'une des plus grandes aires culturelles du monde contemporain, celui de la francophonie, mais il est inséparable de sa coexistence avec les 2 000 langues de l'espace francophone. C'est dire à quel point une vision purement hexagonale de la francophonie est en totale contradiction avec les données du monde d'aujourd'hui. On pourrait en dire autant des autres espaces linguistiques (anglophonie, arabophonie, hispanophonie, lusophonie, etc.) : le cloisonnement des langues et des cultures est incompatible avec les développements actuels de la mondialisation. Autrefois essentiellement instruments de pouvoir et de domination, les aires culturelles et linguistiques se transforment en instruments de cohabitation et de diversité, ce qui place la question du plurilinguisme et de la traduction aux centre des enjeux majeurs du monde contemporain.
      The French-speaking World, Multilingualism and Translation: a Global View of Cultural Challenges
      The French language, by definition, is the vehicle for the Francophone world, one of the largest cultural areas in the world of today. But French cannot be considered in isolation from the 2 000 languages with which it coexists in the Francophone sphere. This underlines how completely the Francophone concept, when seen from the perspective of France alone, contradicts the realities of today's world. The same could also be said of other linguistic areas (English, Arabic, Spanish, Portuguese, etc.): dividing up the world in terms of languages and cultures is fundamentally incompatible with current trends in globalisation. While cultural and linguistic spheres were, in the past, essentially instruments of power and domination, they are now becoming instruments of cohabitation and diversity, and this brings the issues of multilingualism and translation to the very heart of the major global issues of today.
    • Traduction et plurilinguisme au Burkina Faso - Lalbila Aristide Yoda p. 35-42 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le Burkina Faso comporte, en plus du français, « langue officielle », environ une soixantaine de langues locales dites « langues nationales ». Malgré des lois favorables à l'égalité des langues, on constate dans la pratique une hiérarchisation linguistique qui consacre la domination du français sur les autres langues.Dans ce contexte plurilingue, on pouvait s'attendre à ce que la traduction puisse contribuer à la préservation de la diversité linguistique et culturelle du pays, voire à l'enrichissement des langues nationales. Mais l'analyse de la traduction littéraire et audio-visuelle révèle une direction (ou un sens) qui reflète cette hiérarchisation des langues. En effet, la traduction entre langues européennes est de loin la plus importante, en particulier entre le français et l'anglais. La traduction entre les langues nationales n'existe pas. Dans le domaine audio-visuel, en particulier le cinéma, le sous-titrage se fait toujours des langues nationales vers les langues européennes. En l'absence d'une politique linguistique et d'une politique de traduction, la traduction ne peut pas jouer son rôle de promotion des langues et de préservation de la diversité culturelle.
      Translation and Multilingualism in Burkina Faso
      As well as French, its “official language”, Burkina Faso has about 60 local languages that are referred to as “national languages”. Despite legislation in favour of language equality, there is, in practice, a distinct hierarchy that has enshrined the domination of French over other languages. In this multilingual context, it might have been expected that translation would help to preserve the country's linguistic and cultural diversity, and even to enrich its national languages. However, our analysis of literary and audio-visual translations shows that the translating directions reflect the existing hierarchy between languages. Translations between European languages are by far the most common, especially between French and English. There is no translation at all between the national languages. In the audiovisual field, especially in films, sub-titles are always translated from national languages into European languages. Without language or translation policies, translation cannot play its part in promoting languages and preserving cultural diversity.
    • La difficile cohabitation du catalan et du castillan - Lorenzo Vilches p. 43-51 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La traduction est inséparable de l'histoire d'un peuple, de sa culture passée et présente, de la dimension politique qui, en définitive, délimite les cadres juridiques et sociaux où se déploie l'activité des personnes, mais aussi marque l'opinion et le débat idéologique dans une démocratie. Alors que la planète s'achemine vers le plurilinguisme d'une mondialisation économique et culturelle, en Catalogne, la politique se trouve en partie prise dans un combat visant à faire du catalan une langue majoritaire, voire, pour les nationalistes radicaux et indépendantistes, la seule langue officielle. Dans un tel contexte, la traduction depuis et vers le catalan constitue le moyen culturel stratégique d'une revendication identitaire face à la langue de Cervantès. La question de la traduction et, plus précisément, celle de la langue catalane est inévitablement perçue comme politique, ce qui, d'une certaine manière, tend à laisser la réalité linguistique occultée derrière le contexte historique que la Catalogne a connu.
      The Uneasy Coexistence of Catalan and Castilian
      Translation is inseparable from the history of a people, its culture past and present, and its political dimension which, ultimately, frames the legal and social context in which individuals act, but also sets its stamp on public opinion and ideological debate in a democracy. As multilingualism marches onward in an economically and culturally globalised world, politics in Catalonia have been caught up in a struggle to make Catalan the majority language – or, for radical nationalists and independence activists, even the only official language. In this context, translation from and into Catalan has become a strategic cultural vehicle for claims opposing Catalan identity to the language of Cervantes. The question of translation and, more specifically, translation of the Catalan language is inevitably perceived as political, so that the linguistic realities tend to be overshadowed by the historical context as experienced in Catalonia.
  • II. La traduction et les nouvelles formes de la communication multilingue

    • Les nouveaux métiers de la traduction - Mathieu Guidère p. 55-62 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      On a vu apparaître, avec la mondialisation, de nouveaux métiers de la traduction (communication multilingue, médiation humanitaire, veille stratégique) qui sont tous fondés sur une prise en compte du multilinguisme et du plurilinguisme, devenus caractéristiques des individus, des supports et des outils. Dans la course à l'intégration des médias et à la maîtrise de l'information diffusée dans toutes les langues du monde, le traducteur a ainsi gagné ses lettres de noblesse langagière en devenant un acteur stratégique au sein des institutions et des entreprises d'envergure internationale. L'extraordinaire succès d'Internet n'a fait que conforter cette position stratégique en élargissant davantage l'éventail des compétences du traducteur et le champ de ses interventions. Désormais, il est tantôt « communicateur » en plusieurs langues, tantôt « médiateur » en zone de crise ou de conflit et, parfois, « veilleur multilingue » à la recherche d'informations stratégiques.
      The New Translating Professions
      With the advent of globalisation, translation has branched out into new professions (multilingual communication, humanitarian mediation, strategic intelligence) that are all based on recognition of multilingualism as a characteristic of individuals, media and tools. In the race towards media integration and information management in each of the world's languages, translators have gained status as strategic players within institutions and companies operating, or aiming to operate, on an international scale. The phenomenal success of the Internet has strengthened this strategic position by broadening the range of translating skills and their fields of application. Nowadays, translators may be “communicators” in several languages, “mediators” in crises or conflict zones and sometimes multilingual “intelligence gatherers” of strategic information.
    • L'adaptation et la republication de ressources audiovisuelles numériques - Peter Stockinger p. 63-70 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La mondialisation a pour effet de rendre indispensable non seulement le recours à la traduction, mais souvent aussi à l'adaptation. C'est en particulier le cas pour les ressources audiovisuelles numériques et leur republication, dont l'importance ne fait que croître. Le texte audio-visuel est en réalité à considérer comme un objet sémiotique pouvant avoir une extrême complexité, en raison des différentes strates dont il se compose. En particulier, chacun des plans que l'on peut y distinguer peut être l'objet d'une traduction culturelle spécifique, car autrement les informations véhiculées risqueraient d'être mal interprétées par les récepteurs. Pour aborder cette problématique, l'article s'appuie notamment sur les travaux effectués dans le cadre du projet de recherche « Atelier sémiotique audiovisuel » (ASA-SHS) financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR).
      Adaptation and Re-publication of Digital Audiovisual Resources
      One effect of globalisation has been to make not only translation essential, but also adaptation. This is particularly true in the case of digital audiovisual resources and their re-publication, which are greatly increasing in importance. Audiovisual text should in fact be considered as a many-layered semiotic object whose complexity can be extreme. Each of these layers may require a specific cultural translation, failing which the information conveyed can be wrongly interpreted by those receiving it. In addressing this problem, this paper draws in particular on the work carried out under the “Audiovisual Semiotics Workshop” research project (Atelier sémiotique audiovisuel, ASA-SHS) financed by the French National Research Agency (ANR).
    • « De la démocratie en Amérique » et l'intraduisibilité de l'anglais - Michaël Oustinoff p. 71-76 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Tocqueville avait inclus dans son ouvrage majeur, De la démocratie en Amérique, un chapitre entier dont le titre parle de lui-même : « Comment la démocratie américaine a modifié la langue anglaise. » Effectivement, il n'existe plus une seule forme d'anglais, mais plusieurs, ou, pour reprendre une formule célèbre, l'Angleterre et les États-Unis sont séparés par la même langue. Autrement dit, l'intraduisibilité est au cœur de chaque langue. Aux yeux de Tocqueville, Britanniques et Américains ne parlent pas la même langue car ils vivent dans des sociétés différentes. La question des langues ne saurait se réduire à leur dimension uniquement linguistique ou purement abstraite à l'heure de la mondialisation. Il faut étendre la perspective à ses aspects sociétaux et politiques, en procédant à toutes les recontextualisations culturelles sans lesquelles la communication risque d'être irrémédiablement faussée : la traduction passe aussi par cette ligne de partage au sein de chaque langue, à commencer par l'anglais.
      “Democracy in America” and the Untranslatability of English
      As discussed by Tocqueville in an entire chapter of his major work, “Democracy in America”, whose title speaks for itself – “How American Democracy has Modified the English Language” – there is not a single English language, but several. Or, to quote George Bernard Shaw's well-known aphorism, “England and America are two countries divided by a common language”. In other words, in language, the untranslatable is central. In Tocqueville's view, the British and the Americans do not speak the same language because they live in different societies. The question of language, especially in our globalised world, goes far beyond the purely linguistic or purely abstract dimension. Languages have to be considered also from their societal and political angles, with cultural recontextualisation at every step : failing this, communication can irremediably break down. Translation also has to take this divide within each language on board, in English first of all.
    • Traducteurs, associations professionnelles et marché : approches empiriques - Tom Dwyer p. 77-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article porte sur les aspects non communicationnels du métier des professionnels de la traduction. Les différents métiers de la traduction exigent des compétences linguistiques en réalité très diversifiées. Des données récentes, notamment d'Europe et d'Amérique du Nord, démontrent l'importance du « secteur des services linguistiques ». Si l'on dispose assez largement de statistiques fiables sur l'ampleur du marché de la traduction dans les pays développés, on n'en a pratiquement aucune pour les pays en voie de développement, même les plus grands. Nous savons très peu de choses des conditions de travail des traducteurs, mais une récente étude européenne montre qu'en général les traducteurs littéraires sont mal payés et souvent soumis à de lourdes charges de travail, ce qui nuit à la qualité. D'autres études sont manifestement nécessaires. La Fédération internationale des traducteurs (FIT) vise à promouvoir le professionnalisme des métiers de la traduction et l'amélioration des conditions de travail des traducteurs en rassemblant les diverses associations nationales. Néanmoins, les instances dirigeantes de cette fédération sont dominées par l'Europe et les États-Unis alors même que l'on assiste à l'émergence de nouvelles puissances sur la scène mondiale et que les besoins en traduction ne cessent d'augmenter : ce sont de tels déséquilibres que l'article entend également aborder.
      Translators, Professional Associations and the Translating Market: Empirical Approaches
      This article looks into the non-communicational aspects of the work of translating professionals. Translators work in a variety of jobs that require a range of language skills. Recent data, particularly from Europe and North America, demonstrate the economic importance of the “language services industry”. Reliable statistics on the size of the labour market are available principally from developed countries, but there is a lack of such data on even the largest developing countries. We know very little about the working conditions of translators ; however, a recent European survey indicates that, in general, literary translators are poorly paid and frequently required to take on heavy work loads, with negative consequences for quality. More studies are clearly necessary. As a forum for national translators' associations, the International Federation of Translators (FIT) promotes professionalism in the translating field and proper working conditions for translators. However, the FIT's governing bodies are dominated by Europe and North America, despite the rise of the new economic powers and the increase in demands for translation. This paper also discusses some of the consequences of these imbalances.
    • La traduction au service des ONG - Astrid Guillaume p. 83-89 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Avec l'apparition d'Internet, les règles de fonctionnement dans tous les domaines de la société ont été fondamentalement modifiées. Les échanges sont devenus plus rapides, plus visibles et visuels, et pour la première fois dans l'histoire de l'humanité ils se situent à l'échelle planétaire. Penser que la sphère associative ait pu passer à côté de cette profonde mutation sociétale serait une erreur. Tout comme les autres secteurs de la société, les ONG, les associations, les institutions, les administrations du secteur public, les instances présidentielles et ministérielles des États ont dû, elles aussi, entrer dans cette compétitivité effrénée et modifier leurs modes de fonctionnement vers plus de visibilité des contenus, plus d'explicatifs, plus de diversités des médias employés, plus de services en ligne et d'interactivité, afin de toucher le plus de monde possible, ou de faciliter la vie de chacun en rendant certaines démarches plus rapides. Cependant, mondialisation ne saurait rimer avec efficacité sans passer par l'étape incontournable qu'est la traduction.
      Translation: a Vital Tool for NGOs
      The arrival of the Internet has profoundly changed the rules in every area of society. Exchanges are faster, more visible and more visual, and for the first time in the history of humanity, they are happening on the scale of the entire planet. It would be a mistake to believe that non-governmental groups have been left untouched by this profound societal change. Like all other sectors of society, NGOs, associations, institutions, public sector administration and State presidential or ministerial bodies have had to join the same headlong race for competitiveness, changing the way they function to make their content ever more visible and more explanatory, broaden their media range and expand their on-line services and interactiveness, to reach as many people as possible or make life easier by offering faster responses. However, globalisation can never equal efficiency if translating is left out of the equation.
    • « Cafebabel.com », porte-parole de l'esprit européen - Jean-François Nominé p. 91-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Signe des temps, Cafebabel, est un webzine gratuit paneuropéen publiant quotidiennement en six langues (allemand, anglais, espagnol, français, italien, polonais). Il vise l'eurogénération, « la première génération qui vit l'Europe au quotidien ». S'appuyant sur un réseau de 31 rédactions locales dans 13 pays européens, coordonnées par une rédaction centrale à Paris, les articles partent de toutes ces rédactions, sont traduits par un réseau de traducteurs bénévoles, puis revus pour le travail final de secrétariat de rédaction par des journalistes professionnels, en fonction du lectorat de l'aire linguistique à laquelle la traduction s'adresse sans nécessairement être juxtaposée sur l'original. La diversité des thèmes, la jeunesse du lectorat comme celle de la rédaction, l'amour des langues partagé par ses lecteurs, la diversité de son réseau et l'optique de proximité de Cafebabel en font un média européen original, différent de Courrier international, Euronews, Arte ou Presseurop.
      “Cafebabel.com”: a Herald for the European Spirit“Cafebabel” is a sign of the times, a free-access, pan-European webzine published every day in six languages (German, English, Spanish, French, Italian and Polish). Its target audience is the “Eurogeneration”, “the first generation of people whose daily lives are European”. A network of 31 editorial committees in 13 European countries, coordinated by a central editorial board in Paris, sends out articles that are translated by a network of volunteer translators, before reaching the final copydesk stage where they are revised by professional journalists according to the linguistic area targeted by the translation, and not necessarily in juxtaposition with the original. The variety of topics, the youthfulness of both readership and writers and their shared love of languages, the diversity of its contributors and the “corner café” feel of “Cafebabel” have made it a highly distinctive Europe-wide media outlet, on a different register from “Courrier international”, “Euronews”, “Arte” or “Presseurop”.
    • La traduction automatisée : le cas des langues romanes - Daniel Prado p. 95-102 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En soixante ans, les technologies relatives à l'automatisation de la langue ont été très souvent décriées et moquées. Elles connaissent depuis peu un essor considérable et leur utilisation tend à se généraliser, tout au moins pour quelques couples de langues privilégiées. Nous dresserons un état de l'art de la traduction automatisée, évaluerons ses enjeux et nous nous attacherons à décrire le déséquilibre géolinguistique qui règne dans ce domaine.Nous analyserons ensuite plus précisément le cas des langues romanes. Si les pays latins se sont lancés relativement tôt dans la course technologique, leurs systèmes se concentraient surtout sur la traduction à partir de l'anglais et vers l'anglais. Ils commencent aujourd'hui à développer des outils de traduction entre langues romanes, tirant parti de leur proximité linguistique, mais les obstacles à franchir sont encore nombreux pour équiper convenablement toutes les langues.
      Automated Translation: the Case of the Romance Languages
      In the last 60 years, automated language technologies have very often been mocked and derided. Recently, however, they have begun to take off and are coming into widespread use, at least for the most common language pairs. This article reports on the state-of-the-art of automated translation, investigates the issues and describes the geo-linguistic imbalance characterising the field. We then analyse the case of the Romance languages in particular. Although the Latin countries joined the technological race at fairly early stage, their systems focused mainly on translating from and into English. They are now beginning to develop tools for translating between Romance languages, drawing on their linguistic proximity, but there are still a great many hurdles to overcome before each of these languages can be effectively processed.
  • III. Traduction et plurilinguisme dans la société de la connaissance

    • La vulgarisation des sciences : fausse « traduction » et vraie « interprétation » - Daniel Raichvarg p. 105-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Penser la vulgarisation des sciences comme une simple traduction d'un langage savant en un langage vulgaire conduit à dévaloriser totalement l'acte de vulgariser, son inventivité et sa fonction sociétale. Cet article analyse d'abord comment cette conception, que l'on peut considérer comme une conception-écran, s'appuie sur des prémisses historiques et épistémologiques à revisiter pour, ensuite, interroger les conséquences de son (nécessaire) renversement copernicien.
      Scientific Popularisation: Translation or Interpretation?
      Considering scientific popularisation as merely the translation of scientific language into popular language altogether misses a crucial point for society, which is the act of popularising itself, its inventiveness and its societal function. This article analyses how popularisation, considered here as a masking concept, draws on historic and epistemological premises that need to be revisited in order to investigate the consequences of its (necessary) Copernican reversal.
    • Être un scientifique, c'est apprendre à traduire la parole des choses - Pierre Laszlo, Michaël Oustinoff p. 113-120 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Aujourd'hui, les scientifiques sont au moins trilingues : langue maternelle ; langage technique de la discipline ; anglais comme langue véhiculaire. Le plurilinguisme est indispensable à un scientifique parce que la science est inséparable de sa communication, sous ses différents registres, notamment ceux de l'écrit et de l'oral. Il n'est pas de science, en particulier, sans vulgarisation scientifique : en ce sens, être un scientifique, c'est apprendre à traduire la parole des choses. Le monolinguisme, en la matière, n'est pas seulement néfaste : c'est une vue de l'esprit, car les concepts, que ce soit dans les sciences exactes ou les sciences humaines, ne sauraient s'appréhender directement, sans le recours au langage. Lavoisier considérait que les langues étaient « de véritables méthodes analytiques » et, à l'inverse, que « la logique des sciences tient essentiellement à leur langue ». Voilà pourquoi il est bien artificiel d'opposer sciences exactes, sciences humaines et esthétique : il n'y a pas de fossé infranchissable entre les trois, et il est urgent de le redécouvrir.
      Being a Scientist Means Learning to Translate what Things, not People, are Saying (interview)Scientists today are trilingual at least: they have their mother tongue, the technical language of their discipline and English as their vehicular language. Multilingualism is essential to a scientist because science is inseparable from communication in all its different registers, and particularly those of written and oral language. Every kind of science goes hand in hand with scientific popularisation : in this sense, being a scientist means learning to translate what things - rather than people - are saying. Speaking only one language, in this context, is not just a disadvantage: it is an illusion, because concepts, whether in the exact or the human sciences, cannot be grasped directly without the use of language. Lavoisier believed that languages are “analytical methods per se” and that, conversely, “the logic of the sciences essentially lies in their language”. This is why the division between exact sciences, liberal arts and aesthetics is completely artificial : there is no real gap between the three, and we urgently need to rediscover this fact.
    • Crise financière et espace public : traduire le langage de l'aléatoire - Michèle Leclerc-Olive p. 121-128 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dire l'incertain ne va pas de soi : dans le domaine de la finance, profanes comme experts tendent à réduire le caractère imprévisible, sauvage des processus, à les confondre avec des modèles aléatoires plus réguliers, plus continus, moins imprévisibles. C'est ainsi, par exemple, qu'un événement probable est considéré comme une certitude, qu'un phénomène aléatoire est assimilé à un jeu de pile ou face, qu'on probabilise une incertitude radicale ou qu'une convergence en probabilité est réduite à une convergence simple. Ces pratiques de traduction, qui sont autant de « dérandomisations » de l'aléatoire, entretiennent deux fictions complémentaires : d'un côté le monde serait moins complexe que ce que la science en dit dans ses langages techniques, de l'autre ces langages pourraient être totalement traduits, confortant l'idée d'une possible langue universelle.
      The Financial Crisis and the Public Sphere: Translating the Language of Randomness
      Expressing uncertainty is not an easy task, and where finance is concerned, experts and the uninitiated alike tend to minimise the unpredictable, unmanageable nature of financial processes and confuse them with more regular, more continuous, less unpredictable random models. This is why, for example, probable events are considered as certainties, random phenomena are seen as a game of tossing the coin, radical uncertainties are made probable and convergent probabilities are taken as convergence pure and simple. These “translating” practices, which in effect serve to de-randomise what is random, keep up two complementary types of fiction: one is that the world is actually less complex than the technical languages of science would have us believe, the other is that these languages are fully translatable, which reinforces the idea of a possible universal language.
    • La traduction des sciences de la communication en Chine : le concept de « chuanboxue » - Mylène Hardy, Hailong Liu p. 129-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose de montrer que le langage en traduction joue un rôle performatif parce que les termes qu'il emploie retraduisent des normes sociales et des positions institutionnelles construites dans une autre culture, avec d'autres conditions historiques. Dans le cas de la naissance des sciences de la communication en Chine, des concepts américains sur la communication sont venus par leur traduction à la rencontre des normes et positions chinoises sur le journalisme et la propagande, engendrant une reconfiguration mutuelle des actants, qu'ils soient sociaux ou langagiers. Nous étudions comment le système socio-culturel de la Chine a recréé un ordre local propre sous la forme d'une discipline spécifique à ce pays, xinwen chuanboxue (les « sciences de la communication journalistique »).
      Translating the Communication Sciences in China: the “Chuanboxue” Concept
      This article sets out to show that language in translation plays a performative role, because the terms it uses effectively retranslate social norms and institutional positions that were built up in a different culture and in different historical circumstances. In the case of the emerging communication sciences in China, American concepts on communication, which arrived in translation, came to encounter Chinese norms and positions on journalism and propaganda, and this caused a mutual reconfiguration of the actants, both social and linguistic. We look here at how the Chinese socio-cultural system re-created its own local order in the form of a discipline which is specific to the country, “xinwen chuanboxue” (sciences of journalistic communication).
    • La traduction de l'arabe et vers l'arabe, à l'heure de la mondialisation - Foued Laroussi, Ibrahim Albalawi p. 137-144 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article rappelle d'abord l'âge d'or de la civilisation arabo-islamique, la dynastie abbasside (750-905), pendant laquelle, la traduction joua un rôle capital pour la conservation des produits culturels de l'antiquité et leur transfert de l'Orient vers l'Occident. Puis il décrit la crise de la traduction aujourd'hui, à un moment où les pays arabes ne produisent plus de savoir scientifique et traduisent très peu. Pour illustrer cela, il est fait référence au rapport sur le développement humain dans le monde arabe publié par le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), lequel pointe des faiblesses considérables dans le domaine des sciences et de la technologie. Ce rapport montre que la crise de la traduction est due plutôt aux obstacles politiques qu'aux structures socio-économiques des pays arabes. Il y a un réel problème de gouvernance qui n'encourage pas à bâtir une société de la connaissance.
      Translating To and From the Arabic in the Context of Globalisation
      In a first part, this article recalls the golden age of Arab Islamic civilisation, the Abasside dynasty (750-905), during which translation played a crucial role for conserving ancient culture and transferring it from East to West. Then, it describes the present-day crisis in translation, a time when the Arab countries no longer produce scientific knowledge and translate very little. To illustrate this, the article refers to the Human Development Report in the Arab World produced by the United Nations Development Programme (UNDP), which points out considerable weaknesses in the areas of science and technology. It shows that the translation crisis is due more to political obstacles than to socio-economic structures of Arab countries. There is a real problem of governance that does not favour the construction of a knowledge society.
    • Les « intraduisibles » : question de langue ou de culture ? - Olga Inkova p. 145-153 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Aujourd'hui, tout un courant de pensée a remis au goût du jour – et à juste titre – les écrits de Wilhelm von Humboldt sur les langues en tant que « visions du monde » singulières (Weltanschauungen). C'est parce que chaque langue découpe l'univers à sa manière que l'intraduisibilité serait la caractéristique fondamentale de toute traduction, aucun mot ne correspondant exactement à aucun autre dans une autre langue. Une telle analyse n'est pas, en soi, fausse, mais elle demande à être sans doute relativisée. L'intraduisibilité trouve également sa source ailleurs : autrement, on ne s'expliquerait pas pourquoi, au sein de la même langue, un mot est susceptible de changer de sens selon l'époque où l'on se situe. Enfin, les structures linguistiques ne sauraient être rigides : elles sont, au contraire, d'une extrême malléabilité. C'est ce que montre l'analyse du champ sémantique des termes signifiant « liberté » en russe, svoboda et volja, dont le second est souvent qualifié d'intraduisible.
      The Untranslatable: a Matter of Language or Culture?
      A whole current of thought has recently - and rightly - returned to the writings of Wilhelm von Humboldt on languages as unique “visions of the world” (“Weltanschauungen”). It is because each language divides up the universe in its own way that the untranslatable may well be the fundamental characteristic of any translation, since no word corresponds exactly to any other word in another language. This idea, although not inherently wrong, needs to be completed. There are other ways of accounting for untranslatability; otherwise there would be no reason why, in the same language, a word can change its meaning with the times in which it is used. Finally, linguistic structures are not rigid: they are, on the contrary, extremely malleable. This is what we show from our analysis of the semantic field of the two words meaning Freedom in Russian, “svoboda” and “volja”, the latter being often qualified as untranslatable.
  • IV. Traduction et cohabitation culturelle dans un monde babélisé

    • Traduire, c'est faire vivre une langue - Michèle Gendreau-Massaloux p. 157-163 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La communication plurilingue est aujourd'hui reconnue comme une nécessité, tant par les États que par les producteurs économiques, scientifiques et culturels. Elle alimente la pratique de la traduction conçue comme un outil pour accéder aux savoirs du monde entier. Or l'exercice de la traduction influence l'extension des notions, des représentations et des modes de pensée propres à la langue d'arrivée. Une condition nécessaire et suffisante à la définition du caractère vivant d'une langue réside donc non pas seulement dans l'exposition de cette langue à la traduction mais dans l'accueil, par cette langue, des productions venues d'un ailleurs aussi divers que possible.
      To Translate is to Keep a Language Alive
      Today, not only States but anyone involved in economic, scientific and cultural production recognise the necessity of multilingual communication, which has boosted the idea of translation as a tool that gives access to knowledge from everywhere in the world. But translation itself influences the dissemination of concepts, representations and patterns of thought that belong to the target language. The living nature of a language therefore resides not only in its exposure to translation but also in its capacity to integrate production of every kind from the greatest possible diversity of sources.
    • Les représentations de soi et de l'autre dans la traduction, en Bulgarie et en France - Marie Vrinat-Nikolov p. 165-171 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose d'étudier la manière dont la traduction reflète le rapport à l'identité culturelle et nationale, et à l'altérité, en prenant pour exemples les systèmes littéraires français et bulgare, à partir de la création de l'alphabet glagolitique par Constantin-Cyrille le Philosophe vers 862 et des Serments de Strasbourg de 842, jusqu'au XIXe siècle, en passant par la Renaissance, d'une part, et le Réveil national bulgare, d'autre part. Les discours des traducteurs français et bulgares servent ici de révélateur des représentations qu'ils ont du statut de leur propre langue ou culture, mais aussi de celles à partir desquelles ils traduisent, ainsi que de leur manière d'appréhender « soi » et « les autres ». Un tel parcours met au jour la nécessité pour l'Europe multiculturelle de se doter d'une histoire de la traduction, afin de mieux comprendre les enjeux de la traduction à l'heure de la mondialisation.
      Representations of Self and Others as Revealed by Translations in Bulgaria and France
      This article looks into the effects of translation on consciousness of cultural and national identity and otherness. As examples, we use the French and Bulgarian literary systems from the time of the creation of the Glagolitic alphabet by Constantine-Cyril “the Philosopher” around 862 and the “Oaths of Strasbourg” pledged in 842, and up to the 19th century, including the Renaissance on the one hand and the Bulgarian National Awakening on the other. The discourses of French and Bulgarian translators are used as material revealing their representations of the status of their own language and culture, and of those they translated from, and the different ways of apprehending “self” and “others”. What transpires from this study is a need for Europe as a multicultural area to write its own history of translation, as a way of achieving a better understanding of translation as an issue in the context of globalisation.
    • L'interculturalité à l'heure de l'hybridation communicationnelle - Laan Mendes de Barros, Michaël Oustinoff p. 173-180 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le contexte actuel de la mondialisation se caractérise par une hybridation aussi bien sur le plan technologique, communicationnel qu'interculturel. La communication se présente comme un élément de structuration des relations sociales, que ce soit dans les mouvements de dialogue et de coopération ou dans les mouvements de conflits et de contradictions multiples. Elle est à la fois le moteur et le résultat d'un monde babélisé, en dépit des efforts déployés par certains en matière de traduction opacifiante ou de cohabitation culturelle artificielle. Les transformations que les processus de communication mettent en jeu aujourd'hui requièrent de nouvelles articulations théoriques et épistémologiques. Au-delà de la focalisation des études des médias sur les technologies, nous avons besoin de réorienter notre regard sur les médiations interculturelles qui alimentent les phénomènes communicationnels et qui, en retour, sont alimentés par elles.
      Interculturality in a Time of Hybridised Communication
      Today's context of globalisation is characterised by hybridisation : in technology, but also in communication and in the intercultural sphere. Communication clearly stands as a structural element in social relationships, whether rooted in dialogue and cooperation or in conflict and contradiction. It is both the driver and the outcome of a Babelised world, despite the efforts deployed by some in terms of opaque translating or artificial cultural cohabitation. The transformations fuelled by communication processes and how they relate to each other demand fresh theoretical and epistemological perspectives. We need to look beyond the classic focus of media studies on technology and towards the many forms of intercultural mediation and communicational phenomena that are mutually driving each other's development.
    • Traduction et communication : la reliance des cultures - Juremir Machado Da Silva p. 181-187 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'information est, fondamentalement, de l'ordre de l'utilitaire. À l'inverse, la communication ne saurait se réduire à l'échange d'une simple marchandise. Mais communiquer, c'est autre chose, comme l'a démontré Dominique Wolton dans ses travaux ou Michel Maffesoli quand il parle de « reliance » (du latin religare, « relier ») : c'est rajouter du ciment social ; c'est la « colle » du monde actuel. L'imaginaire de la mondialisation est la juxtaposition des fragments collés par la communication disséminée par des moyens technologiques. Néanmoins, de telles technologies aident certes à créer de nouveaux imaginaires, mais elles ne sont pas, en soi, suffisantes. Encore faut-il que les imaginaires culturels communiquent entre eux, à l'épreuve de l'altérité : la traduction, de ce point de vue, est une interface incontournable. La traduction de Michel Houellebecq au Brésil servira d'illustration concrète.
      Translation and Communication: Binding Cultures Together
      Information is fundamentally utilitarian, but communication cannot be reduced to a mere exchange of merchandise. Communication is something else, as Dominique Wolton has demonstrated in his work, or Michel Maffesoli when he discusses the French concept of “reliance” (from the Latin “re-ligare”, to bind together). Communication is the cement that binds society, the glue that holds our world together. Globalisation, in our imagination, is a juxtaposition of fragments that are glued together by communication disseminated through technological means. However, although these technologies clearly play their part in developing new imaginative conceptions, they do not suffice in themselves. The imaginative conceptions of different cultures have to communicate and confront their differences. Translation, from this point of view, is a uniquely necessary interface. Translations of Michel Houellebecq in Brazil are used here as an illustration.
  • Hommages

  • Lectures